Quelques propos d’ouvriers d’usines récoltés cette semaine par notre section liégeoise :
« Dans l’usine, il y a des affiches sur le COVID partout, sur les gestes barrières et tout. Mais les gens ils ont compris les gestes barrières… Ce qu’il y a c’est que dans les faits ils ont pas la possibilité de les appliquer… Simple exemple : les vestiaires. Il y a des jours où ils sont juste bondés. Tantôt je fais la remarque à un chef qui me répond : ‘mais alors il faut que vous vous changiez chez vous.’ Je suis mécanicien, j’ai souvent de la graisse partout, je vais faire quoi ? […] La charge de travail est augmentée aussi puisqu’il y a des absents. Des gens sont écartés mais les lignes continuent de tourner à la même cadence… avec un nombre de personnes réduit donc. Et ça crée des situations dangereuses, du stress, etc. Ce matin j’ai dû à un moment donné aller voir mon responsable car j’en pouvais plus, j’étais dans le jus complet. Un collègue était seul pour faire les dépannages or c’est dangereux ! Il y a eu des accidents d’ailleurs. Un gars a perdu plusieurs doigts. Un autre a ramassé sur la tête un tuyau éjecté comme un boulet de canon. […] Un des problèmes est aussi que les chefs font faire des trucs sur les lignes à des personnes qui ne sont pas formées du tout. On vend à certains ouvriers des postes compliqués en leur faisant miroiter des carottes. »
« Ici tu peux sauter quand ils veulent. […] Et eux là, les dirigeants, ils ont appris des grèves. Ils connaissent les lois par cœur. […] Il faut aux ouvriers la force brute et le savoir. […] Avant j’étais dans une petite boîte, je gagnais moins alors que je faisais les trois pauses. Donc par rapport à d’autres, pour moi ici ça va, mais il faut se battre pour être mieux et il faut aussi se battre pour pas perdre ce qu’on a. C’est seulement depuis que je suis ici que je réalise qu’il faut se battre. Dans les grandes boîtes on se sent totalement comme des numéros. »
« Je suis un fort caractère. Là tu vois le vrai Christophe. Mais à l’usine tu es obligé d’être un ‘autre’ ; tu dois apprendre à fermer ta gueule car c’est ton emploi qui est en jeu. […] Il y a eu une bagarre ici pendant le confinement. La direction a pas chipoté : allez, deux à se battre, dehors merci au revoir. Et ils étaient là depuis des années. T’es obligé de prendre sur toi. Limite parfois je dois partir la queue entre les jambes. Car sinon après je perds tout et je sais plus payer mes factures. […] Au final tu en prends souvent plein la gueule mais tu supportes. »
« Quand tu laisses traîner tes oreilles chez les chefs, tu entends des choses que tu es pas censé savoir. Par exemple : ‘oh cet ouvrier c’est un pourri’. Or le pourri juste avant il était dans la laveuse en train de faire un travail de merde et dangereux. Quand on a fait la révision des machines il y a quelques temps on faisait du 6 jours par semaine, 12 heures par jour. Mais après on nous traite de pourris. […] Quand je suis arrivé, les chefs me valorisaient et tout. Mais petit à petit je me suis rendu compte et j’ai réalisé que c’était juste faux. »
« J’ai un collègue, on lui a refourgué un poste super dur de multi-opérateur alors qu’il est pas préparé. En fin de semaine, il en peut plus. Le gars limite il tombe en dépression. Je voudrais pas apprendre lundi qu’il s’est pendu le mec. On vient gagner notre vie hein, pas la détruire. »
« Pour la direction, c’est les chiffres, les chiffres, les chiffres. On ne regarde que les chiffres et pas le côté humain. […] Franchement on a esquivé de ces catastrophes. Certains ouvriers bossent avec de l’acide concentré ; si tu t’en prends quelques gouttelettes sur la peau tu le sens déjà passer. J’ai un collègue, il s’est pris quelques gouttes dans le dos il a toujours les cicatrices. […] »
« Tu verrais les sommes des pièces qu’on utilise, c’est incroyable. Parfois t’as 200.000 euros en main ! »
« On nous divise pour mieux régner. […] Au tout début que j’étais là, on me donnait des petites récompenses quand je travaillais bien. Mais on n’en donnait pas aux autres de mon équipe. Du coup certains trouvaient ça injuste. Et c’est vrai ; si tu donnes une récompense, c’est à toute l’équipe puisque c’est un travail d’équipe. Autre histoire : une fois, des chefs ont commandé des pizzas. Puis ils sont passés sur les lignes : à certains ils demandaient de venir, et d’autres ils les ignoraient carrément. »
« Tu allumes ta télé, COVID, tu allumes ta radio, COVID, tu ouvres ton journal, COVID. Tu ne vois que ça partout. On nous dit que les hôpitaux sont surchargés et on parle de primes pour les travailleurs. Mais et quoi avant ça allait comment dans les hôpitaux ? ; pourquoi on ne commence à en parler que maintenant ? ; avant les travailleurs ne sauvaient pas des vies ? […] La pauvre femme qui s’est donné la mort, des ministres parlent d’elle et disent que c’est très dommage. Mais c’est de leur faute, c’est eux qui ont délaissé les gens. […] On nous conditionne au ‘métro-boulot-dodo’. Aujourd’hui, les gens s’en rendent un peu plus compte car on ne peut plus rien faire. Avant ils se disaient, en fin de semaine, allez on va se changer les idées on va aller boire un verre dans le carré. Mais maintenant on ne peut même plus donc on se dit que sa vie est pourrie : ‘Je me lève, je vais travailler, je rentre, je suis crevé et je peux rien faire.’»
« Ce qu’on voit, c’est qu’on laisse juste assez aux travailleurs pour qu’ils aient peur de le perdre. Ils se disent ‘Si je perds ça je suis dans la merde.’ »