La dernière période contemporaine de la Révolution Russe. La période du Plan Quinquennal de 1928.
Le peuple seul de son espèce, le peuple terriblement neuf, la nation étrangère parmi les nations, s’attaque aux forces de la nature. On était arrivé à l’électrification, entr’aperçue dans la défaite et les orages, et on travaillait autour.
Le Plan qui embrassait les années 1928 à 1933, et qui a été remplacé en fin 1932, au bout de quatre ans, par un nouveau Plan Quinquennal, parce qu’on l’a considéré alors comme terminé, s’implantait à la fois, dans les villes et dans les campagnes : Renforcement de l’industrie — spacieux bond en avant — et conquête de la socialisation des campagnes. (Deux grandes questions vivantes qui se tiennent profondément par le ventre — et par la puissante carcasse de la machinerie). Cette Russie, qui était à l’arrière de l’industrie universelle, il fallait la transporter à l’avant, en la socialisant toute.
Revoyons les objectifs de base, qui s’étendent à perte de vue — tels qu’ils furent délimités par Staline : « Il s’agit de métamorphoser la Russie arriérée, en un pays modernisé techniquement — pour ne pas dépendre des pays capitalistes, pour que le pouvoir soviétique soit solide et que le socialisme puisse vaincre, pour permettre l’élimination du koulak et la transformation de la petite exploitation agricole privée, en collectivisation de l’agriculture, pour avoir une défense militaire suffisante ». Et il s’agissait aussi, pour cette édification dans un seul pays, de se passer du capital étranger.
Malgré les résultats très notables acquis par le seul pays en question, qui se débattait, véhémentement et méthodiquement à la fois, depuis dix ans, l’opinion mondiale n’avait pas désarmé, ne lui avait pas pardonné d’être sorti de « l’ordre » et la grande presse d’information capitaliste (qui est une presse de non information) poursuivait ponctuellement sa tactique malhonnête qui consistait ou bien à nier les résultats, d’un trait de plume, comme on nie un engagement, ou bien dans le cas où il eût été trop stupide de nier ces résultats, à les attribuer à un abandon des principes socialistes. Lorsque fut engagé le dernier plan quinquennal, et jusqu’à son achèvement, la même fielleuse ironie fit grimacer les journalistes officiels. Voici quelques extraits collectionnés par Staline lui-même :
Un plan, ça ? dit le New York Times. Allons donc ! Ce n’est qu’une spéculation ! (novembre 1932). A la même époque : « Complète faillite ! », profère le Daily Telegraph. Le New York Times, déjà nommé, renchérit : « Honteux échec ». « Impasse ! » affirme la Gazeta Polska (polonaise). « La catastrophe est manifeste », pontifie Politica (italienne). « Écroulement de tout le système », est absolument obligé de constater le Financial Times. Le Current History (américain), n’est pas moins catégorique sur le Plan Quinquennal : « Effondrement dans les objectifs, effondrement dans les principes ».
« En U.R.S.S. les plans quinquennaux n’existent que sur le papier. Ils ne réussissent jamais », écrit un Russe — qui est un ex-communiste chassé du parti pour malpropreté. Ce même individu nous apprend, de plus, dans un livre écrit en 1931, que : « La prison est en U.R.S.S. le seul lieu où on ne meure pas de faim », et aussi : « Tout citoyen soviétique a les souliers percés et le regard morne. » « Je me moque pas mal de la révolution mondiale », aurait raconté Staline en 1927 à M. Campbell, grand fermier américain, qui, du moins, a le front de l’affirmer, dans un autre livre. Pendant que nous y sommes, ajoutons, s’il vous plaît : « On mange des enfants à la broche dans les hôtels de Moscou », ou, du moins, l’affirment aussi, de nos jours, pas mal de bonnes gens, par-ci par-là.
Or le Plan Quinquennal de 1928, étayé de chiffres gigantesques, aboutit, en quatre ans, à une réalisation d’ensemble de 93 %. En ce qui concerne l’industrie lourde, la réalisation en quatre ans donne 108 %. La production nationale a triplé de 1928 à 1934. La production d’avant-guerre était, en fin 1933, quadruplée.
De 1928 à 1932, le nombre des ouvriers est passé de 9.500.000 à 13.800.000 (grosse industrie surplus de 1.800.000, agriculture, 1.100.000, employés de commerce 450.000) — et, naturellement, le chômage est devenu là-bas une vieille histoire du passé.
La part de l’industrie dans la production totale, c’est-à-dire par rapport à la production agricole, était, en 1913 de 42 %, en 1928 de 48 %, en 1932 de 70 %.
La part de l’industrie socialiste dans l’industrie était, à la fin des quatre ans, de 99,93 %.
Le revenu national a augmente, pendant les quatre ans, de 85 %. A la fin du plan, il était de plus de 45 milliards de roubles. Un an après, de 49 milliards (1 /2 % d’éléments capitalistes et étrangers).
Les fonds de salaires des ouvriers et employés sont passés de 8 milliards à 30 milliards.
Le nombre des personnes sachant lire et écrire est passé pour toute l’U.R.S.S. fin 1930 à 90 % fin 1933.
Qu’on veuille bien, un instant, collationner ces chiffres, qui témoignent d’une progression unique dans les annales du genre humain, avec les honnêtes prophéties qui figurent plus haut — faillite, impasse, catastrophe, effondrement — et qui se sont exprimées alors que le Plan était à peu près réalisé déjà, à la face de tous.
De nouvelles branches d’industrie ont été mises en œuvre, depuis les machines-outils, les autos, les tracteurs, les produits chimiques, les moteurs, les avions, les machines agricoles, les puissantes turbines et les générateurs, les aciers fins, les alliages ferreux, jusqu’au caoutchouc synthétique et à la fibre artificielle. Je suis allé de Londres à Leningrad, il y a deux ans, dans un grand bateau où tout, absolument tout, dans la machinerie et l’aménagement, était de construction soviétique (jusqu’aux pianos, celui des passagers et celui de l’équipage). J’ai vu à Moscou un avion gigantesque (à l’intérieur de ce monument, on avait la perspective d’une galerie d’usine), où ne se trouvait rien qui ne provînt de l’U.R.S.S. et n’y eût été manufacturé — sauf les pneus du train d’atterrissage.
Des milliers d’anciennes usines ont été reconstruites. Des milliers d’entreprises nouvelles s’agglomèrent en groupements multiformes et multicolores autour d’entreprises géantes dont plusieurs se posent, par l’énormité, en tête de toute la civilisation industrielle contemporaine : Dnieproguès, Magnitogorsk, Tcheliabinsk, Bobriki, Ouralmaschstroi, Kramachstroi. Des expéditions scientifiques, systématiques, permettent de repérer toutes les ressources du sol. D’énormes centres nouveaux ont surgi, ici, là : Ukraine, Caucase du Nord, Transcaucasie, Asie Centrale, Kazakhstan, Bouriatomongolie, Tartarie, Bachkirie, Oural, Sibérie Orientale et Occidentale, Extrême-Orient.
« En quatre ans, dit The Nation, il est sorti de terre une cinquantaine de villes nouvelles, de 50.000 à 260.000 habitants, centres industriels harmoniques et spécialisés ». Une immense ville couvre d’une architecture de ciment et de métal les rivages du Dniepr, à côté d’une des plus puissantes stations hydroélectriques du monde (et qui, dans peu d’années, ne sera plus qu’au cinquième ou sixième rang. [Le Dnieproguès a 750.000 CV, mais le Beauharnais Saint-Lawrence, au Canada, en a plus, et le Hoover Dam, dans le Colorado, en aura 1 million. Soit. Mais en Sibérie, le Chaman en aura 2 millions et le Bratski Ostrog, 2.600.000. Les Titans de la Fable ne prétendaient arriver, dit-on, qu’a mettre Pélion sur Ossa !] Dans le bassin minier du Kouznetz, il y a eu, subitement, six villes nouvelles avec 600.000 habitants. Dans l’extrême nord, à cause d’un gisement de phosphate, une ville s’est implantée tout d’un coup, laquelle a, pour le moment, 80.000 habitants.
Pierre Dominique qui, par ailleurs, se livre à des considérations générales passablement puériles par suite de la manie qu’il a de faire du socialisme une question de races — donne, en se plaçant seulement sur le sérieux terrain des faits, un aperçu de l’immensité du surgissement de l’industrie en Asie soviétique : « … Au delà de l’Oural, trois grands cercles industriels dont nos trois cercles du Nord de la région Lorraine, du bassin de la Loire, donnent une idée assez faible en ce sens que les cercles soviétiques sont grands chacun comme la France. C’est le cercle de l’Oural avec Magnitogorsk, Sverdlovsk, Tcheliabinsk, le cercle de Kouznetz avec Novosibirsk, tous deux en pleine exploitation, et le cercle de l’Angarastroi encore inexploité. Là, tout autour de villes nouvelles surgies de la steppe en trois ans et dont deux ont déjà 300.000 âmes, des nations nouvelles se sont organisées, un peuplement se fait, peuplement intensif ; une Asie rouge se crée de toutes pièces ; le second plateau de la grande balance soviétique se couvre de valeurs nouvelles. »
Ce qu’on ne doit cesser de constater et de dire, c’est l’envergure de la rationalisation de cette exploitation industrielle qui s’exerce sur un pays deux fois plus grand que les États-Unis, ou que l’Europe, ou que la Chine, et dont le nombre d’habitants augmente tous les trois ans, de dix millions. [La population de l’Europe croît environ deux fois et demie moins vite.]
Il n’y a pas, dans cette mobilisation formidable d’efforts, un effort qui n’ait été calculé en vue de l’ensemble. Tous les détails d’exécution, tous les rouages du mécanisme s’emboîtent l’un dans l’autre. Une direction unique et centralisée ne perd jamais de vue la totalité de la nation. Elle répartit et elle ajuste.
Est-il besoin d’ajouter que cette méthode d’intérêt général impératif, qui doit forcément donner le rendement maximum, n’est pas possible dans les pays où règne l’anarchie capitaliste, avec la déviation des buts sous la pesée des profits particuliers, et le fantaisiste désordre des initiatives privées ?
Naguère, on cultivait ici le riz. C’était une mauvaise idée : le rapport des experts et des spécialistes constate que le coton serait d’un meilleur rapport. Donc, on cultivera le riz ailleurs, et, ici, vastes champs de coton. Pour utiliser le coton, il faut construire une filature, plusieurs filatures. Il faut adapter la force motrice, créer sur place au besoin, et raccorder notre centre nouveau au réseau des voies de communication : d’où, station hydroélectrique, rails, gares, routes, canal. En plus, école d’apprentissage et de technique pour les ouvriers et les ingénieurs, centres divers de travail et de culture, établissements et organisations d’instruction pour les enfants et les adultes, musées, laboratoires, hôpitaux, sport, radio, cinéma, théâtre. C’est ainsi que se constitue la complexe et énorme molécule soviétique : le combinat, et la cité synthétique, la cité instantanée et indéfinie s’agglomère sous l’effet d’une loi chimique autour de ses centres mécaniques. C’est ainsi que les villes s’élèvent intelligemment, à la place exacte où l’exige la combinaison des besoins locaux et des besoins nationaux. C’est ainsi que les bases économiques se rejoignent, pour n’en faire qu’une.
D’autres perspectives s’ouvrent, avec leurs repères géants. « Nous avons, dit Staline au XVIIe Congrès du Parti, (janvier 1934), posé les bases du combinat Oural Kouznetz, unissant le charbon du Kouznetz avec le minerai de fer de l’Oural. La nouvelle base économique de l’Oural est ainsi devenue, d’un rêve, une réalité ». Et Staline annonce encore : « Les bases d’une nouvelle et puissante industrie pétrolière ont été créées sur le versant ouest et sud de la chaîne de l’Oural, dans la région d’Ouralsk, en Bachkirie, au Kazakhstan. » Et l’industrie légère et de consommation ? Celle qui a été bousculée assez délibérément par l’industrie macromégalique, ce qui fait geindre la ménagère et grogner le citadin (Sacrebleu ! il faut attendre une demi-heure pour acheter du beurre, il faut attendre trois jours pour avoir un pardessus !). Elle a repris rang, et les réclamations s’apaisent à la ronde. En quatre ans, la production de l’industrie légère a augmenté de 187 %. Les magasins de vente s’accroissent régulièrement en nombre. Les restaurants nourrissent aujourd’hui 20 millions de personnes. Le chiffre d’affaires du commerce de détail et de l’alimentation, qui était en 1928, de 12 milliards et demi de roubles, était, en 1932, de 40 milliards de roubles. D’ailleurs, promenez-vous à Moscou, vous y verrez des boutiques parfaitement achalandées, tout le long des rues, et le même assortiment de marchandises de toute espèce que dans les grandes capitales. État de choses nouveau, grand progrès visible, même à côté de ce qui se présentait l’année dernière.
