… seul un parti guidé par une théorie d’avant-garde est capable de remplir le rôle de combattant d’avant-garde.
Lénine, Que Faire ?, Œuvres, tome 5, p. 377, Éditions sociales, Paris, Éditions du progrès, Moscou, 1965.
C’est en ces termes que Lénine définit l’importance de la théorie pour la lutte de classe du prolétariat.
Cette théorie révolutionnaire qui arme la classe ouvrière dans sa lutte pour le renversement du capitalisme et l’édification de la société communiste, c’est le marxisme-léninisme.
Pour conduire la classe ouvrière à la victoire, il faut connaître les lois du développement et de la chute du capitalisme, il faut connaître les conditions nécessaires pour en triompher. De même que nous ne pouvons maîtriser les forces de la nature sans les avoir étudiées, sans connaître les lois de la nature, de même le parti révolutionnaire du prolétariat ne saura élaborer et appliquer une bonne stratégie et tactique, une politique juste pour le renversement du capitalisme et l’édification de la société communiste, s’il ignore les lois qui régissent le développement de la société en général, et du capitalisme en particulier.
Les lois du développement de la société furent découvertes par Marx et Engels qui ont démontré que les rapports de production entre les hommes sont à la base de toute la vie sociale.
Aucune société ne peut vivre et se développer sans produire les objets de toute espèce nécessaires à l’existence. Or, les moyens d’existence ne se trouvent pas tout préparés dans la nature, l’homme doit se les procurer par son travail. En produisant les objets d’usage, l’homme modifie la substance naturelle, la transforme et l’adapte à ses besoins. En ce sens, la production est l’action de l’homme sur la nature. Mais l’homme existe et produit non en tant qu’individu isolé, mais comme membre de la société. Aussi, le procès de la production implique-t-il un rapport déterminé non seulement entre la société et la nature, mais encore entre les hommes eux-mêmes.
Prenons, à titre d’exemple, une usine de textile. La substance naturelle, le coton, y est transformée à l’aide de machines qui sont également une force naturelle modifiée et dominée par l’homme. Nous constatons, en outre, dans cette usine, des rapports déterminés entre les hommes : d’une part, les ouvriers, qui ne sont pas les propriétaires des moyens de production et, de l’autre, le capitaliste, qui possède ces moyens de production et exploite les ouvriers. Prenons maintenant une usine de textile socialiste. Ici, le coton est soumis aux mêmes procédés de transformation à l’aide de machines analogues ; les ouvriers occupés possèdent la même spécialisation que ceux de l’usine capitaliste ; mais, dans le procès de la production, les rapports entre les hommes sont tout à fait différents. Les moyens de production n’appartiennent plus au capitaliste, mais à l’ensemble de la classe ouvrière, donc point d’exploitation. Le directeur rouge qui est à la tête de l’entreprise socialiste n’est pas un propriétaire, mais un fonctionnaire de l’État prolétarien, chargé de diriger la production. La production est dirigée suivant un plan fixé par l’État prolétarien. Dans l’usine socialiste, l’organisation du travail est différente de celle de l’usine capitaliste. L’attitude des ouvriers à l’égard du travail y est tout autre. Nous voyons que, dans le régime capitaliste et dans le régime socialiste, la forme sociale de la production ainsi que les rapports entre les hommes sont tout à fait différents. Les rapports entre les hommes dans le procès de la production sociale portent le nom de rapports de production. Au cours du développement historique de la société humaine, les rapports de production ont changé ainsi que les formes sociales de la production.
Ces formes sociales furent : le communisme primitif, l’esclavage, la féodalité et le capitalisme. À l’heure actuelle, a lieu en U.R.S.S. la transition du capitalisme au communisme inaugurée par la Révolution d’octobre 1917. Ici, a déjà vaincu le mode de production socialiste.
