1. Vous savez ce qu’est la détermination ? On va vous en donner un exemple concret.
En décembre 2008, David Clarinval (MR) et Olivier Hamal (MR) déposèrent une proposition de loi visant à prévoir des sanctions pénales pour les personnes qui, « de manière intentionnelle et répétitive, ne paient pas leurs loyers ». Concrètement, la proposition prévoit ceci :
« Sera puni d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de 200 à 1.500 euros, ou d’une de ces peines seulement, celui qui prend intentionnellement et de manière répétitive un bien en location en sachant qu’il est dans l’impossibilité d’en honorer les loyers.
En cas de récidive, les peines pourront être doublées. » (Proposition de loi visant à prévoir des sanctions pénales pour les personnes qui de manière intentionnelle et répétitive ne paient pas leurs loyers, Doc., Ch., 2008-2009, n° 1723/001 ; https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/52/1723/52K1723001.pdf).
La proposition, à la fin de la législature, ne fut pas votée et fut ainsi frappée de caducité. Elle passa donc à la trappe.
Ce n’était cependant pas pour décourager nos chers libéraux. Le 18 septembre 2014, à nouveau et à l’identique, ils déposèrent leur proposition de loi (Proposition de loi visant à prévoir des sanctions pénales pour les personnes qui de manière intentionnelle et répétitive ne paient pas leurs loyers, Doc., Ch., 2014, n° 0430/001 ; https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/54/0430/54K0430001.pdf). Une fois de plus, leur proposition ne fut pas votée et passa à la trappe.
Jamais deux sans trois… Le 5 septembre 2019, nos courageux réformateurs remirent le couvert et redéposèrent leur proposition, toujours sans en changer une virgule (Proposition de loi visant à prévoir des sanctions pénales pour les personnes qui de manière intentionnelle et répétitive ne paient pas leurs loyers, Doc., Ch., 2019, n° 0512/001 ; https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/0512/55K0512001.pdf).
2. L’idée sous-jacente des auteurs de la proposition ? Certes, le droit au logement est prévu à l’article 23 de la Constitution et « c’est une très bonne chose » (heureusement qu’ils sont là pour le dire, n’est-ce pas ?)… mais (et, vous le savez, ce qu’il y a après un « mais » ne vaut rien !) « qui dit droit au logement dit aussi devoir ». « Or, poursuivent nos amis libéraux, il faut bien constater (et c’est sans doute là un phénomène de société) que, chez certaines personnes, certaines dépenses non essentielles à un confort élémentaire (et auquel tout le monde a droit) passent avant le paiement du loyer. » Il y a donc « un mouvement de déresponsabilisation ». Voyez-vous, il faut « responsabiliser » les locataires !
3. Remettons l’église au milieu du village.
Chacun le sait, la part du revenu consacrée au loyer est, en Belgique, exorbitante. L’Observatoire belge des inégalités s’est penché sur la question dans un article intéressant du 4 mars 2019. Il rappelle que les loyers sont, en Belgique, très élevés. Par ailleurs, cet article reprend notamment un tableau comparant la part du revenu que devraient consacrer au loyer des ménages bénéficiaires du revenu d’intégration (sur la base des données sur Immoweb en 2016) (http://inegalites.be/Les-loyers-en-Belgique). À Liège, un bénéficiaire du revenu d’intégration isolé devrait débourser l’équivalent de 56% de son revenu mensuel pour un appartement une chambre. Dans toutes les autres provinces de Belgique, le pourcentage serait plus élevé. Dans le Hainaut et à Namur par exemple, ce serait 59%. À Bruxelles, ce serait 87% ! Une famille monoparentale bénéficiant du revenu d’intégration et d’allocations familiales majorées aurait à consacrer, à Liège et dans le Hainaut, 45% de son revenu au loyer. À Bruxelles, le pourcentage s’élèverait à 78%…
De manière plus générale, selon l’Office belge de statistique (Statbel), en 2016, près de 30% des dépenses moyennes des ménages belges étaient consacrés au logement.
Résumons par ceci : il est clair qu’il y a un déséquilibre entre deux éléments qui ne sont plus à prouver : d’un côté, l’importance des loyers et, d’un autre côté, la baisse du pouvoir d’achat de la majorité de la population.
4. La proposition de loi commentée vise à frapper en premier lieu les couches les plus pauvres et précarisées de la population – dans le cadre de cette problématique, il s’agit essentiellement des allocataires sociaux.
Non contente de participer activement à la détérioration des conditions de vie matérielle de la majorité de la population, la classe politique tâche, par tous les moyens et dès qu’elle en a la possibilité, de pousser la logique vicieuse jusqu’à son terme : réprimer, broyer, ceux qu’elle agenouille. Aujourd’hui, elle propose, dans les faits, de réprimer pénalement les locataires précarisés n’honorant pas leurs loyers. Demain, ce sera autre chose encore.
Il est de l’intérêt de tous de se mobiliser et de lutter contre ces attaques de la classe politique visant les couches les plus faibles de la population.
Écrit par Adrien Arce