Et, maintenant, le financement de tout cela ? Le problème se pose ici sous une forme tout à fait spéciale. « En effet, explique Staline, dans les pays capitalistes, les fonds investis pour les grands travaux sont obtenus soit par des emprunts à l’étranger, soit par la spoliation » (rançons de guerre, confiscations coloniales, exploitation abusive de la main-d’œuvre).
L’U.R.S.S. n’use pas de ces moyens : de l’emprunt parce qu’elle ne peut pas, et de la spoliation parce qu’elle en laisse l’emploi aux pays civilisés. C’est donc de ses propres ressources qu’elle doit tirer les capitaux à investir.
L’État soviétique a des ressources, puisque, indépendamment de l’impôt, il possède tous les monopoles. Ses ressources sont représentées surtout par le prélèvement sur le chiffre d’affaires des organisations d’État (commerce [Notons que l’U.R.S.S. a subi les effets de la crise économique : certaines exportations quoique augmentant en volume ont diminué en valeur depuis ces dernières années, par exemple, le pétrole.], transports, P.T.T., etc.), sur les bénéfices des organisations sociales, puis sur les ressources de la population, moins sous forme d’impôts obligatoires que sous forme d’emprunts, parts bénéficiaires, caisses d’épargne (c’est ainsi que l’apport annuel de la population, soit 8 milliards 900 millions de roubles, comprend seulement 3 milliards 300 millions exigibles par versements obligatoires : impôts ou assurances).
Grinko, Commissaire du Peuple aux Finances de l’U.R.S.S. nous apprend que le financement du Plan Quinquennal en quatre ans représente 116 milliards de roubles au lieu de 86 milliards prévus.
Et Grinko ajoute : « Nous avons battu à plate couture les notions bourgeoises suivant lesquelles le pays des Soviets ne pouvait, par ses propres ressources et sans le concours d’emprunts étrangers, mettre à exécution le prodigieux programme d’édification socialiste…
« La principale raison qui nous a permis une telle accumulation de capitaux, est dans le fait primordial que chez nous le gaspillage du revenu national, tel qu’il se pratique dans les pays capitalistes, n’existe pas. Nous avons liquidé les classes parasitaires qui dans tous les pays capitalistes consomment improductivement une portion énorme du revenu national… Nous ne faisons pas de politique impérialiste… Nous n’avons pas d’anarchie dans la production sociale. Toutes nos ressources sont affectées presque exclusivement au financement de l’édification économique et culturelle… »
Grandes paroles, dont on ne saurait exagérer la majesté et la signification profonde, et qui, prononcées en 1934 par un ministre des finances en exercice, éclairent violemment une totale transformation du mécanisme collectif. Ces paroles, qui ont tout le volume et toute la richesse des faits positifs qu’elles ne font qu’exprimer, sont a reprendre et à méditer par tous les hommes : Nous n’avons pas de fuites, nous n’avons pas de dérivation. Nous ne pouvons pas avoir de fraude. Le parasitisme infectieux des intermédiaires, la spéculation et les scandales qui nécrosent l’ossature des grands pays, nous ne les connaissons pas. Nous pratiquons une politique sensée, probe, et tout le mécanisme fonctionne rond et plein pour le profit de tous et de chacun.
Apportons quelques comparaisons avec l’étranger, pour fixer les idées.
En 1933, à la suite d’une légère reprise des affaires, les États-Unis et la France avaient un peu dépassé leur production économique d’avant-guerre : Les États-Unis à 110,2 %, la France à 107,6 %. L’Angleterre toujours après la reprise, arrivait à 85,2 %, l’Allemagne à 75,4 %. L’U.R.S.S. marquait 391 %.
Essayons de voir, par un coup d’œil sur quelques chiffres-sommets, ce que cela signifie en chiffres absolus, et quels noms propres a aujourd’hui cette espèce de chaîne de montagnes que dressent les diagrammes des plus hautes statistiques globales.
En 1929, année de l’apogée de la production capitaliste industrielle, l’Union Soviétique venait au cinquième rang des pays du Globe, après les États-Unis et les 139 milliards de roubles-or de sa production, après l’Angleterre et l’Allemagne chacune avec 39 milliards, après la France (29 milliards).
Depuis, la production capitaliste a baissé de 36 % et avec ses 33 milliards de roubles-or de production, l’U.R.S.S. vient au second rang des puissances productrices dans le monde : après les États-Unis.
Pour la construction des machines agricoles et des locomotives le record mondial est détenu par l’U.R.S.S. (pour les seules machines agricoles, sa production annuelle présente vaut 420 millions de roubles-or, celle des États-Unis 325 millions).
L’U.R.S.S. occupe le second rang dans le monde pour la production des machines en général, et aussi pour la production du pétrole, du fer et de l’acier ; le troisième rang pour la production d’énergie électrique (après les États-Unis et le Canada). Le troisième rang également pour l’industrie des chaussures, que je cite à titre d’exemple, parce qu’on s’est copieusement complu à parler des souliers percés et des souliers fictifs de ces pauvres Russes ; la dominent encore dans cette branche, les États-Unis et la Tchécoslovaquie d’où feu Batta avait su couvrir de semelles neuves le sol de l’Europe.
Si nous tentons d’entrevoir la rue titanesque que feraient, plantées bout à bout, les plus grandes usines de la Terre en enfilade, nous discernerons dans cette évocation au surnaturel profil : Magnitogorsk (métallurgie), non encore tout à fait achevé, et qui, lorsqu’il le sera, égalera le Gary américain qui a le record de l’énormité, Tchéliabinsk (tracteurs lourds), l’usine Staline d’automobiles da Moscou, Kramatorsk (région de Dombass), machines lourdes, l’usine Kaganovitch de Moscou (roulements à billes), — qui sont dans le monde les géants des géants de leur espèce. L’usine de locomotives de Louganski est la plus puissante d’Europe. Et toute une file monstre d’usines, (de machines qui fabriquent des machines et travaillent le métal), portent le numéro 2 ou le numéro 3 dans l’ensemble universel.
Autres comparaisons avec l’étranger :
Le chômage. Pendant cette période du Plan où le chômage a été éliminé de l’U.R.S.S., le nombre des chômeurs est passé, en Angleterre de 1.290.000 à 2.800000 ; en Allemagne, de 1.376.0000 à 5.500.000. En France, le nombre des chômeurs qui n’a cessé de s’augmenter nonobstant un court arrêt momentané fin 1933, est aujourd’hui de 1.600.000 chômeurs complets, et (à côté des tués, les invalides) : 2.900.000 chômeurs partiels. [Pour la France, ce chiffre a été obtenu en appliquant au nombre total des ouvriers de l’industrie le pourcentage de chômage fourni par l’enquête des inspecteurs du travail et des ingénieurs des mines.] Aux États-Unis, d’après l’Institut Alexander-Hamilton, le nombre des sans-travail était en mars 1933, de 17 millions. En Italie, 1.300.000 chômeurs. En Espagne 650.000 chômeurs en septembre 1934 (28.000 de plus qu’en janvier).
On nous dit que dans plusieurs de ces pays-là, le chômage a diminué. Remarquons que même là où on parle des diminutions du chômage, on parle aussi des diminutions du total des salaires. Mais remarquons surtout qu’il n’y a pas au monde de bluff et d’escamotage plus éhontés que ceux qui sont ourdis autour des chiffres officiels du chômage, dans tous les pays, capitalistes. Il n’est pas possible de se moquer plus délibérément du public que ne le font les autorités compétentes en jouant sur les mots et sur les chiffres pour dissimuler la situation réelle. Aucun pays capitaliste n’avoue ses chômeurs. On « oublie » des catégories entières de travailleurs, des entreprises n’ayant pas un certain contingent de personnel, on « néglige » des régions entières. Après l’opération consistant à couper en deux le temps de travail d’un ouvrier pour donner cette demi-journée à un chômeur, on efface le chômeur de la liste, alors que rien n’a été changé à rien, car deux fois un demi, cela fait bien un. (États-Unis). Sans parler des travaux publics à crédit qui creusent le gouffre de l’avenir, non plus que des opérations sur papier qui changent les mots sans changer les choses… Et sans parler du grossissement goitreux de l’industrie de guerre (partout, et surtout en Allemagne et au Japon)… C’est ainsi que le chômage s’efface aux yeux des foules fascinées (fascisées). A fortiori, on ne secourt qu’un nombre outrageusement infime de chômeurs dans les royaumes du capitalisme. Les autres vivent par hasard.
« Il y a trois ans, constatait Staline en 1933, il y avait un million et demi de chômeurs en U.R.S.S. ». En U.R.S.S. aujourd’hui, le nombre des ouvriers a augmenté de 4 millions et demi.
Les salaires ? Pendant les quatre ans en question, ils ont baissé, aux États-Unis de 35 %, en Allemagne de 50 %, en Angleterre de 50 %. En Italie — de 1929 à 1931 — de 24 à 45 % — en tenant compte naturellement, du pouvoir d’achat. En U.R.S.S. les salaires ont augmenté de 67 % (moyenne de l’ouvrier industriel : 991 roubles en 1930 ; 1.519 roubles en 1933).
La qualité du travail, le rendement ? L’augmentation du rendement a été, dans la période de prospérité des États-Unis, de 25 % (M. Stuard Chase). Dans la meilleure période économique de l’Angleterre (1924-1929), de 11 % en Allemagne, — de 1913 à 1931 (M. Kuezinski), de 27 %. En U.R.S.S., pendant la dégringolade des pays précités, de 40 %.
Passons sur l’aide énorme apportée aux savants et instituts scientifiques et la multiforme prospérité de ceux-ci. Disons seulement quelques mots sur l’instruction publique. La population de l’U.R.S.S., on l’a vu, augmente de plus de 3 millions d’êtres par an. C’est également le chiffre de l’accroissement des écoliers chaque année. Sans entrer dans le détail de ce secteur « culturel », si avancé parmi tous les secteurs de la vie de l’U.R.S.S. (l’instruction y est semée à la volée ; on la voit dans tous les coins. Chaque entreprise est un centre de culture, chaque caserne une école, chaque usine, une usine d’hommes), — disons seulement qu’il y a en U.R.S.S., 60 millions d’élèves de toutes sortes dont l’enseignement est financé par l’État (une personne sur trois dans l’Union). Pour les Républiques, quelques exemples dans le tas : en Tartarie, le nombre des écoles qui était de 35 en 1913, est, en 1933, de 1.730 ; les Tcherkesses (Caucase occidental) avaient en 1914, 94 % d’illettrés ; ils n’en ont plus un seul : 0 %. Il y a 26 fois plus d’écoles en 1931 qu’en 1914 au Daghestan, 38 fois plus au Kazakhstan. 70 langues différentes sont cultivées en U.R.S.S., 20 langues non écrites ont été fixées par des alphabets. Le budget de l’Instruction publique marque pour l’U.R.S.S. une augmentation de 20 % sur le précédent. Tandis qu’en Angleterre, ce même budget subit une chute de 11.700.000 livres sterling, et que, pour l’Allemagne, le dit budget est descendu successivement, à partir de 1930 où il était de 690 millions de marks, à 590 en 1931, et à 570 en 1932 (depuis 1926, on constate un milliard de marks de baisse des crédits allemands affectés à l’instruction publique).
En Amérique du Nord, les écoles se dépeuplent. En Suisse et aux États-Unis, on commence à voir des théories d’enfants abandonnés.
Les journaux. Le tirage journalier des quotidiens soviétiques était en 1929, de 12 millions 1 /2 ; en 1933, il était de 36 millions 1 /2.
Et dans le secteur de l’art ?