1. Le communisme primitif
Cette forme sociale de production a existé pendant de nombreux millénaires chez tous les peuples au stade le plus reculé de l’évolution de la société humaine, c’est de cette époque que date le développement de la société. Les hommes vivaient alors à l’état sauvage. Ils se nourrissaient de végétaux qu’ils trouvaient dans la nature à l’état comestible : légumes, fruits sauvages, noix. La découverte du feu fut d’une importance énorme puisqu’elle permit d’élargir les sources de l’alimentation. On se mit à consommer du poisson, des écrevisses et d’autres animaux aquatiques.
Les premiers instruments dont les hommes firent usage furent le bâton et les pierres grossières non taillées. L’invention de la lance avec une pointe de pierre et ensuite de l’arc et de la flèche procura un nouveau produit alimentaire : la chair des bêtes. Parallèlement à la recherche d’aliments végétaux et à la pêche, la chasse devint un des moyens d’existence. Ultérieurement, un pas en avant très considérable fut réalisé par l’introduction d’outils en pierres taillées qui ont permis de travailler le bois pour construire des habitations.
Si important qu’ait été tout ce procès de développement qui, à travers des millénaires, a conduit de l’existence mi-animale à celle de l’homme sachant confectionner une hache en pierre et construire une habitation, les hommes étaient encore extrêmement faibles dans la lutte contre les forces de la nature. Cela s’exprimait surtout dans l’instabilité et la précarité des sources d’alimentation. Les hommes étaient à la merci du hasard, incertains de trouver toujours du gibier et des produits végétaux. Quant à faire des réserves, il n’y avait pas lieu d’y songer. Il fallait se procurer la nourriture au jour le jour, sans la moindre certitude du lendemain.
Dans ces conditions, la population devait être tout à fait clairsemée : la nourriture que l’on était à même de tirer d’un territoire donné n’aurait pas suffi à entretenir une population plus dense.
Les hommes vivaient par tribus composées de plusieurs clans. Ces derniers, comprenant des centaines de personnes, englobaient de grandes familles apparentées. La propriété privée des moyens de production n’existait pas. L’économie du clan était gérée en commun, collectivement : la chasse comme la pêche, la préparation de la nourriture et sa consommation, tout se faisait en commun. Les habitations étaient également communes. Ainsi, dans son livre : l’Origine de la famille, de la propriété et de l’État, Engels relate l’exemple des peuplades des îles du Pacifique, où, sous le même toit, étaient abritées dans une économie commune, jusqu’à 700 personnes et quelquefois des tribus entières.
Ce régime communiste primitif était nécessaire pour la société humaine à ce stade de développement ; une vie isolée, éparpillée, aurait rendu impossibles l’invention et le développement des armes et outils primitifs. Ce n’est que grâce à une vie collective que les hommes primitifs purent remporter leurs premiers succès dans la lutte contre la nature. L’union dans un clan communiste, telle était leur principale force.
Dans la société communiste primitive, il n’y avait et il ne pouvait y avoir d’exploitation de l’homme par l’homme. Le travail était divisé entre l’homme et la femme. Dans le clan, il y avait des membres plus forts et des membres plus faibles, mais il n’y avait pas d’exploitation.
L’exploitation n’est possible que si l’homme peut produire des moyens d’existence non seulement pour soi, mais encore pour les autres. Ce n’est qu’à cette condition qu’un individu peut vivre aux dépens du travail d’autrui. La société primitive, contrainte de se procurer de la nourriture au jour le jour, ne pouvant produire que le strict nécessaire, l’exploitation ne pouvait pas y avoir lieu. Quant aux prisonniers de guerre, on les tuait (quelquefois on les mangeait) ou bien on les admettait dans le clan.
Le régime communiste primitif était conditionné par le niveau de développement des forces productives de la société. On aurait tort de s’imaginer que les hommes primitifs ont créé ce régime consciemment. Il se forma et se développa d’une façon naturelle, sans égard à la volonté et à la conscience des hommes.
… dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles.
Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, préface, Éditions sociales, Paris, 1977, p. 2.
Le développement ultérieur des forces productives de la société primitive — le perfectionnement des outils existants et l’invention de nouveaux outils, l’apparition de l’élevage et de l’agriculture, l’emploi des métaux — tout cela amena le changement des rapports de production. Le communisme primitif se décomposa avec la même nécessité naturelle avec laquelle il s’était formé, et céda la place à la société de classes.
