Puissant témoignage publié sur le site de La santé en lutte que nous vous invitons à suivre : « Aujourd’hui ma femme, infirmière, s’est effondrée ».
Aujourd’hui mon amour s’est effondrée. Littéralement. Dans le couloir de la salle de bain. Ses jambes ne la portaient plus.
Elle est en première ligne depuis le début de l’épidémie. Chaque jour j’assiste impuissant à sa décomposition, conséquente de celle de ses conditions de travail en maison de retraite. Impuissant, j’ai écouté jour après jour : les premiers cas renvoyés depuis les hôpitaux, l’absence de masques, le refus de la direction d’utiliser les masques cousus main, le cloisonnement par secteur, l’horreur de l’enferment en chambre pour les malades, les hurlements, la panique, incompréhension, la propension rapide et incontrôlable du virus à l’entièreté ou presque des résidents et finalement, trop tard, bien trop tard, le test et le verdict.
Notre fatigue, notre gorge sèche, notre perte de goût et d’odorat, notre mal de dos, nos maux de tête tout ça était maintenant confirmé, validé, diagnostiqué. Pas grave, on continue.
Pour moi le télétravail imbécile dans un secteur à l’arrêt ou le seul sens est de travailler pour travailler, faire travailler les autres et faire ronronner l’administration : on signe des dossiers, on renvoie des documents on approuve des PV.. Pour elle, les mains desséchées, la déshydratation, les coups de chaleur, le travail pénible, la détresse humaine et les horaires impossible, les cycles de sept à huit jours entrecoupé d’une journée de repos… De repos.. Toutes les mères de famille savent ce que signifie une journée de « repos » dans une maison ou évolue un jeune enfant .
Mais voilà aujourd’hui elle s’est effondrée et pire que tout, elle se sent coupable. Coupable d’abandonner ses collègues et patients, d’abandonner sa famille qu’elle risque de contaminer.
Alors c’est la colère qui me fait écrire ce texte… la colère contre les vrais coupables, ceux qui ont jeté les soignants à la poubelle, ceux qui entretiennent depuis longtemps la logique du sous effectif, de la pression, de la rentabilité. La colère contre une direction d’abord, qui même en pleine crise a été jusqu’à dénoncer un « gaspillage » de masques, comme avant un gaspillage de langes, de tranches de pains ou de bouteilles d’eau. Contre ceux qui ont renvoyé dans les homes des patients infectés depuis les hôpitaux, contre ceux qui n’extraient pas les nouveaux malades vers les hôpitaux, contre ceux qui jettent des masques, qui n’en commandent pas, puis pas les bons, puis ceux qu’on ne doit plus mettre…
Colère contre les ministres et enfin contre tout un système qui est celui de la rentabilité, du rendement, au risque de briser des vies, nos vies, celles de nos aînés, des soignants. Ils comptent leurs sous, nous comptons nos morts. C’est pas grave les F16 on va bien les recevoir… et puis dans le fond, ça va régler le problème des pensions.
Colère enfin contre les cons qui applaudissent à 20 heure mais trouvent que quand même les gilets jaunes exagèrent, que les éborgnés et les assassinés devaient rester chez eux, que la situation n’est pas politique et que nous sommes tous dans le même bateau. Comme si l’égalité face au soin de santé s’était jamais réalisée, comme si le confinement dans une villa, c’était le confinement en HLM… Alors oui on fait tout ce qu’il faut, on reste chez nous et on évite de cracher sur vos flics, même ceux qui écrasent des jeunes, mais faites attention on est en colère et on arrive.
Un compagnon inquiet et en colère.