A côté de l’énorme recherche de formules neuves et directes de théâtre et de mise en scène, à côté des bouleversantes créations du cinéma soviétique, on devrait parler longuement ici, de la littérature soviétique, puisqu’il s’est fait sur cette voie une belle avancée constructive, et puisque, aussi bien, Staline s’est toujours vivement préoccupé du développement des lettres et des arts. Le rôle social des écrivains, que Staline définit : « les ingénieurs des âmes », soulève un problème qui ne concerne pas seulement l’homogénéité de la société socialiste, mais qui intéresse, au plus haut point, le progrès de l’art lui-même, en faisant entrer aujourd’hui des éléments nouveaux dans la peinture de la vie contemporaine. Ce sont les vastes perspectives, visuelles, idéologiques, et dramatiques, du collectif, et aussi le sens d’un devoir humain qui est le reflet, en chaque être actif, du progrès humain. La culture littéraire soviétique consiste à enrichir et à développer l’homme dans l’écrivain, comme l’a très justement discerné André Malraux.
De nos jours, et alors qu’on ne peut même pas dire que la littérature soviétique soit complètement sortie de la période des tâtonnements, il s’y amasse des œuvres importantes qui par leur pénétration dans la vie nationale, leurs projections sur l’œuvre de tous, leur solidarité spirituelle, ébauchent une grande phase nouvelle dans l’histoire littéraire. Essayera-t-on de citer les noms les plus en vue, et les plus significatifs de tendances diverses ? Voici, avec Gorki, Sérafimovitch, Gladkov, Fédine, Tikhonov, Ivanov, Penfiérov, Pilniak, Ehrenbourg, Fadéev, Cholokhov, Véra Imber, Trétiakov, — sans parler des écrivains soviétiques non russes, sans parler non plus d’une pléiade éminente de critiques et journalistes, tels que Radek et Boukharine (le savant et brillant Lounatcharski est mort en 1933).
Beaucoup d’écrivains des vieilles formations d’Occident ne se rendent pas compte de la grandiose et tumultueuse concurrence que leur prépare pour quelque jour, sur toute la ligne, ce puissant ensemble qui leur est encore mal connu, qui reste, par places, encore fruste, ou encore superficiel (du côté des écrivains bourgeois ralliés), mais qui, dans un style moins raffiné que celui de notre littérature, apporte bien plus de substance et bien plus de pensée.
Il a fallu, à diverses reprises, régler cette force latente, ce potentiel, que représente la littérature dans une communauté de travailleurs. Le Parti Communiste a singulièrement élargi, sous l’impulsion de Staline, le mouvement des écrivains, en freinant, dans les organisations littéraires, le sectarisme politique, puis en supprimant radicalement ce sectarisme (qui avait amené une dangereuse stérilité dans la production nationale), par le fameux décret du 23 avril 1932.
Ce décret a fondé l’Union des Écrivains Soviétiques de l’U.R.S.S., remplaçant toutes les autres organisations existantes, sur les bases d’un large front unique des hommes de lettres, depuis les révolutionnaires attitrés jusqu’aux « compagnons de route ». « Il faut liquider dans la littérature le sectarisme, dit Staline, et même les ressentiments qu’il a causés naguère ». Les membres de l’Union des Écrivains Soviétiques s’engagent à s’orienter vers le « réalisme socialiste », et à défendre l’U.R.S.S.
A ce programme — le Congrès National des Ecrivains (août 1934, à Moscou), qui pour beaucoup de nous fut une révélation sur les richesses des littératures soviétiques nationales, a donné une solennelle consécration. Tous les écrivains soviétiques y adhèrent avec un immense enthousiasme.
La grande idée est de conférer une mission d’éclaireur à l’écrivain (tout en multipliant son répertoire), dans la large voie rectiligne et claire, dans l’évidence scientifique et morale, du socialisme, — mais sans rattachement paralysant de l’activité littéraire à la propagande politique. Cette féconde utilisation du sens social dans la création de l’esprit, comporte l’abolition définitive de l’art pour l’art, et de l’art individualiste et égoïste, avec son emmurement et son pessimisme. (Il faudrait qu’en Europe et en Amérique, nous organisions aussi largement la poussée éparse qui se produit dans le même sens).
Dans nos vieux pays, qui ont encore le cynisme ou l’insanité de se louanger eux-mêmes pour leur mission spirituelle, tout ce qui touche à l’esprit est, en réalité, méprisé et sacrifié. On constate le ravalement de la science et de la culture au service de la guerre et de la conservation sociale. Les écrivains, les artistes, les savants, tous les intellectuels sont appauvris par le Pouvoir soucieux de déverser tous les deniers publics dans le gouffre des armements. Les étudiants n’ont plus guère d’avenir, et le peu qui leur en reste est dépourvu de dignité. Leurs diplômes ne sont, à tous égards, que chiffons de papier. Ils sont accaparés, domestiqués — en tant qu’inventeurs, en tant qu’éducateurs — pour la préparation matérielle et idéologique de la guerre, et pour l’exploitation du prolétariat. Ils doivent, bon gré mal gré, devenir, avec leurs cerveaux, des fournisseurs de guerre (parents pauvres des autres), ou des agents de police de la réaction.
Tournons les yeux d’autres côtés. La mortalité. La mortalité était jadis considérable en Russie, et dépassait 30 pour mille. Pendant les quatre dernières années, elle est tombée de 27 pour mille à 17 pour mille. La mortalité en U.R.S.S. reste encore supérieure au chiffre de l’Angleterre, des Pays-Bas (14-15) et de la Nouvelle-Zélande (si privilégiée sur ce chapitre : moins de 10), — mais elle est désormais inférieure à celle de l’Espagne et de la Hongrie (26), de la Roumanie et de l’Autriche (25), de l’Italie (22), de l’Allemagne et de la France (20).
Au début de 1934, la défense nationale représente dans le budget soviétique 4,5 % du budget total (pour le Japon 60 %, pour la France 40 %, pour l’Italie 33 %). L’Armée Rouge est de 562.000 hommes. L’armée du Japon est de 500.000 hommes. Hitler en réclame 300.000 comme la France, mais il en a, en réalité, 600.000 sous la main, selon les prévisions les plus basses, pour un territoire 50 fois plus petit que celui de l’U.R.S.S. L’armement soviétique a progressé considérablement. Vorochilov déclarait, au début de 1934, que l’outillage et l’armement représentaient en 1929, 2,6 chevaux-vapeur par soldat rouge, et en 1934, 7,74 CV.
Tandis que la production soviétique effectuait sa mobilisation, que son commerce de détail augmentait de 175 %, 48 pays voyaient leur commerce s’abattre à 42 % du chiffre de 1929, les salaires des travailleurs tombaient pour la période 29-32, de 43 à 26 milliards de marks, de 53 à 28 milliards de dollars, de 381 à 324 millions de livres sterling — dans les pays du mark, du dollar et de la livre. Depuis que ces statistiques sont notées, la réalité les a empirées.
En 1930-32, 5.000 banques ont fait faillite aux États-Unis (trou de 3 milliards et demi de dollars, malgré une subvention de 850 millions de dollars. [Contraste reposant : la star Greta Garbo gagne, à Hollywood, 15 millions par an. Elle est tellement saturée d’argent qu’elle vient de refuser 160.000 fr. pour dire seulement « Alla » à la T.S.F.]
En 1932, en Allemagne, il a fallu que l’État (par la personne du contribuable) crachât un milliard de marks pour « assainir » 5 banques.
A la même époque, en France, et de par la même procédure, 3 milliards ont été donnés aux respectables banques ayant fait banqueroute. Extrayons au hasard dans un journal plutôt conformiste, à côté de l’indication de 300.000 chômeurs, et 150.000 intellectuels dans la misère — celle de 120.000 faillites en 1900 — et tout cela rien que pour Paris et le département de la Seine. (Aujourd’hui — fin 1934 — 375.000 chômeurs dans la région parisienne).
Le déficit budgétaire était, en 1930, de 900 millions de dollars aux États-Unis et de 2 milliards 800 millions de francs en France ; l’année suivante, le déficit américain se multipliait par trois et devenait 2 milliards 800 millions de dollars, le français se multipliait par deux et devenait 5 milliards 600 millions de francs ; avant-dernier budget, 9 milliards. [La dette de la France est de 64 milliards-or, sans compter les dettes communales. Le déficit du Trésor, sans compter le déficit des chemins de fer, est d’environ 12 milliards. (M. Caillaux, président de la Commission des Finances du Sénat, décembre 1934).] Italie, 4 milliards de lires. Et aujourd’hui, en Amérique, c’est tout un échafaudage d’État de combinaisons aussi draconiennes que vaines à quoi s’évertuent une collection de cervelles de qualité supérieure. Et en France, c’est — outre l’immoralité de la Loterie permanente — l’inflation politique, la planche aux décrets-lois, qui permet de travailler le Français pris à la gorge, pour lui faire rendre son magot. Le déficit s’agrandit partout malgré l’augmentation forcenée des impôts, malgré toutes les diminutions des salaires, des traitements, des allocations de chômage, des pensions, le rognement lamentable des crédits affectés au développement scientifique, aux besoins sociaux, à l’éducation, aux progrès, malgré les « conversions » qui font faire faillite aux petits épargnants. Et malgré la Nouvelle Morale Économique qui consiste à ne pas payer ses dettes. En France, ne pas payer l’Amérique est devenu un sujet de vanité nationale pour ceux-là qui vitupéraient le Boche de ne pas vouloir payer les 600 milliards de francs qu’il ne devait pas. Les chansonniers français ridiculisent d’une façon charmante l’oncle Sam qui a le mauvais goût de crier qu’on l’a mis dedans. Malgré, enfin, les barrières prohibitives qui se jettent l’une par-dessus l’autre — la course aux armements douaniers —, le système fou de surenchère par lequel on prétend traiter ce qui ne pourrait se résoudre que par une entente internationale impossible avec le capitalisme.
Un exemple assez typique de l’absurdité aussi grotesque qu’odieuse, des tarifs douaniers, et de cette mise à sac qui s’exerce aux frontières aux dépens du consommateur national : le café en France. Le café n’est pas un produit de luxe, c’est réellement dans l’alimentation publique, un produit de première nécessité. De plus, il ne s’agit pas spécialement ici de défendre l’agriculture nationale, puisque les Colonies françaises ne produisent qu’une quantité minime de café à l’égard de la consommation de l’Empire français. Le café coûte 320 francs les cent kilos (360 avec la prime d’achat). Or chaque quintal est grevé de 321 francs de droits de douane, de 180 francs de taxe de consommation, de 100 francs de taxe de licence, et d’un certain nombre de taxes, de surtaxes, soit en tout 630 francs, près du double du prix d’achat. Telles sont les formidables coupes réglées, véritables défis au bon sens, que la voracité du fisc désemparé opère dans nos pays parmi les citoyens consommateurs. [Le consommateur, c’est le contribuable, et le contribuable, c’est le bétail qui paye. Il y a l’impôt direct, l’impôt indirect, et l’impôt, camouflé. C’est purement et simplement fouiller dans la poche de tous les citoyens que d’inventer du travail pour occuper les chômeurs, qu’on voue d’autre part au chômage, que de donner des rations de vin aux soldats incarcérés dans les casernes, au profit des paysans qu’on livre d’autre part aux intermédiaires, que de diminuer le prix du transport des vins au profit des gros vendeurs de vin.]
Alors que cela se passe, on se livre au Brésil à des destructions massives de café. Un journal économique l’annonçait dernièrement en termes choisis : « A la fin de la campagne en cours, le Brésil aura délivré le marché de 32 millions de sacs, pour relever les cours ». 32 millions de sacs, cela représente une fois et demie toute la consommation mondiale du café en un an.
Voilà la situation là, chez ceux qui modèlent la société sur les besoins de tous. Voilà la situation ici, chez ceux qui modèlent les besoins de tous sur leur société.
Pour des raisons qu’un enfant comprendrait : Ici, désordre et chute.
Là-bas, ordre et montée. Tout compte fait, depuis que l’homme est homme, on n’a jamais accompli dans le monde un pareil progrès d’ensemble. Comme le dit Staline, « on a vu s’élargir la pratique des rythmes impétueux ». Et il dit aussi : « Chaque période du développement national a son épopée. Aujourd’hui, en Russie, c’est l’épopée de la construction. » On n’a jamais vu non plus un travail si colossalement rationalisé. Le Plan 1928-32 est le témoignage le plus étendu qui a été donné jusqu’ici, de l’intelligence et de la volonté humaines.
