1. On apprend par la presse que la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), organisation représentant les patrons des trois régions du pays, demande d’assouplir (lire : affaiblir) la protection des délégués du personnel et candidats non élus, protection établie par la loi du 19 mars 1991. Cette revendication, la FEB la relance régulièrement (elle l’a notamment fait en 2016, en mai 2019…). Voyons cela de plus près.
2. La loi de 1991 fixe, en son article 2, les modes par lesquels peut être rompu le contrat de travail des membres (effectifs et suppléants) et des candidats non élus au conseil d’entreprise et au comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT). Ces délégués du personnel au conseil d’entreprise et au CPPT sont à bien distinguer des délégués syndicaux.
Parmi les modes de rupture autorisés, il y a l’expiration du terme du contrat, la force majeure, l’accord entre l’employeur et le travailleur, le licenciement pour motif grave préalablement reconnu par le tribunal du travail, le licenciement pour motif économique ou technique préalablement reconnu par la commission paritaire compétente… On insiste, l’employeur peut donc licencier les travailleurs protégés pour motif grave (après être passé devant le tribunal du travail) ou pour motif économique ou technique (après être passé devant la commission paritaire compétente, commission composée paritairement de représentants des travailleurs… et du patronat).
Et que se passe-t-il si l’employeur rompt le contrat de travail le liant à un travailleur protégé sans respecter ce que prévoit la loi ? Le syndicat du travailleur peut introduire une demande de réintégration dans l’entreprise (art. 14). Si l’employeur y accède, tout rentre dans l’ordre (art. 15). Si la réintégration n’est pas demandée, l’employeur doit une indemnité de deux, trois ou quatre ans selon l’ancienneté du travailleur (art. 16). Si la réintégration a été demandée mais refusée, l’employeur doit, en plus de l’indemnité de deux, trois ou quatre ans, la rémunération restant à courir jusqu’à la fin du mandat du travailleur (art. 17).
La protection débute 30 jours avant l’affichage de l’avis fixant la date des élections sociales et s’achève à l’installation des candidats élus lors des élections suivantes. Pour les candidats non élus ayant déjà échoué aux élections précédentes, la protection prend fin deux ans après l’affichage du résultat des élections.
Lorsque les délégués syndicaux, qu’il faut distinguer des délégués du personnel dont on vient de parler, sont chargés d’exercer les missions du CPPT (cela survient lorsque ce dernier n’a pas été institué dans l’entreprise), ils bénéficient de cette protection. Dans les autres cas, une protection moins étendue leur est octroyée.
3. En résumé, la loi fixe de manière limitative les situations dans lesquelles peut être rompu le contrat de travail des travailleurs qu’elle protège. Les employeurs ont le choix : soit s’en tenir aux limites fixées par la loi, soit payer une somme d’argent. C’est comme quand vous passez devant un radar en voiture : vous respectez les limitations de vitesse ou vous paierez une somme d’argent.
L’idée à la base de cette protection est que les délégués du personnel et les candidats-délégués sont plus vulnérables aux représailles de l’employeur. En effet, ils représentent les intérêts de leurs collègues les ayant élus face aux intérêts de leur employeur. La logique est implacable…
4. En clair, la FEB voudrait que cela coûte moins cher aux patrons de se débarrasser des délégués gênants, trop combatifs, trop malins, trop tenaces…
Et il faut tordre le cou au ridicule prétexte d’éviter les « délégués qui se considèrent comme intouchables » ! En réalité, cette protection est insuffisante. D’abord, sauf quand ils chargés d’exercer les missions du CPPT, les délégués syndicaux bénéficient d’une protection moins étendue. Ensuite, en pratique, il n’est pas rare que des employeurs parviennent à se débarrasser de délégués gênants en convainquant le juge que la raison est un motif grave ou en obtenant de la commission paritaire (composée paritairement de représentants des travailleurs… et du patronat) qu’elle reconnaisse un motif économique ou technique. Par ailleurs, il n’est pas rare non plus qu’une entreprise décide de simplement payer ce qu’il faut pour se débarrasser de délégués gênants…
5. En conclusion et pour le dire clairement, les patrons veulent s’attaquer, et ce n’est évidemment pas neuf, aux modes d’organisation et de défense collectives des travailleurs afin d’affaiblir ces derniers et de faire en sorte que le rapport de force leur soit plus favorable. Ne laissons rien passer !