La décomposition du communisme primitif
Le facteur qui inaugura la désagrégation du régime communiste primitif, ce fut la domestication des bêtes et l’évincement de la chasse par l’élevage. Pour la première fois, ce dernier fut introduit parmi les tribus qui habitaient des territoires riches en pâturages (principalement près des grands fleuves du sud-ouest de l’Asie, aux Indes, dans les bassins de l’Amou-Daria et du Syr-Daria, du Tigre et de l’Euphrate). L’élevage fut pour ces tribus une source permanente de lait, de viande, de peaux et de laine. Les tribus pastorales avaient des objets d’usage dont étaient privées les tribus non pastorales. L’introduction de l’élevage marqua donc la première division sociale du travail.
Avant, le troc entre les différentes tribus portait un caractère purement accidentel et ne jouait aucun rôle dans la vie des tribus et des clans. La division du travail entre les tribus pastorales et les autres inaugura le troc régulier entre elles.
Un autre pas en avant dans le développement des forces productives c’était l’apparition de l’agriculture (d’abord l’horticulture et ensuite la culture des céréales) qui créa une source permanente d’aliments végétaux. L’invention du métier à tisser qui date de cette époque permit de confectionner des étoffes, des vêtements de laine. Ultérieurement, les hommes apprirent à fondre le minerai métallique, le cuivre et le plomb (l’extraction du fer fut découverte plus tard) et à fabriquer des outils, armes et poteries en bronze.
La première division de la société en classes
Tout cela eut pour effet d’augmenter dans une grande mesure la productivité de travail, le pouvoir de l’homme sur la nature et sa certitude du lendemain. Mais ces nouvelles forces productives de la société dépassaient déjà les cadres du communisme primitif.
L’accroissement de la production dans toutes les branches — élevage du bétail, agriculture, artisanat domestique — donna à la force de travail humaine la capacité de produire plus qu’il ne lui fallait pour sa subsistance. Elle accrut en même temps la somme quotidienne de travail qui incombait à chaque membre de la gens, de la communauté domestique ou de la famille conjugale. Il devint souhaitable de recourir à de nouvelles forces de travail. La guerre les fournit : les prisonniers de guerre furent transformés en esclaves. En accroissant la productivité du travail, donc la richesse, et en élargissant le champ de la production, la première grande division sociale du travail, dans les conditions historiques données, entraîna nécessairement l’esclavage. De la première grande division sociale du travail naquit la première grande division de la société en deux classes : maîtres et esclaves, exploiteurs et exploités.
Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, Éditions du Progrès, Moscou, 1975, p. 192.
Les esclaves, c’étaient des gens étrangers au clan et qui n’en faisaient pas partie. Le développement des forces productives et l’apparition de l’esclavage devaient amener l’inégalité entre les membres du clan, en premier lieu entre l’homme et la femme.
Gagner la subsistance avait toujours été l’affaire de l’homme ; c’est lui qui produisait les moyens nécessaires à cet effet et qui en avait la propriété. Les troupeaux constituaient les nouveaux moyens de gain ; ç’avait été l’ouvrage de l’homme de les apprivoiser d’abord, de les garder ensuite. Aussi le bétail lui appartenait-il, tout comme les marchandises et les esclaves troqués contre du bétail. Tout le bénéfice que procurait maintenant la production revenait à l’homme ; la femme en profitait, elle aussi, mais n’avait point de part à la propriété.
Engels, L’Origine…, p. 192.
Plus tard apparaît l’inégalité entre les chefs de diverses familles. Le développement du troc consécutif à la division croissante du travail y contribuait. L’emploi du fer augmenta la variété des outils et des objets en usage. L’agriculture prit également de l’extension grâce à l’introduction de la charrue au soc de métal ; aux céréales venaient s’ajouter d’autres cultures.
Une activité si diverse ne pouvait plus être pratiquée par un seul et même individu : la seconde grande division du travail s’effectua : l’artisanat se sépara de l’agriculture.
Engels, L’Origine…, p. 194.