C’est-il qu’il n’y a pas de points faibles ? Eh si, il y a des points faibles. Mais on a les yeux dessus. Les transports ne sont pas encore à la hauteur. L’U.R.S.S. n’a que 83.000 kilomètres de voies ferrées, alors que la France, 40 fois plus petite, en a 40.000 kilomètres. Bien que le trafic ferroviaire ait passé, pendant les trois dernières années, de 113 milliards t. km. à 172 milliards, et celui des canaux et neuves, de 45 à 60 milliards t. km. — il y a là un retard qui ne saurait subsister sans préjudice.
D’autre part, les experts soviétiques constatent que les prix de revient n’ont pas suffisamment diminué. Ils n’ont même pas diminué du tout, en somme, pendant les quatre années du Plan. La mise au pas de ces prix doit donc être inscrite en tête du prochain programme. Et tant d’autres insuffisances sur lesquelles il faut se jeter avec fureur !
Et quelle est, aujourd’hui, l’attitude de la grande bourgeoisie et de sa bonne à tout faire, la grande presse, devant le bilan de l’expérience soviétique ? Feu M. Poincaré a donné son opinion dans un journal argentin, La Nacion. Pour expliquer la crise capitaliste (qui est une crise de surproduction émanant de pays qui vivent ensemble à couteaux tirés sous le régime de la guerre des tarifs), M. Poincaré prend à partie la criminelle tentative de l’U.R.S.S. pour équilibrer son économie. C’est l’U.R.S.S. qui est responsable de l’écroulement de toutes les autres économies dans les cinq sixièmes du globe ; car : « En U.R.S.S., tout se passe en exécution d’un Plan Quinquennal qui doit permettre au dumping de s’étendre rapidement aux produits fabriqués. A la faveur de ce système, l’U.R.S.S. se propose d’introduire chez les autres peuples, avec un malaise économique grandissant, des discordes et des dissensions qui les mettent dans l’impossibilité de concerter leur défense. ». Quand on pense que cette appréciation vraiment imbécile fut proférée par un homme qui a joué un rôle important dans la politique, on reste confondu. Il y avait beaucoup plus longtemps qu’on ne le croyait que M. Poincaré était retombé en enfance.
A côté des ennemis, il y a les amis d’une espèce particulière.
Il y a des journalistes comme M. Mallet, auteur d’un tout récent reportage où le dénigrement le plus parfait se cache sous les fleurs de la flatterie et sous une prétention un peu trop épaisse et pataude d’impartialité. M. Mallet, outre qu’il donne des chiffres faux, ne cite pas un résultat, pas un progrès, sans tenter de le démolir ensuite par un coup d’épingle empoisonnée, ou bien par la constatation que tout cela, c’est — enfin ! — du bon vieux capitalisme sauveur.
Il y a aussi les gros politiciens tapageurs comme M. Herriot, représentant du capitalisme occidental, fournisseur attitré d’étiquettes radicales aux gouvernements réactionnaires — M. Herriot qui se bat les flancs et se donne tout le mal qu’il peut pour essayer de rapetisser le socialisme soviétique à la dimension de son propre programme électoral, qu’il ressuscite à cette occasion.
Je sais bien ce qu’on va me dire : « Si vous disiez autant de mal de la Russie que vous en dites du bien, nous vous croirions. M. Herriot, par exemple, dans son dernier livre, fait un reportage équilibré, objectif avec des lumières et des ombres, tandis que vous, vous faites un panégyrique, par parti pris. »
Voire. C’est la seule réalité qui fait le panégyrique. Nous n’inventons aucun argument.
Est partial celui qui, serviteur d’une conception bâtarde et médiocre de républicanisme capitaliste, ne voit pas les dimensions et les profondeurs de l’originalité créatrice mise en action là-bas Celui-là ne situe pas le fait soviétique dans ses vrais cadres du temps et de l’espace, dans son cadre mondial et historique, dans ses répercussions sur l’humanité. Il ne dit pas la vérité.
Or, le fait, le voici. Le plus misérable État de l’Europe (malgré ses grandeurs désertiques), ignare, ligoté, battu, affamé, saignant et démoli, est devenu en dix-sept ans le plus grand pays industriel d’Europe, le second du monde — et le plus civilisé de tous, sur toute la ligne. Une telle progression, qui ne s’est jamais présentée, s’est accomplie — ce qui ne s’est jamais présenté non plus — par les seuls moyens de ce pays dont tous les autres ont été les ennemis. Et cela s’est fait par la force d’une idée, qui est à l’opposé de l’idée directrice de toutes les autres sociétés nationales — l’idée fraternelle et scientifique de justice.
Dire seulement qu’un tel fait (une telle conquête de l’esprit humain), est « intéressant », et « qu’on ne doit pas le condamner en principe », c’est ne pas le comprendre ou bien c’est tromper les gens. Mettre les quelques ombres de cet extraordinaire tableau sur le même plan que ses lumières ; comparer ces institutions-là aux nôtres, c’est vraiment se moquer du monde.
Mais laissons le cortège des hommes-orchestres comme M. Herriot, des minus habens comme M. Poincaré, des aimables jésuites comme M. Mallet, des ivrognes comme M. Parijanine, des fripouilles comme M. Bajanov. Voici les grands journaux. Il leur faut avaler la pilule.
Le Temps, dans son numéro du 27 janvier 1932, écrit : « L’Union Soviétique a gagné la première manche en s’industrialisant sans apport du capital étranger. » Le même journal, quelques mois plus tard, en avril, constate : « Le communisme aura franchi d’un bond l’étape constructive qu’en régime capitaliste il faut parcourir à pas lents. Pratiquement, les bolcheviks ont gagné la partie contre nous. »
Le Round Table : « Les réalisations du Plan Quinquennal constituent un phénomène surprenant. » Le Financial Time : Neue Freie Presse (Autriche) : « Le Plan Quinquennal est un nouveau géant. »
M. J. Gibson Jarvie, président de la Banque United Dominion : « La Russie progresse au moment où nous reculons. Le Plan Quinquennal a été dépassé… Ame et idéal… La jeunesse et les ouvriers de Russie ont une chose qui nous manque : l’espoir. »
The Nation (États-Unis) : « Les quatre années du Plan Quinquennal présentent des réalisations vraiment remarquables. L’Union Soviétique s’est consacrée avec une activité intense, propre aux temps de guerre, à l’édification des bases d’une vie nouvelle. »
Forward (Angleterre) : « Les réalisations anglaises pendant la guerre ne sont que bagatelles à côté. Les Américains reconnaissent que même la fiévreuse période constructive la plus intense dans les régions de l’ouest, n’offrait rien de comparable… Énergie sans précédent dans le monde entier. Défi éclatant au monde capitaliste hostile. »
La Paysannerie.
A la campagne, l’œuvre accomplie fut plus importante encore.
Ce fut une plus grosse bataille et une plus grosse victoire — parce qu’il fallait modifier radicalement une tradition qui avait des attaches beaucoup plus vivaces et vierges.
La question des paysans est-elle réglée à jamais ? Non. Mais ce fut là un énorme début. Le plus important a été fait — la victoire concrète, l’invasion, qu’il convient maintenant de perfectionner — dont il faut faire entrer plus à fond les raisons dans la tête de l’homme de la terre.
Un dernier coup d’oeil sur ce panorama illimité des champs.
« La lutte pour la conquête de la paysannerie se déroule comme un fil rouge à travers toute notre révolution, de 1905 à 1917 », dit Staline.
Décider le gros des paysans à être sympathiques ou à être non antipathiques à la Révolution, avait été relativement aisé, à cause du misérable sort que la grande multitude d’entre eux subissait sous le régime antérieur : A choisir entre le tsarisme et la révolution, ils n’hésitaient pas.
Mais une fois la révolution stabilisée au centre, l’édification socialiste qui avait été rendue possible par diverses circonstances économiques et politiques, rencontrait un fort obstacle : le volume de l’agriculture dans l’ensemble économique.
« Une des grandes difficultés de l’édification socialiste, dit nettement Lénine au commencement de tout, c’est que la Russie est un pays agricole. » Et le même Lénine constate que la petite propriété paysanne est, en principe, plus orientée vers le capitalisme que vers le socialisme.
Comment intégrer les campagnes dans l’édification générale ? Pour la grosse propriété, le problème fut immédiatement résolu par l’expropriation du gros propriétaire, l’ennemi commun. Restait la petite, les millions de parcelles individuelles —, et comme tous les paysans de la terre, le moujik veut fondamentalement, et de toutes ses entrailles, avoir son champ. Quand on s’agitait dans la NEP, un peu a la manière de naufragés bons nageurs, Lénine annonça que « la tâche essentielle, la tâche qui décidera du reste, et à laquelle tout doit être subordonné, c’est l’établissement d’une soudure entre la nouvelle économie que nous avons entrepris d’édifier, très mal, très maladroitement, mais que nous construisons tout de même, et l’économie rurale dont vivent des millions de paysans. »
Celte soudure, il fallait la trouver dans des intérêts communs, dans le profit matériel du paysan. C’était une affaire d’avantage ou de désavantage, ce n’était pas une affaire de grands mots.
« Ce n’est pas du tout un sentiment mystique qui poussera les paysans au socialisme, c’est leur intérêt, et seulement leur intérêt. »
Leur montrer qu’ils ont intérêt au socialisme. Comment ? Nous connaissons la réponse : par la grande culture. La grande culture, la culture perfectionnée, demande la mise en commun des champs et des travailleurs — et elle rapporte davantage que l’autre. Elle incorpore donc directement les nécessités de l’intérêt de chacun dans la conception socialiste.
Le paysan russe, qui est beaucoup plus réaliste que mystique (il a surtout le mysticisme du réel), est susceptible d’être gagné par des chiffres — dès lors qu’il s’aperçoit que la part qui revient à chacun dans l’exploitation collective est à la fois beaucoup plus élevée, et beaucoup plus stable, que le bénéfice de l’exploitation individuelle émiettée. Le moujik croit au talisman des nombres.
La question se posait pour le paysan pauvre, et surtout — car le très pauvre est maniable du fait qu’il n’a rien à perdre — pour le paysan moyennement pauvre, pour le paysan moyen. Au XVe Congrès du Parti Russe, Staline se préoccupe du paysan moyen. Il appuie sur ce fait que « le paysan moyen, dans la période de la Révolution d’Octobre, s’est effectivement tourné vers nous après s’être convaincu que la bourgeoisie est renversée pour de bon, que l’on vient à bout du koulak, que l’Armée Rouge commence à vaincre sur les fronts civils. »
Il faut une alliance solide avec le paysan moyen — alliance « qui ne soit nullement une condescendance à ses préjugés », mais qui tende à lui faire comprendre et admettre la transformation qui s’impose « dans le sens de la collectivisation de l’économie soviétique en général et de l’économie rurale en particulier » — et du refoulement, hors de la combinaison, du parasitisme koulak. Car de pareilles conquêtes de masses ne peuvent s’accomplir par contrainte, niais seulement par persuasion.
Il s’agit de l’extension, toute naturelle, à la production, du système de la coopération qui a déjà semé d’excellents jalons et préparé le terrain sur le plan de la consommation et de la vente.
Bons, alors que les grandes terres inoccupées sont transformées en sovkhoz ou exploitations d’État purement et nettement socialistes (qui donnent l’exemple), transformer les exploitations privées individuelles en kolkhoz (coopératives agricoles de production).
Au bout de quatre années du Plan — en même temps que les ensemencements de blé avaient augmenté sur l’U.R.S.S., de 21 millions d’hectares, — il avait été créé 224.000 kolkhoz et 5.000 sovkhoz. (Fin 1934, 240.000 kolkhoz).
Dans la gravitation kolkhozienne sont entrées 65 % des exploitations agricoles du territoire soviétique, 70 % (on peut dire maintenant les trois quarts) des terres paysannes. Le pourcentage de l’exploitation collective dans les colonies paysannes a monté les échelons suivants : en 1929, 4 points ; en 1930, 23 ; en 1931, 52 ; en 1932, 61 ; en 1933, 65, englobant 2 millions d’économies paysannes. On voit s’avancer par ondes la conquête, réfléchie des plaines démesurées. Les kolkhoz et les sovkhoz réunis possèdent 85 % des champs et céréales de l’U.R.S.S.
