L’analyse de Marx des lois du mouvement du capitalisme correspond au stade du capitalisme de libre concurrence où un grand nombre de producteurs capitalistes rivalisaient sur le marché. Il avait analysé, dans une certaine mesure, le processus de centralisation du capital. Il ne vécut cependant pas assez longtemps pour voir le début d’une nouvelle étape dans le capitalisme – celle de l’impérialisme. Cela se produisit au début du 20ème siècle et il fut laissé à Lénine d’analyser ce processus. En 1897-1898, Lénine fit quelques études initiales du développement du marché mondial capitaliste, mais n’analysa pas pleinement le sujet de l’impérialisme. Cependant, avec le début de la Première Guerre mondiale, une guerre causée par l’impérialisme, il fallait faire une analyse complète de l’impérialisme pour comprendre la base économique de la guerre et ses conséquences politiques pour le prolétariat.
Cette question devint d’autant plus urgente en 1915, lorsque le chef opportuniste et révisionniste de la Deuxième Internationale, Karl Kautsky, écrivit un livre sur l’impérialisme où il soutenait que le système économique mondial évoluait vers un «ultra-impérialisme» caractérisé par sa stabilité et l’absence de risque de guerre. Son argumentation était similaire à celui de certaines personnes qui analysent aujourd’hui la mondialisation et font valoir que, en raison de la croissance des groupes et des sociétés multinationales et de la diffusion de leur capital dans tous les pays, ces multinationales s’opposeront à la guerre et qu’il n’y aurait donc aucun danger pour une nouvelle guerre mondiale. Cette théorie présentée pendant la Première Guerre mondiale donna une image fausse de l’impérialisme. Étant donné qu’une telle théorie erronée fut présentée par Kautsky, alors reconnu comme le principal théoricien du marxisme, il était absolument nécessaire de s’opposer à celle-ci et de présenter la bonne analyse. Il fallait effacer la confusion créée par la Deuxième Internationale et présenter les tactiques correctes au mouvement ouvrier international. Pour ce faire, Lénine, en 1916, fit une recherche approfondie et produisit son œuvre célèbre, L’Impérialisme stade suprême du capitalisme. Outre ce travail principal, il écrivit également de nombreux autres articles reliant cette analyse économique de base à la tactique du prolétariat.
En premier lieu, Lénine essaya de dissiper la confusion créée par Kautsky et d’autres opportunistes quant à la question “Qu’est-ce que l’impérialisme?”. Pour répondre à cela, il souligna que l’impérialisme est un stade historique spécifique du capitalisme. Son caractère spécifique est triple: l’impérialisme est (1) le capitalisme monopolistique; (2) le capitalisme parasitaire ou en décomposition; (3) le capitalisme moribond ou capitalisme sur son lit de mort. Le remplacement de la libre concurrence par le monopole est la caractéristique économique fondamentale, l’essence de l’impérialisme.
Le capitalisme monopolistique se manifeste sous cinq formes principales: (1) les cartels, les groupements et les trusts – La concentration de la production a atteint un degré qui donne lieu à ces associations monopolistiques de capitalistes qui s’unissent pour écraser d’autres concurrents. Ils fixent les prix, s’attribuent une production entre eux et font d’autres arrangements et accords pour empêcher les autres d’entrer et de réussir sur le marché. Ils jouent un rôle décisif dans la vie économique. (2) La position monopolistique des grandes banques et la création de capitaux financiers grâce à la fusion du capital industriel monopolistique et du capital bancaire. A l’époque de Lénine, cela avait déjà atteint le niveau où trois, quatre ou cinq banques géantes manipulaient toute la vie économique dans les principaux pays industrialisés. (3) L’exportation de capitaux qui revêt une importance particulière – cette caractéristique est différente de l’exportation des biens sous le capitalisme non monopolistique et est étroitement liée à la partition économique et politique du monde. (4) La répartition économique du monde par les ententes internationales – À l’époque de Lénine, il y avait déjà plus d’une centaine de cartels internationaux, qui commandaient le marché mondial et se le divisaient de manière « amicale ». Bien sûr, cette « amitié » n’est que temporaire et ne dure que jusqu’à ce que la guerre ait lieu pour une redivision des marchés. (5) La répartition territoriale (politique) du monde (colonies) entre les plus grandes puissances capitalistes. Ce processus de colonisation de tous les pays arriérés du monde était achevé dès l’aube de l’impérialisme. D’autres colonies ne pourraient être obtenues que par la redivision du monde, par la guerre.
Sur la base des caractéristiques ci-dessus, Lénine définit l’impérialisme de la manière suivante : « L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financiers, où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes. ».
Le fait que l’impérialisme est un capitalisme parasitaire ou en décomposition se manifeste d’abord dans la tendance à la désintégration, qui est caractéristique de tout monopole sous le système de propriété privée des moyens de production. Par rapport à l’expansion rapide sous la concurrence libre, la production dans son ensemble diminue sous le monopole. Le progrès technologique est découragé et les nouvelles inventions et brevets sont délibérément supprimés. Deuxièmement, la dégradation du capitalisme se manifeste par la création d’une énorme couche de rentiers, de capitalistes qui vivent sans travailler, mais simplement en fonction de l’intérêt ou du dividende qu’ils gagnent sur leurs investissements. Troisièmement, l’exportation de capitaux est un parasitisme à un niveau élevé, car elle est le signe de l’exploitation ouverte de la main-d’œuvre peu coûteuse des pays arriérés. Quatrièmement, le capital financier s’intéresse à la domination, pas à la liberté. La politique réactionnaire sur toute la ligne est une caractéristique de l’impérialisme. La corruption à grande échelle et toutes sortes de fraudes deviennent monnaie courante. Cinquièmement, l’exploitation des nations opprimées et surtout l’exploitation des colonies par une poignée de « grandes » puissances transforme de plus en plus le monde impérialiste en un parasite qui se nourrit du travail de centaines de millions de prolétaires dans les pays arriérés. Il atteint le point où une haute couche privilégiée du prolétariat dans les pays impérialistes vit également en partie aux dépens de centaines de millions d’opprimés dans les colonies et semi-colonies.
L’impérialisme est un capitalisme moribond, parce que c’est le capitalisme en transition vers le socialisme. Le monopole, qui sort du capitalisme, est déjà du capitalisme mourant, au début de sa transition vers le socialisme. L’énorme socialisation du travail par l’impérialisme produit le même résultat. La contradiction fondamentale du capitalisme entre le caractère social de la production et le caractère privé de la propriété ne fait que s’accentuer sous l’impérialisme. Ainsi, Lénine disait : « L’impérialisme est la veille de la révolution sociale du prolétariat ».