La différence entre riches et pauvres s’établit à côté de la différence entre hommes libres et esclaves : nouvelle scission de la société en classes qui accompagne la nouvelle division du travail. Les différences de propriété entre les chefs de famille individuels font éclater l’ancienne communauté domestique communiste partout où elle s’était maintenue jusqu’alors et, avec elle, la culture en commun de la terre pour le compte de cette communauté. Les terres arables sont attribuées usage aux familles conjugales afin qu’elles les exploitent, d’abord à temps, plus tard une fois pour toutes.
Engels, L’Origine…, p. 195.
La transition vers la propriété privée s’accomplit.
La densité grandissante de la population, due à la productivité accrue du travail, et l’augmentation des liens entre les différentes tribus conduisent peu à peu à la fusion de beaucoup de clans et de tribus en peuples. D’autre part, la désagrégation de la communauté primitive, l’inégalité croissante entre ses membres et surtout l’application généralisée du travail des esclaves, tout cela aboutit à la formation de l’État comme organisme d’oppression de la classe exploitée par la classe exploiteuse.
Sous la pression des forces productives qu’il avait engendrées, le régime communiste primitif se décomposa et céda la place à une nouvelle société, divisée en classes.
Les adversaires du communisme affirment que le communisme primitif n’aurait jamais existé, que la propriété privée et la division de la société en classes étaient en vigueur dès le début de l’existence de la société. Ils s’efforcent de montrer que la propriété privée est inséparable de la nature de l’homme même, qu’il ne peut y avoir d’autre propriété, que la société était toujours divisée en classes et qu’une société sans classes est inconcevable. La bourgeoisie et ses agents, dans leur lutte contre le communisme moderne, ont intérêt à nier le communisme primitif.
Déjà en 1845, Marx et Engels ont démontré (dans l’Idéologie allemande) que le communisme primitif était la première forme de la société. Trente ans après (en 1877), en dehors des recherches effectuées par Marx et Engels, le savant américain Morgan est arrivé à la même conclusion, après avoir longuement étudié les tribus sauvages et demi-sauvages de l’Amérique et des îles du Pacifique. Les restes du communisme primitif subsistent encore de nos jours chez certains peuples sous la forme du communisme agraire : les communautés rurales possèdent en commun la terre et en distribuent les lots pour une jouissance temporaire à leurs membres. L’existence du communisme primitif, comme, phase initiale du développement de tous les peuples, ne saurait plus être mise en doute.
Examinons maintenant le système de l’esclavage, né des ruines du communisme primitif.
2. L’esclavage
Au commencement de ce système, le travail des esclaves était relativement peu employé. À côté des familles qui utilisaient cette main-d’œuvre, il y en avait beaucoup qui se contentaient de leur propre force de travail familial. Mais par suite du développement du troc et de l’apparition de l’argent, les petites exploitations furent évincées par les grandes qui employaient la main-d’œuvre des esclaves. Voici comment s’opéra ce procès.
L’accroissement de la division du travail et de l’échange fit naître le commerce et une classe de commerçants qui achètent et vendent les marchandises. C’était, comme le dit Engels, « la troisième division du travail d’une importance capitale » (F. Engels : l’Origine…, p. 216.). Les marchands, mettant à profit l’isolement des petits producteurs du marché, achetaient les marchandises à bas prix et les revendaient à un prix élevé. Ils exploitaient, de la sorte, les producteurs et les consommateurs. D’autre part, la croissance de la production marchande et de la circulation monétaire eut pour résultat qu’ « après l’achat de marchandises pour de l’argent, vinrent les prêts, et avec ceux-ci les intérêts et l’usure ». (F. Engels : l’Origine…, p. 218.)
Le capital usuraire enchaîne les petits producteurs — les paysans et les artisans — par les dettes et les asservit. Dans l’ancienne Grèce, et à Rome, la plupart des petits producteurs tombèrent, dans un laps de temps relativement court, dans la servitude des usuriers. La lutte entre les usuriers et leurs débiteurs a été la principale forme de lutte de classe dans la population libre.