Et ces domaines sont d’imposantes proportions : alors qu’aux États-Unis les fermes de 400 hectares ne représentent que la centième partie des fermes, l’étendue moyenne des kolkhoz est 434 hectares ; des sovkhoz, 2.000 hectares.
Les avantages matériels de la collectivisation ont été, au cours de la colossale installation actuelle du socialisme dans les campagnes, confirmés par certains faits caractéristiques. Signalons-en un : Il est reconnu aujourd’hui qu’en Ukraine, c’est la mise en œuvre des grandes ressources de la communauté qui a permis de parer aux grands dangers dont la sécheresse menaçait la récolte, et d’avoir, en 1934 pour toute l’Union, en dépit des conditions atmosphériques défavorables, une récolte meilleure que celle de 1933.
L’État a aidé les paysans : en organisant pour eux 2.860 stations de machines et de tracteurs ayant coûté 2 milliards de roubles ; — par 1.600 millions de roubles de crédit aux kolkhoz. Qu’on comprenne que ce sont là des crédits qui vont d’une certaine forme de la collectivité à une autre forme de la collectivité, de tous à tous, et non, comme les crédits français aux Chemins de fer ou à la Transatlantique, de royales subventions ministérielles, dont une bonne partie va aux Conseils d’Administration, sans parler des intermédiaires ; — par des prêts de semences et de grains alimentaires s’élevant à 42 millions de quintaux ; — par un allégement des impôts et des assurances des pauvres, s’élevant à 370 millions de roubles ;
La réciproque : en 1929-30, les « paysans individuels » ont donné à l’État 780 millions de pouds (1 poud = 16 kilos) de grain, et les kolkhoz, 120 millions. En 1933, la proportion est renversée : kolkhoz, un milliard de pouds ; paysans individuels, 130 millions. Il faut enfin noter ici pour mémoire, l’énorme accumulation harmonique des instituts, des laboratoires, des écoles scientifiques, des expéditions, des tournées agronomiques. Cette organisation rationnelle de l’agriculture avec ses classifications monstres, ses recherches, ses sélections, ses expériences sur les méthodes de culture et les engrais, ses distributions, nous dévoile à elle seule d’émouvantes statistiques.
A la fin de 1934, la prospérité économique de l’U.R.S.S. était telle, que le Gouvernement soviétique a annulé les dettes des kolkhoz, ce qui représentait la coquette somme de 435 millions de roubles — sans même oublier de donner des primes et des avantages aux kolkhoz qui s’étaient acquittés de leurs dettes. « Quel autre gouvernement sur la Planète aurait pu s’offrir ce luxe ? » s’est contentée de constater l’autre soir la Radio Centrale de Moscou.
Autre fait plus typique encore : Sur la proposition de Staline, le Comité Central du Parti a décidé de supprimer les cartes de ravitaillement de pain et de farine (décembre 1931). Elles avaient été créées en 1929, à un montent où 86 % du blé provenait de cultivateurs « individuels », et où il y avait un réseau de 215.000 magasins privés (aujourd’hui disparus). Ce service avait nécessité un appareil administratif très onéreux, mais il avait assuré le ravitaillement en pain des ouvriers et des employés, à un prix minime (en dépit des prix très hauts qui régnaient sur les marchés des villes). Aujourd’hui que la grande industrie a triomphalement démarré à la ville et à la campagne, que 92 % du blé est livré par les kolkhoz et sovkhoz, qu’il y a 283.000 magasins d’État, « que les ressources de l’État ont grandi dans des proportions inouïes en ce qui concerne des denrées aussi importantes que le pain — l’heure est venue d’envisager, comme grande et nouvelle victoire de la politique des Soviets, la vente générale et libre du pain et de la farine ». (Molotov).
Allons-nous essayer de comparer la situation de la paysannerie, dans l’U.R.S.S. et dans nos pays ? Nous venons d’ouïr un débat à la Chambre française sur la question du blé. Le Président du Conseil a confirmé à la tribune un fait, qui pour énorme qu’il fût, n’a rien appris à personne : Entre le paysan producteur et le consommateur de pain s’introduisent des intermédiaires qui rançonnent l’un et l’autre, et réalisent dans le pays un bénéfice de dix millions par jour. Par ailleurs, le paysan français vend son veau 2 fr. 50 le kilo ; le même veau, dans le même village, est débité 10 francs le kilo et, à la ville, 20 francs. Le vigneron vend son vin supérieur 1 fr. 50 le litre au bourg, le débitant le lui revend, s’il a soif, 4 francs. S’il va à la ville, il le retrouve pour 15 francs ; dans le restaurant chic, 20 francs. Comment arranger cela ? Par des mesures provisoires. Pas moyen de le faire d’une façon durable en régime capitaliste où l’arbitraire et la fraude individuelle sont irréductibles, où elles manipulent à leur profit aussi bien le système de la taxation que celui de la liberté du marché, et se rient de ce qui est imprimé dans le Journal Officiel. Chez nous il ne peut sortir, des bâtiments à l’enseigne : Liberté — Egalité — Fraternité, que des lois qui fassent semblant de s’occuper des petits producteurs.
… Que si l’on veut avoir maintenant quelques données comparées sur le rendement, on saura que la production du coton soviétique est passée en trois ans de la trentième partie à la quinzième partie de la production mondiale, et que la culture des betteraves qui formait, en 1929, le tiers de la culture de tous les autres pays réunis, dépassa en 1932 cette culture mondiale de plus de la moitié.
Il y a deux formes de kolkhoz : la Commune et l’Artel.
Dans la Commune, les kolkhoziens possèdent en commun l’exploitation tout entière, mais c’est tout ce qu’ils possèdent, et ils vivent en commun. Dans l’Artel, chaque kolkhozien a sa maison, sa basse-cour, au besoin sa vache : Il reste propriétaire privé pour un petit quelque chose sur le pourtour de la vaste exploitation qu’il partage d’autre part avec-les autres.
La forme de l’Artel est celle que préconise très véhémentement Staline. Concession ! NEP ! Abandon du socialisme ! crie-t-on, ou a-t-on envie de crier.
Minute. Le socialisme, contrairement à la légende que ceux qui ne veulent pas savoir font courir parmi ceux qui ne savent pas, n’a pas été inventé pour embêter les gens, et les relancer sans cesse en leur criant : « tu dois ! », comme un créancier, mais, bien loin de là, pour les tirer d’affaire. Sa raison d’être n’est nullement de priver à plaisir chacun et chacune de tout ce qui leur cause une satisfaction, et de leur faire payer ainsi trop cher, à force de restrictions particulières, l’égalité politique, la justice sociale, la sécurité vitale, qu’il leur apporte.
Les restrictions de la propriété privée ne sont pas un but, mais un moyen pour arriver à un état collectif beaucoup plus avantageux, tout compte fait, pour chacun. Il ne s’agit donc pas de les multiplier à tort et à travers, mais de les réduire au minimum nécessaire. Il faut socialiser les moyens de production. Socialisons-les. Après ?
Après ? L’esprit public, qui est en train de changer par la force des choses, aura changé — par la force des choses. Les survivances qui y demeurent encore à présent se résoudront. On envisagera ces questions sous un jour autre que ne le font ceux qui aujourd’hui ont encore les pieds plantés dans le passé. Tout naturellement, on préférera les formes plus pures et plus intégrales du collectivisme. La Commune prendra sans doute sa revanche sur l’Artel. En tout état de cause, c’est l’intérêt profond, que traduit instinctivement la préférence, qui décidera. En attendant, on pratique l’Artel, qui, du reste, ne heurte pas la réelle idée d’égalité, mais seulement la formule étroite (et antimarxiste) d’égalitarisme.
Et il y a même lieu d’envisager « le bien-être de tout kolkhozien » (cette expression est actuellement un mot d’ordre). « Tu veux ta vache, camarade, dit Staline. Tu auras ta vache. » Et il montre du doigt que le mot d’ordre : l’aisance aux kolkhoziens, n’a pas le sens dangereux qu’il aurait eu au début de la NEP où il eût été le premier engrenage du retour au capitalisme, contre le socialisme lui-même. Aujourd’hui, au sein de la socialisation, il n’est qu’un stimulant utile et loyal. D’ailleurs tout le socialisme lui-même tend rigoureusement au « maximum de bien-être pour le minimum d’efforts. »
… Le plus gros est fait à l’heure où nous sommes, dans les campagnes. Mais cela n’a pas été tout seul, et il faut consolider et pas mal veiller. Il y a eu réellement résistance. Cette résistance s’est arc-boutée sur celle, désespérée et féroce, des koulaks. Et puis, on a dû subir les déconvenues de la période d’apprentissage d’une aussi énorme mise en œuvre. A un certain moment, on perdait pied ! On avait été trop vite. L’article de Staline : « Le Vertige du succès » (cet article est devenu légendaire), marqua le point et arrêta l’embardée. Il fallait faire quelque chose. Alors, on a fait une mobilisation de communistes et de techniciens, dont on a inondé les campagnes — en partant de ce principe que pour remettre un travail en bonne place, quelle qu’en soit la dimension, il faut en reprendre toute la direction et tous les points de départ, — re-enrichir la base, et repartir. Chaque station de tracteurs est devenue une citadelle idéologique pour pénétrer et éclairer le cerveau des foules paysannes. C’est ainsi que 23.000 communistes émérites, 110.000 techniciens, en même temps que 1.900.000 chauffeurs et mécaniciens, sont partis à la rescousse et sont arrivés à leurs fins, pour le moment.
Des critiques persistent. La majorité des kolkhoz ne rapportent pas. Et voici même que certains communistes proposent carrément de liquider cette expérience onéreuse.
Une fois de plus, notre solide dirigeant montre sa grandeur de vues en s’opposant avec une amère violence à cette solution sommaire de myopes. Il crie par-dessus cette explosion de criailleries :
Ils ne rapportent pas ? C’est comme les usines industrielles en 1920 : ils rapporteront (d’ailleurs il en est beaucoup qui rapportent). Mais « ils sont surtout la base de l’ensemble, le fondement du système… On ne peut considérer le rendement économique du point de vue mercantile, en partant de la conjoncture du moment. Le rendement économique doit être envisagé au point de vue de l’économie nationale tout entière et pour une période d’activité de plusieurs années. Seul un tel point de vue peut être appelé vraiment léniniste, vraiment marxiste. »
C’est pourquoi c’est le point de vue stalinien.
Si Staline sermonne les abandonneurs, les « gâcheurs » de droite, il secoue aussi les « phraseurs » de gauche, et aussi les dirigeants qui se laissent gagner de vitesse par les faits. C’est ainsi qu’il incrimine sans ménagement les communistes des régions agricoles qui n’ont pas su prendre des mesures nécessaires pour qu’en 1932, où la récolte a été bonne, les stockages d’État de blé aient été faits avant les opérations — plus lucratives pour le paysan — de vente des blés sur le marché kolkhozien.
Il critique même le Conseil des Commissaires du Peuple, lequel, tout en édictant les directives qui s’imposaient à ce sujet, ne l’a pas fait, à son sens, avec assez de netteté et de force.
Les résultats obtenus par la « kolkhozation » sont remarquables, constate-t-il, mais ce serait une erreur profonde de s’imaginer qu’il n’y a plus qu’à laisser faire. De grandes difficultés subsistent…
Attention à ce que le paysan ne se décharge pas du travail sur les autres membres du kolkhoz (nous n’avons pas ici, affaire avec des ouvriers, qui ont le diable au corps). « La responsabilité pour l’exploitation s’est déplacée, des paysans considérés isolément — sur les dirigeants du kolkhoz… Il faut donc que le Parti prenne en main la direction des kolkhoz… »
Souvent il n’y a pas de contact suffisant entre le Parti et la paysannerie. « Les ronds de cuir plongés dans leurs fauteuils bureaucratiques, ne se rendent pas bien compte que la collectivisation se poursuit en dehors des bureaux. » Dans certains cas, les communistes se reposent sur leurs lauriers. Ceux-là ont surestimé les kolkhoz. « Ils en ont fait des idoles », et Staline reprend énergiquement la contrepartie de ce qu’il a dit contre les liquidateurs des kolkhoz : « Ils ont pensé que puisqu’il y avait des kolkhoz, cette forme socialiste de l’économie, tout était dit. »
Mais, souligne Staline (et il découvre, sur ce point particulier, la base de toute l’autocritique marxiste), les kolkhoz, comme les soviets, ne représentent que la forme de l’organisation socialiste, économique ou politique, mais la l’orme seulement. Tout dépend du contenu. En 1917, les soviets étaient dirigés par les menchéviks et les social-démocrates… Des soviets sans communistes, tel était le mot d’ordre du guide de la contre-révolution russe : Milioukov. La forme collective des kolkhoz donne certaines commodités à des éléments contre-révolutionnaires partisans de « kolkhoz sans communistes ».
