Il y a près d’un an et demi était décrété l’état « d’urgence sanitaire ». Différents droits et libertés démocratiques élémentaires (notamment la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion et de manifestation, la liberté d’association…) ont été restreints et suspendus arbitrairement ; chacun a été soumis à une surveillance et une coercition étatiques accrues. Le recours à différents mécanismes de régime autoritaire a été expérimenté, banalisé et facilité. L’état d’urgence a objectivement contribué à fragiliser les libertés démocratiques au profit du pouvoir en place.
Non, ce n’était pas une simple parenthèse dans le cours des événements, un épisode qui sera rapidement mis aux archives et ne laissera pas de traces. En atteste notamment la fameuse loi pandémie qui a été adoptée le 15 juillet dernier et qui entrera bientôt en vigueur. Non seulement elle légitime le passé, mais, en outre, elle légalise pour l’avenir le recours à l’état « d’urgence sanitaire », elle autorise légalement les mesures prises jusqu’alors.
Dans cette loi, il est dit que le gouvernement déclare la « situation d’urgence épidémique » par arrêté royal. La « situation d’urgence épidémique » est définie à l’article 2 de la loi ; au fond, une grosse épidémie de grippe pourrait suffire. Les parlementaires ont alors quinze jours pour confirmer sagement l’arrêté royal (celui-ci vaut pour trois mois mais peut être prolongé pour une durée équivalente, autant de fois que nécessaire). Le gouvernement adopte ensuite les « mesures de police administrative nécessaires ». Ces mesures recouvrent l’ensemble des restrictions que nous avons connues jusqu’ici, c’est-à-dire des mesures très coercitives et attentatoires aux libertés démocratiques. En cas de « péril imminent », elles peuvent être prises par le ministre de l’Intérieur, seul. Mieux : « lorsque les circonstances locales l’exigent », les gouverneurs et bourgmestres peuvent prendre, chacun pour son propre territoire, des mesures renforcées. « Péril imminent », « lorsque les circonstances locales l’exigent »… : n’y aurait-il rien d’encore plus vague, plus subjectif ? Au passage, on notera qu’il n’y a strictement rien dans la loi en matière de protection des données personnelles. Bref, les autorités auront les mains libres ; l’État s’est en fait auto-attribué un blanc-seing pour dégainer l’état « d’urgence sanitaire » et verrouiller des pans entiers de la vie politique et sociale.
Aujourd’hui, cette politique apparait réservée aux situations « d’urgence sanitaire »… Mais qu’en sera-t-il demain ? Une fois que le pied est dans la porte… Pensez-y : quid en cas de tremblement de terre social ? En réalité, on a là un ensemble de mécanismes politiques susceptibles d’être appliqués à d’autres circonstances, à d’autres « urgences ». Il faut donc bien comprendre que de telles politiques ouvrent de dangereuses portes.
La classe ouvrière doit s’opposer aux empiètements sur ses droits et libertés et, partant, à cette « loi pandémie » extrêmement liberticide. C’est objectivement dans son intérêt, dans l’intérêt de la lutte qu’elle a à mener avec toutes les couches laborieuses et exploitées. Deux remarques peuvent ici être faites.
Premièrement, en régime capitaliste, les libertés en question ont un caractère bourgeois ; elles sont forcément tronquées, hypocrites, elles ne sont que formelles. C’est incontestable, il ne faut en aucun cas les idéaliser. Néanmoins, la casse des libertés, même formelles, contribue à é𝐭𝐨𝐮𝐟𝐟𝐞𝐫 𝐝𝐢𝐫𝐞𝐜𝐭𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 la participation du prolétariat et de tous les travailleurs à la vie politique : qui dit moins de libertés dit aussi moins de marge de manœuvre pour s’exprimer, pour s’organiser, pour combattre ceux d’en haut ; chaque nouveau mécanisme autoritaire mis en place est objectivement une nouvelle arme entre les mains de la bourgeoisie.
Deuxièmement, il y a une tendance inévitable à la réaction dans les conditions de l’impérialisme. Tendance qui se renforce à mesure que s’aggravent les contradictions du système : plus ces contradictions s’accentuent, moins la bourgeoisie est à même de gouverner par les moyens « ordinaires », plus elle est poussée à détruire les droits de la classe ouvrière, à recourir aux méthodes les plus réactionnaires, à remplacer le « cause toujours » par le « ferme ta gueule ». Ainsi, les atteintes aux libertés démocratiques – libertés qui sont laissées aux esclaves salariés en « temps de paix » –, tout comme aux différents acquis et droits sociaux, ne peuvent que se multiplier au fil des ans. Cette roue, on ne l’empêchera certes pas de tourner. Mais il n’en reste pas moins que les travailleurs sont préjudiciés par chaque nouvelle brèche dans leurs droits et libertés; chaque poussée du capital vise à les écraser davantage.
Aussi ces attaques doivent donner lieu à d’intenses ripostes de la classe ouvrière et ses nombreux alliés. Ripostes qui déboucheront sur des victoires et des défaites partielles et qui, surtout, devront servir de tremplins pour pousser en avant les consciences et l’organisation ouvrières, pour développer la lutte de classe contre tout le système capitaliste et pour une véritable démocratie, une démocratie 𝐨𝐮𝐯𝐫𝐢è𝐫𝐞 (non plus l’étroite démocratie bourgeoise).