Staline dit encore : « La vieille lutte simplifiée contre le koulak classique n’a plus sa raison d’être. La lutte a changé de forme. Si certains kolkhoz ne se développent, pas suffisamment, si le stockage des blés a été mauvais, la faute n’en est pas aux paysans, mais aux communistes. Beaucoup sont munis, il est vrai, de la carte du Parti, mais n’en sont pas moins des niais. »
Et il est impitoyable pour les camarades « grands seigneurs » qui attendent que les choses se fassent toutes seules, et pour les camarades bavards « capables de noyer dans leur bavardage n’importe quelle affaire ». Il raconte une conversation qu’il a eue avec un excellent camarade, responsable de région.
Écoutons et regardons la petite scène :
Moi. — Où en sont les semailles, chez vous ?
Lui. — Les semailles, camarade Staline, nous avons mobilisé.
Moi. — Oui, et alors ?
Lui. — Nous avons posé la question avec énergie.
Moi. — Oui, et alors ?
Lui. — Nous avons un changement favorable, camarade Staline, nous l’aurons bientôt, le changement favorable.
Moi. — Oui, mais enfin ?
Lui. — On fait des projets d’amélioration.
Moi. — Voyons, à la fin, où en sont les semailles chez vous ?
Lui. — Les semailles, pour l’instant, nous ne pouvons arriver à rien, camarade Staline.
Tout de même, les résultats effectifs s’accumulent par-dessus les petites pierres d’achoppement, et malgré tout, la face des campagnes n’est plus la même. Si elle ne change pas aussi vite que le voudraient notre enthousiasme et noire soif d’avenir, elle change. D’ailleurs le visage du village a lui aussi changé. C’est Staline qui parle : « Le vieux village avec son église bien en évidence, avec les belles maisons du chef de la police, du pope et du koulak, au premier plan ; et ses isbas à demi écroulées, au plan arrière, ce village-là, commence à disparaître. A sa place, apparaît le nouveau village, avec ses bâtiments des services publics et économiques, ses clubs, sa radio, son cinéma, ses écoles, ses bibliothèques et ses crèches ; avec ses tracteurs, « ses combinés » (moissonneuses-batteuses), ses batteuses, ses automobiles. Disparues, les anciennes silhouettes des notables, le koulak exploiteur, l’usurier buveur de sang, le marchand spéculateur, le petit père — chef de police. Les notables, maintenant, sont les hommes des kolkhoz et des sovkhoz, ceux des écoles et des clubs, les conducteurs-chefs des tracteurs, des batteuses, les chefs des brigades de choc pour les travaux des champs et pour l’élevage, les meilleurs brigadiers et brigadières de choc du village kolkhozien. »
Finis, relégués dans les tableaux ou sur les scènes d’opéra, ces décors coloriés et clinquants d’église qui éblouissaient le pauvre bétail humain, ces rues et ces places sales comme des poulaillers — et ces chemins difficultueux où passaient de temps en temps des carrioles aux chevaux surmontés d’un accent circonflexe.
Finis, les plantureux et écrasants personnages enfermés là dedans comme dans une boîte : la barine descendant, à longs intervalles, d’un traîneau, vêtue orgueilleusement à l’ancienne mode, entourée de lumineux lévriers blancs aux profils aérodynamiques ; le paysan impitoyablement cossu, et les uniformes — domestiques en livrée dorée, d’en haut, gardiens de prison d’en bas — et les hommes à robe, dont la figure papelarde était entourée d’une filasse crasseuse.
Fini. Maintenant le décor est mécanique et spacieux et ceux qui y passent et y commandent sont des hommes en blouse à figure franche et résolue, heureuse et fière. [M. Victor Boret dans son livre : Le Paradis Infernal, estime que la situation de l’agriculture soviétique est critique et menaçante à cause de la très petite étendue relative des terres cultivées (environ 140 millions d’hectares pour 168 millions d’habitants). A cette vue se rallie — naturellement — M. Herriot. Mais que l’agriculture soviétique ait actuellement un rendement encore insuffisant, et quantitativement et qualitativement, tant mieux ! Cela lui donne une vaste marge de prospérité future (elle n’est à court ni de place ni de progrès). C’est le contraire qui serait grave.]
On commence même à entrevoir dans tel kolkhoz perfectionné, comme celui de Kabarda, des formes géométriques qui se rapprochent certainement de celles de la cité paysanne future : une grande place demi-ronde, tangente à la route, et tout autour, comme les rayons prolongés de ce demi-cercle, des rues qui divisent le territoire en secteurs spécialisés : ici les hangars et les silos, là les tracteurs et les autos, là les écoles et les services techniques, etc. En un mot la rationalisation architecturale de la « ville-village ». Un plan qui ressemble à la moitié d’une vaste rosace, estompée sur les bords.
Tandis que la campagne soviétique, non sans combats, se perfectionne et s’idéalise, nos regards évoquent un autre grand continent piétiné par le capitalisme suprême, les États-Unis. Les ensemencements de blé y ont été diminués du dixième. La valeur de la production agricole est tombée, de 11 milliards de dollars, en 1929, à 5 milliards en 1932. En deux ans, la valeur des fermes (terres et machines) a diminué de 14 milliards de dollars. 42 % des agriculteurs ont hypothéqué leurs biens, et s’il y a eu, en 1932, que 258.000 expulsions, c’est grâce à la révolte armée des fermiers.
Et la N.R.A., émanation cérébrale du capitalisme, n’a d’autre recours que le malthusianisme des récoltes, le suicide : réduction de 8 % de la surface cultivée, primes aux paysans ayant des terres qu’ils cessent de cultiver, primes aux planteurs de coton qui enterrent 25 à 50 % de leur récolte. Un ouragan vient de dévaster des plantations : joie, victoire nationale !
Les journaux français annoncent que la bonne récolte « menace » les vignerons de la Champagne… Pour remonter les affaires, là-bas et ici, à nous les inondations, les gelées, la grêle, et le phylloxéra !
Nous avons déjà parlé des monumentales destructions du café brésilien. De pareilles mesures, qui sentent à la fois le crime et la folie, méritent qu’on s’y arrête, avec un certain frisson de terreur. Aussi bien, elles se généralisent extraordinairement depuis ces dernières années. Il ne s’agit pas de faits isolés ; il s’agit bel et bien d’une méthode capitaliste.
A l’exemple du système des primes à la destruction et à l’avortement, sur le plan de l’agriculture et de l’industrie, pratiqué aux États-Unis, nous voyons déjà en France l’interdiction légale d’employer certains cépages au rendement trop abondant, l’interdiction de se servir de procédés perfectionnés dans des travaux publics (dans certains grands contrats, interdiction de la pelle mécanique). Dans Le Capital en personne, M. Caillaux indique comme un des moyens qui s’imposent pour combattre la crise : freiner et arrêter la transformation du vieux matériel en matériel neuf.
Pour faire avancer le progrès, à nous les outils du Moyen Age !
On assiste à un spectacle se multipliant sur toutes les facettes du globe, dans tous les compartiments du travail, et qui semble une farce macabre : On fauche le blé en herbe en Seine-et-Oise — et ailleurs. Dans les Pyrénées-Orientales — et ailleurs — on jette aux ordures des tombereaux de fruits. En Lombardie — el où encore ? — le paysan brûle ses cocons. Partout, des holocaustes de blé et de céréales : le grain, qu’on avait semé pour qu’il germât et vécût précieusement, on le tue et on l’enterre. On tue et on enterre des hectares de betteraves, et des troupeaux de porcs et de vaches. On jette des rivières de lait dans les fleuves américains (et pas seulement américains). On jette des cargaisons de poissons à la mer. On pilonne et on émiette des milliers d’automobiles neuves, tout équipées, de la General Motors, au moyen de monstrueuses machines spéciales.
Et ces catastrophes calculées, ces exécutions multipliées, se perpètrent alors que tous ces biens anéantis font défaut quelque part, alors que des famines déciment des foules terrestres, alors qu’en Chine et aux Indes, des centaines de millions d’êtres humains mangent de l’herbe ou l’écorce des arbres, et alors que les chômeurs et les sous-alimentés pullulent dans les pays mêmes où s’accomplissent ces meurtres de denrées et de produits fabriqués.
Ultime conséquence du capitalisme : il assassine la nature et assassine les choses ! Il n’y a pas d’accusation plus infamante que l’on puisse porter contre un régime que cette automutilation, pratiquée à grande échelle, et qui crie : monde à l’envers et retour de l’homme à la sauvagerie.
Quelle place pour ces extravagances funestes, dans un pays comme l’U.R.S.S. où tout excédent d’un produit se dirige automatiquement là où il manque ? « Si quelqu’un parlait d’employer de pareils procédés chez nous, a déclaré Staline, on se hâterait d’enfermer celui-là dans un asile d’aliénés. »
Si on revient en U.R.S.S. et que, du côté des choses, on passe du côté des hommes — là où les faits prennent souvent leur source et toujours leur direction, on constate que la progression à vue d’œil de pareilles réalisations s’est accomplie grâce à un élan tout à fait spécifique. Il y a eu sur-profit, sur-rendement, provenant de l’enthousiasme suscité par « l’idée ». L’émulation socialiste fut le formidable « impondérable » qui pesa tant sur le succès.
Les ouvriers soviétiques sont des hommes comme les autres. Pourtant, je l’ai déjà dit, ils n’ont pas les mêmes têtes et ils n’ont pas les mêmes bras que les ouvriers des pays capitalistes, puisque, ici, ils sont en lutte contre le patronat, et que là-bas, ils travaillent pour eux-mêmes. Le sentiment d’orgueil et de joie qui brille sur la face des ouvriers soviétiques est le « changement » qui frappa le plus Gorki lorsqu’il revint en U.R.S.S. en 1928 après une longue absence. « Voilà ce qu’ont fait les ouvriers socialistes ! » telle est la phrase qu’on entend le plus souvent — et proférée avec quel accent de fierté ! — dans les foules ouvrières, en présence des réalisations qui s’amassent l’une sur l’autre, s’épaulent, se recouvrent et foisonnent sur l’aire illimitée de l’ex-Russie, avec la rapidité artistiquement organisée d’un cinéma, parmi le ralenti de la vie mondiale.
Ces gens-là confondent joie et gloire, lorsqu’ils veulent évoquer la récompense de l’effort utile. Ils ont donné un sens plus documenté et plus profond, à la joie de vivre. Autrefois malgré les privations surhumaines, malgré l’hécatombe en détail et l’hécatombe en série, la joie de vivre a vaincu. Aujourd’hui, elle continue à vaincre, cette joie de vivre qui, selon la belle expression de Knorine, reste un signe de foi dans le socialisme.
Les extraordinaires tours de force, les efforts vraiment surhumains accomplis en grand et en petit, en gros et en détail, dans le colossal chantier soviétique, fournissent la matière de toute une série de poèmes épiques (et, du reste, la littérature soviétique contemporaine devient le cycle des chansons de gestes de cet âge du travail héroïque des hommes nés une seconde fois dans la liberté). Élan forcené, qui dure des mois et des années, ruées et cliquetis de chiffres — et énormités terrestres s’étageant en vitesse sous les nuages. Les qualifications, les compétences, se forgent en un clin d’oeil dans une telle atmosphère. M. Cooper, le conseiller technique américain qui s’occupa du Dnieprostroï, me disait, à l’inauguration du titanesque barrage, que tous les records, que toutes les prévisions mêmes, avaient été battus par les ouvriers, dans les circonstances les plus inattendues et les plus difficiles, et qu’on n’avait jamais vu pareil abatage de besogne. Du reste, 20.000 ouvriers qualifiés sont sortis tout armés, de cette entreprise-là (Sur l’ensemble du front de travail de la Guerre de Quatre Ans, 800.000).
Ces choses sont très logiques. Tout pour les travailleurs et par les travailleurs. C’est la formule algébrique des foules-motrices.
L’émulation est latente. Elle est partout, dans toutes les têtes des manuels et des intellectuels. Chacun pense au progrès possible (et comme cela, on découvre les lignes droites pour y arriver). Chacun s’évertue à trouver mieux. On devient des inventeurs permanents sous pression. Vorochilov, Commissaire du Peuple à la Guerre, faisait savoir, il y a quelques mois, qu’il avait reçu au cours d’une année, 162.000 propositions émanant de simples soldats, et contenant des suggestions, des idées, des inventions, concernant l’organisation et la technique, et, ajoutait Vorochilov, la plupart de ces initiatives étaient intéressantes et dignes d’être examinées et retenues.
L’organisateur de cet élan des cent millions de cœurs, c’est le parti socialiste intégral, le parti socialiste sans tache — le Parti Communiste, dont on peut dire ou que chaque membre est un serviteur ou que chaque membre est un dirigeant. Le communisme a créé dans l’univers une multiplication d’apôtres dont on peut difficilement se faire une idée. En Russie, puis dans les pays autres que l’U.R.S.S., une grande partie de ces apôtres sont devenus des martyrs, et les apôtres n’ont cessé de se multiplier. Sur tout le sol de la terre, les communistes ont répandu à profusion le beau rouge de leur sang : A perte de vue, tous ces assassinés, tous ces grands cadavres couchés dans leur drapeau de pourpre — et il y en a un million et demi. Se rend-on compte que le martyrologe séculaire des Juifs est en train d’être dépassé, pour l’étendue, par celui des socialistes d’avant-garde ? Dans les huit dernières années l’accumulation des tués, des blessés, des punis, atteint plus de 6 millions. [6.021.961, de 1925 à 1933, d’après l’éminente dirigeante du Secours Rouge International, Hélène Stassova. Évidemment, ce ne sont pas tous des communistes, mais on sait bien que ce sont surtout des communistes.]
Qui dira ce qui se passe dans toutes les geôles capitalistes de l’univers, qui donnera un aperçu des milliers et des milliers de scènes infernales et bestiales dont sont responsables les gardiens de l’ordre bourgeois et leur génie sadique de la souffrance humaine ! Italie, Allemagne, Finlande, Pologne, Hongrie, Bulgarie, Yougoslavie, Roumanie, Portugal, Espagne, Venezuela, Cuba, Chine, Indochine, Afrique. Il suffit de voir à l’œuvre n’importe quelle bourgeoisie et ses policiers, pour proclamer : Nous sommes à l’âge du sang. Mais on a entendu, dans le chaos universel, la beauté de la voix accusatrice d’un Dimitrov. Et on voit du même côté, comme un symbole et un signe de lumière, le puissant Thaelmann crucifié sur la Croix Gammée.
Quant à l’U.R.S.S., si l’on veut savoir ce qu’un homme peut dépenser de soi-même pour une idée, il faut qu’on parcoure les annales ou Parti, où quelques exemples connus représentent des milliers d’exemples qu’on n’a pas connus et qu’on ne connaîtra jamais. Quel que soit son métier, le communiste soviétique se double d’un soldat, et se double d’un instituteur, et lorsqu’il faut un héros, il est là pour ça.
Et pourtant, ces hommes qui pour eux-mêmes se contentent d’une vie médiocre, souvent ascétique, ne sont nullement des sectaires de l’égalitarisme comme d’aucuns pourraient le croire. Chez nous, l’homme moyen, dont la cervelle ne sait pas encore bien digérer les idées et dont le crâne est empli d’une étrange salade de tables des matières des doctrines sociales et politiques — a trois énormes griefs contre le communiste, griefs tels qu’ils transforment le dit communiste en épouvantail : c’est d’être un antipatriote, de vouloir dépouiller chacun de son bien, et de vouloir faire de la société une vaste caserne disciplinée et égalitaire, de niveler les têtes comme des pavages. Or, les internationalistes communistes sont, au contraire, pour l’épanouissement national, à la seule condition qu’il ne procède pas à coups de fusil et ne se mette pas entre les mains des hommes d’affaires. Leur théorie générale de suppression de la propriété ne lèse qu’un nombre infime de parasites et d’accapareurs sociaux, et apporte un grand profit à tous les autres habitants de la terre. (Tous les maux publics provenant, sans contestation possible, du chambardement moral et matériel qu’apporte la guerre générale de l’enrichissement). Quant au nivellement, ils en sont les ennemis attitrés dès qu’il dépasse cette grande loi de justice et d’équité (base, en effet, du socialisme) qui consiste à donner à chaque être humain le même droit politique exactement, c’est-à-dire à effacer une inégalité factice et inique, au seuil de toutes les destinées. On aurait la partie belle si on voulait montrer que le socialisme est de tous les régimes celui qui cultive le plus et le mieux l’individualité. De même que « le socialisme ne peut pas se détourner des intérêts individuels », (Staline), et cela, contre l’hypertrophie pathologique de quelques accaparements individuels.
Il y a, sur ce dernier point, des confusions, provenant d’excès de zèle spirituel, chez pas mal de socialistes. Staline, justement à propos du statut des campagnes, rappelle les « 200 % » à l’ordre, et les engage à ne pas bafouiller au sujet du « principe du nivellement » mis à la mode par les écrivains bourgeois. Il ne faut pas faire la même gaffe, et « les marxistes ne peuvent pas être rendus responsables de la stupidité et de l’ignorance des écrivains bourgeois ».
Staline redonne le point avec une forte clarté : « Le marxisme entend par égalité non pas le nivellement des besoins personnels et des conditions d’existence, mais la suppression des classes, c’est-à-dire l’affranchissement égal pour tous les travailleurs après le renversement et l’expropriation des capitalistes… Le devoir égal pour tous de travailler chacun selon ses capacités, et le droit égal pour tous les travailleurs, d’être rémunérés selon le travail (société socialiste) ; le devoir égal pour tous de travailler chacun selon ses capacités et le droit égal pour tous les travailleurs, d’être rémunérés selon le besoin (société communiste). Le marxisme part de ce fait que les besoins et les goûts des hommes ne sont et ne peuvent être pareils ni égaux, en qualité ou quantité, ni dans la période du socialisme, ni dans la période du communisme. Le marxisme n’a jamais reconnu et ne reconnaît nulle autre égalité ».
Staline rappelle que dans le Manifeste Communiste, Marx et Engels raillaient le socialisme utopique primitif, le qualifiant de réactionnaire, pour sa propagande d’ « ascétisme universel et de nivellement grossier ». Par ailleurs, le phénomène soviétique montre surabondamment, que, quoi qu’on ait dit, le socialisme signifie culture intensive des facultés et des ressources particulières de chacun.
Mais l’armée spécifique de l’émulation proclamée par le Parti, c’est la jeunesse. La jeunesse soviétique est, en bloc, la troupe de choc du socialisme. La jeunesse s’est répandue dans les campagnes pour abattre et pourfendre les spectres du passé, les préjugés religieux et sociaux. Tous ces adolescents, ces jeunes gens, ces jeunes filles, ces corps souples et ces figures fraîches et claires comme des miroirs — nourris d’un enseignement qui n’avait eu à combattre aucune intoxication traditionnelle, ont retourné l’esprit des paysans par grandes surfaces, comme des phalanges de tracteurs.
Partout ailleurs, le ferment lumineux de la jeunesse a travaillé. Elle donne, elle aussi, un spectacle inoubliable quand elle remplit la Place Rouge de ses immenses quadrilatères élastiques, ou qu’elle bonde le stade Dynamo aux 45.000 places.
La jeunesse, qui, en thèse générale est, par elle-même, incomplète, et, sur beaucoup de points, d’une innocente ignorance, n’est rien si elle ne s’incorpore pas dans le grand et juste mécanisme social. Alors, lorsqu’elle est consciente, elle se dépasse dans la ligne droite, elle est vieille de l’avenir, et on lui doit le respect d’un bout à l’autre : et pour sa puissance d’expansion, son droit de propriété de l’avenir, et pour son utile sagesse.
Est-ce à dire — répétons-le — qu’il n’y ait pas des points noirs au tableau ? Sans doute, il y en a. On les énumérerait tous si on énumérait aussi toutes les réussites, car il faut toujours, par probité, donner la juste proportion du bien et du mal — ce qu’on ne fait pas en ce qui concerne l’U.R.S.S. lorsqu’on expose inconsidérément des critiques sans contrepartie suffisante.
Mais le point de vue du bon dirigeant est différent de celui du critique impartial : il doit insister principalement sur les défauts et les lacunes. Par exemple, en présence du développement de l’économie rurale, il est hanté par le cas de l’élevage du bétail — partie restée tout à fait en panne, au point que les chiffres actuels ne sont guère plus élevés qu’en 1913.
Il faudra donc vaquer tout particulièrement à la question du cheptel (les porcs seuls marchent convenablement). Il y a à ouvrir l’œil de ce côté aussi bien que du côté des transports, de la sidérurgie, du charbon, de l’industrie légère, des prix de revient — et du côté de l’éternelle bureaucratie.
La bureaucratie (ou plutôt le bureaucratisme), c’est un phénomène de foisonnement et aussi de cristallisation qui tient à la nature humaine ; il y a même là dedans un respect déréglé de la tradition. Il se passe dans le plan des organisations ce qui se passe pour la formule dans le plan de la théorie : une tendance à l’existence séparée, indépendante de ses buts originels et de sa raison d’être. La bureaucratie est une tumeur qui finit par avoir des yeux et des oreilles.
Donc : « Voici quelles sont aujourd’hui les sources de nos difficultés : le bureaucratisme et l’administration paperassière des services, les bavardages sur la « direction en général » (au lieu de la direction vivante, concrète) ; l’absence de responsabilité personnelle, la dépersonnalisation dans le travail, le nivellement dans le système des salaires, l’absence d’une vérification systématique de l’exécution, la crainte de l’autocritique. »
Pour lutter contre ces difficultés, le moyen — que Staline montre avec beaucoup de relief par une définition lapidaire, c’est « d’élever le niveau de la direction jusqu’au niveau politique. » C’est-à-dire avoir toujours dans la tête la pleine signification de ce qu’on fait et la place que ce détail prend dans l’ensemble.
Allons droit, sans regarder ni à droite ni à gauche. Pardon… en regardant, au contraire, à droite et à gauche — pour repérer la déviation de droite et la déviation de gauche, toujours prêtes soit à nous donner un renfoncement en avant, soit à nous harponner en arrière. (Les traîtres de gauche, un peu plus néfastes que ceux de droite, explique Piatniski, parce qu’ils donnent le change). Staline met en garde contre ces périls avec une vigueur telle qu’il va jusqu’à considérer que le fait de ne combattre qu’une des deux déviations est une concession qu’on accorde à l’autre.
Et puis, ne nous emballons pas sur nos succès. Cela nous distrairait à la veille de l’avenir. Cela pourrait compromettre ou gêner ce que nous avons de plus grand et de plus puissant : notre ligne. Cette juste ligne, elle est aux révolutionnaires parce qu’ils l’ont créée et parce qu’ils l’ont maintenue. « Avoir une ligne juste et savoir l’appliquer est un fait très rare dans la vie des partis gouvernants. Voyez les pays voisins : trouverez-vous beaucoup de partis gouvernants ayant une ligne juste et la mettant en pratique ? A vrai dire il n’y a pas actuellement de tels partis au monde, car tous, ils vivent sans perspectives, errent dans le chaos de la crise et ne voient pas de chemin pour sortir du marais. Seul notre Parti sait où s’avancer et fait progresser son œuvre victorieusement ».
Ceux qui écoutent et qui entendent ce haut jugement que des événements extraordinaires ont permis à un homme d’État de prononcer de nos jours, doivent conclure que pour respecter, pour garder intacte cette grande ligne, il faut rester sans cesse en état de vigilance et de combativité. Défense de s’arrêter, et défense de se tromper.
De quoi demain sera-t-il fait ?
L’U.R.S.S., vivante et tumultueuse, il faut la regarder, si on veut bien la voir, dans la perspective, et pour mieux dire, à l’ombre, de ses futurs plans. Toutes les descriptions de ce tableau torrentiel vieillissent à vue d’oeil — il faudrait les cribler de post-scriptum !
Dans la solennelle atmosphère du XVIIe Congrès du Parti Communiste Russe, qui a eu lieu en janvier 1934 — « le Congrès des Vainqueurs » — dominé par le monumental Rapport de Staline sur le Plan 28-32 — Staline a ouvert aussi la porte illimitée de l’avenir. Le Plan Quinquennal est mort. Vive le Plan Quinquennal 32-37 !
La période de reconstruction économique est virtuellement terminée, a dit Molotov, Président du Conseil des Commissaires du Peuple, un des plus importants travailleurs de l’Union. Maintenant, on va vers le développement, en quantité et en qualité, de la production de consommation, vers l’amélioration des conditions de vie de tous. Sur la base de la prodigieuse décentralisation commencée au sein de l’univers soviétique, la grosse industrie deviendra deux fois plus vaste et plus lourde (La production des moyens de production atteindra 43 milliards 400 millions de roubles, soit 209 % du dernier Plan).
Doubleront les industries des machines-outils, de la houille, du pétrole. Tripleront celles des tracteurs, des locomotives, de la fonte, de l’acier, du cuivre, des produits chimiques. L’industrie du bois elle-même atteindra presque le double (176 %). On fabriquera cinq fois plus de wagons et huit fois plus d’automobiles. L’énergie électrique arrivera à 38 milliards de kilowatts (soit 283 % de plus).
C’est par une augmentation de plus du double que se chiffrera le nouvel élan quinquennal de l’industrie de transformation (54 milliards 300 millions de roubles, soit 269 % en plus) : l’industrie légère, d’alimentation, de consommation, les coopératives industrielles.
Souci particulier apporté dans cette nouvelle période, à l’augmentation de la qualité, au perfectionnement de la technique, au renouvellement de l’outillage. Motorisation des industries nécessitant un travail pénible. Large progrès de l’électrification des campagnes et des chemins de fer, du transport de l’énergie.
Le rendement du travail doit être porté en 1937 à 63 % contre 41 % en 1933. Les prix de revient, (auxquels a déjà été assignée, en attendant, une baisse de 4,7 % en 1934 par rapport à 33), doivent baisser de 26 %.
Accroissement prévu — et décidé — de la production agricole : 105 % (26 milliards de roubles). Le nombre des stations de tracteurs sera porté, de 2.446 (en 32), à 6.000. Machinisation des travaux agricoles : augmentation de 60 %. Puissance totale des tracteurs 8.200.000 CV.
Les chemins de fer devront à peu près doubler leur trafic ; les transports fluviaux et maritimes, presque tripler le leur ; quant aux transports automobiles, il s’agit de les multiplier par 16. (Pour les chemins de fer, 5.000 kilomètres électrifiés, 10.000 kilomètres de voies doublées, 20.000 de voies refaites, 11.000 kilomètres de voies nouvelles).
Achèvement du canal (Mer Blanche-Baltique, de ceux Moscou-Volga, Volga-Don. En 1937 : 210.000 kilomètres de chaussées. Réseau d’aviation civile : 85.000 kilomètres (au lieu de 32.000).
Dans l’industrie, investissement : 69,5 milliards de roubles ; dans l’économie rurale : 15,2 milliards ; dans les transports : 26,3 milliards.
Les entreprises nouvelles à construire ou celles à reconstruire représentent ensemble une dépense de 132 milliards dé roubles. (C’est le plus gros chiffre qui ait jamais figuré dans un budget ou dans un plan de travail). Je n’entreprendrai pas d’énumérer même les principales réalisations envisagées dans ce chapitre du Plan…
A côté des usines, construction d’habitations d’une surface habitable de 64 millions de mètres carrés.
Les salaires réels des ouvriers seront, en 1937, deux fois et demie ce qu’ils étaient en 1932.
Liquidation complète, de l’analphabétisme, aussi complète que l’aura été la liquidation du chômage dans le Plan précédent ; tous les citoyens soviétiques sauront lire et écrire.
Nombre d’ensemble des élèves des écoles et instituts : 197 pour mille de la population, au lieu de 147 pour mille actuellement. Fonds des assurances sociales doublés.
« C’est un Plan fantaisiste », dira-t-on. Que n’a-t-il pas été dit au sujet du Plan sur les grandes bases duquel nous sommes actuellement installés ! répond sobrement Molotov.
Les Etats-Unis soviétiques deviendront de la sorte le plus puissant de tous les pays du monde dans les principales branches de l’économie.
[Ajoutons que les résultats acquis à la fin de 1934 indiquent déjà que le Plan Quinquennal en cours atteindra ses colossaux objectifs. Le revenu national a monté de 7 milliards de roubles en un an et était en décembre de 55 milliards. L’énergie électrique a augmenté du tiers par rapport à 1933, et atteint 20 milliards et demi de kilowatts. En l’année 1934, la production de fonte a été de 50 pour cent, plus grande qu’en 1933. Le triomphe est de taille. Staline le constate non sans grandeur. Puis il dit : Ne soyez pas trop fiers, camarades, songez que la production de l’acier n’a pas grossi dans les mêmes proportions. (Elle n’est que de 40 pour cent de plus que l’année dernière.)]
Au grand rêve sain et ardu de résurrection que l’U.R.S.S. réalise si largement sous la direction du Parti Communiste, dirigé lui-même par le camarade Staline, se mêle pourtant le cauchemar de la guerre.
On connaît la tragi-comédie de l’histoire du « pacifisme officiel » dans la période d’après-guerre. Le caractère équivoque de la pompeuse Société des Nations, son incapacité quasi légendaire à assurer la paix étant la moindre critiqua que suscitait cet institut de cérémonies pacifiques issu du Traité de Versailles pour en stabiliser les résultats [En ce qui concerne le découpage territorial, non en ce qui concerne la clause solennelle stipulant que le désarmement des pays vaincus devait être le signal du désarmement général.], et où l’Allemagne a renoncé à jouer le rôle de brigand toujours battu par les autres brigands, et où le Japon a renoncé, lui, à rester à la fois malhonnête et menteur sous le faisceau convergent de la lumière publique.
L’agression contre l’U.R.S.S. — immense débouché économique, et volcan illuminé du socialisme —, fait évidemment partie des calculs du capitalisme aux abois, et les dirigeants soviétiques sont trop sérieux pour commettre la faute de croire à la sincérité des théâtrales proclamations pacifiques des grands ténors subventionnés des pays impérialistes. Ils estiment pourtant qu’à côté de ces dangereux artistes, il y a un rôle de censeur à remplir.
On sait combien furent peu brillants les premiers rapports de l’U.R.S.S. avec la Société des Nations, et le toile que provoqua à la Conférence du Désarmement la proposition, pourtant assez logique, que fit Litvinov, pour le désarmement intégral, puis, à son défaut, pour le désarmement partiel.
Mais l’U.R.S.S. a persévéré dans sa politique imperturbable de paix. La diplomatie soviétique, conduite de main de maître, naguère par Tchitchérine, aujourd’hui par Litvinov (mais toujours par Staline), a donné le spectacle d’un constant et obstiné réalisme pacifique (Définition de l’agresseur, renflouement de la Conférence du Désarmement compromise et en faillite, et sa transformation en une Conférence Permanente de Paix ; refus, d’exploiter la révision des néfastes traités de Versailles au seul avantage de nouveaux profiteurs belliqueux ne valant pas mieux que les profiteurs actuels des dits traités ; pactes de non-agression offerts à la ronde et beaucoup d’entre eux obtenus ; liens diplomatiques solides avec les États-Unis et la France). Cette politique éclairée et positive de paix a été reconnue par tous ceux qui n’étaient pas disposés à la nier de parti pris.
« Nous sommes un facteur de paix dans le monde », a pu dire Staline au XVIIe Congrès. Et il a ajouté, avec une assez terrible précision : « Autour de nous se groupent et ne peuvent pas ne pas se grouper, tous les Etats qui pour telle ou telle raison, ne veulent pas faire la guerre pendant un temps plus ou moins long. ».
Finalement, sur la demande de 32 États, l’U.R.S.S. a été admise à la Société des Nations. C’est certainement là une garantie de paix, parce que c’est une garantie de la modification de l’orientation de la Société des Nations impérialistes sous l’influence de la collaboration soviétique imposée par les circonstances. Mais ce n’est pas une garantie complète — loin de là. Le danger de guerre subsiste.
Il se concrétise nettement dans l’attitude du Japon. De toute évidence, le Japon veut envahir une très grande partie de l’Asie, et tout d’abord la Chine (à laquelle il a déjà pris la Mandchourie et le Jéhol) en lui brisant son échine soviétique, et attaquer l’U.R.S.S. Il le proclame d’ailleurs ouvertement et multiplie les provocations. Il a transformé la Mandchourie en camp retranché qu’il couvre de dépôts, de centres d’aviation et de voies stratégiques. Dans le plan de la politique extérieure le Japon et l’Allemagne s’entendent et se rapprochent violemment et grossièrement.
En présence de ce que le populaire soldat-ministre Vorochilov appelle « la franchise cynique » du Japon, l’attitude de l’Union Soviétique a été l’attitude courageuse, virile et noble, des concessions poussées aux dernières limites.
Mais au bout des concessions, il y a une borne sur laquelle est écrit : « Nous ne voulons pas un pied de la terre des autres, mais nous ne céderons pas un pouce de la nôtre » (Staline).
Si la guerre éclate, l’U.R.S.S. se défendra — elle, et tout ce qu’elle représente de patrimoine humain. La guerre en question se généralisera, et, d’impérialiste, se transformera, sur bien des points, en guerre civile révolutionnaire. Cela n’est pas tant un commandement politique de parti, qu’une fatalité historique. Ici, là, où passera la guerre, passera la révolution. Ce qui a eu lieu lors de la dernière guerre nous montre clairement comment les choses tourneront, en plus grand et en plus fort, lors de la prochaine. Même quand on veut démolir le progrès, on le fait avancer. [Il convient de remarquer qu’une terrible et significative constatation s’est dégagée des grandes manœuvres aériennes qui ont eu lieu dernièrement en Angleterre et en France : l’impossibilité de toute défense efficace contre une attaque d’avions de bombardement. Un de nos techniciens militaires les plus écoutés, le lieutenant-colonel Vauthier, considérant (en un livre préfacé par le maréchal Lyautey) « que Paris peut être anéanti dans les premières heures de la guerre », préconise la démolition complète de Paris et sa reconstruction ailleurs, sous des carapaces perfectionnées… « Et ce n’est pas un humoriste, comme on serait tenté de le croire », fait remarquer Paul Faure. Toujours est-il que, publiquement, Lord Londonderry, ministre anglais de l’Air, et M. Pierre Cot, ancien ministre français de l’Air, l’ont déclaré : il est avéré qu’aucune force humaine, dans l’état actuel de la science, n’est capable d’empêcher le déversement des tonnes d’explosifs susceptibles de détruire Londres et Paris (100 tonnes suffisent, a établi Paul Langovin ; or, aux manœuvres navales anglaises, 400 tonnes « auraient été jetées » sur Londres). Le seul recours, pour le pays décapité de sa capitale, c’est d’envoyer à son tour une escadre pour disloquer et asphyxier la capitale ennemie. Ce qui est vrai pour les villes est vrai pour les centres militaires. « Il n’y a qu’une exception, a dit M. Pierre Cot, c’est le cas de la Russie, dont le territoire est si vaste que sa majeure partie est à l’abri des raids de ce genre. » L’U.R.S.S., dont l’immensité a vaincu jadis Napoléon à l’apogée de sa force, a donc une situation privilégiée remarquable (le japon est, au contraire, particulièrement vulnérable). Ce n’est donc pas uniquement pour son intérêt que lutte l’U.R.S.S., lorsqu’elle lutte pour la paix.]
Quoi qu’il en soit de l’énorme avenir, si la guerre se déclare, une des grandes causes de confiance du peuple soviétique, ce sera : Staline. Vorochilov, Commissaire à la Défense, est prodigieusement aimé, mais le Chef, c’est, et ce sera Staline. Il réunira dans ses mains la direction politique et militaire, ou, plutôt, il continuera à le faire dans le déchaînement des choses, et cela est considéré par tout le monde, en U.R.S.S., comme « une assurance de victoire ».