La lutte des classes dans l’Antiquité par exemple se déroule principalement sous la forme d’une lutte entre créanciers et débiteurs et prend fin à Rome avec la disparition du débiteur plébéien, remplacé par l’esclave.
Marx, Le Capital, Livre I, P.U.F., Paris, 2009, p. 152.
Cette lutte aboutit à la ruine des petits producteurs et à leur transformation en prolétaires. Mais dans l’ancienne Rome, ce n’étaient pas des prolétaires dans le sens moderne du mot, ce n’étaient pas des ouvriers. C’était tout simplement une foule d’indigents. Les terres des paysans ruinés étaient accaparées par les gros propriétaires fonciers qui, à l’aide du travail généralisé des esclaves, créaient des grandes exploitations, dites latifundia, d’élevage, d’agriculture et d’horticulture. Dans les ateliers d’artisans, qui étaient parfois assez considérables, le travail des esclaves était de plus en plus employé. Dans les mines, dans les grands chantiers, dans la construction de routes, dans les galères à rames, partout travaillaient les esclaves. L’esclavage était la base de toute la production. Le nombre des esclaves dépassait de plusieurs fois celui de la population libre. Ainsi, à Athènes, il y avait, pour 90 000 habitants libres 365 000 esclaves, à Corinthe pour 46 000 hommes libres, 460 000 esclaves.
C’est ainsi qu’avec l’extension du commerce, avec l’argent et l’usure, avec la propriété foncière et l’hypothèque, la concentration et la centralisation de la richesse dans les mains d’une classe peu nombreuse s’opéra progrès rapidement, en même temps que l’appauvrissement croissant des masses et l’augmentation de la foule des pauvres. […] Et à côté de cette division des hommes libres en classes selon leur fortune, il se produisit, surtout en Grèce, une énorme augmentation du nombre des esclaves, dont le travail forcé formait la base sur laquelle s’élevait la superstructure de toute la société.
Engels, L’Origine…, p. 200.
L’esclave était la propriété complète de son maître qui pouvait en disposer comme du bétail. Les esclaves étaient dénués des droits civiques les plus élémentaires et leurs maîtres pouvaient les tuer impunément. Il est évident que, dans ces conditions, il fallait recourir à la contrainte ouverte pour les obliger à travailler. L’atroce exploitation des esclaves était la cause de leur rapide usure ; inaptes au travail ils étaient mis à mort. Pour remplacer les morts et pour élargir la production, il fallait un afflux incessant des esclaves. On se les procurait par les guerres, que les États esclavagistes menèrent d’une façon presque ininterrompue.
L’exploitation accentuée des esclaves amena des révoltes dont la plus considérable fut celle dirigée par Spartacus l’an 77 avant notre ère. Mais elles se terminèrent par des défaites.
L’esclavage a été une étape nécessaire dans le développement de la société humaine. Dans les conditions de la décomposition de la communauté primitive, l’esclavage est devenu la seule base du développement social.
[…] l’introduction de l’esclavage dans les circonstances d’alors était un grand progrès. C’est un fait établi que l’humanité a commencé par l’animal, et qu’elle a donc eu besoin de moyens barbares, presque animaux, pour se dépêtrer de la barbarie.
Engels, M. E. Dühring bouleverse la science (Anti-Dühring), Édition sociales, Paris, 1950, p. 213.
Le travail manuel était la base de la production. La grande production n’était pas possible sans l’emploi, à une vaste échelle, du travail des esclaves. L’esclavage a rendu possible une division plus grande du travail entre le métier et l’agriculture. Il a permis la construction des grands édifices de l’antiquité, de la navigation et de l’industrie d’extraction. Sans l’esclavage, les sciences et les arts (les mathématiques, la mécanique, l’astronomie, la géographie, la sculpture et les beaux-arts) n’eussent pu atteindre le niveau relativement élevé où ils étaient dans le monde antique.
Le développement des forces productives ne profitait qu’à une poignée d’exploiteurs ; pour la masse des esclaves, il signifiait des souffrances et des privations incroyables. Mais telle est en général la loi du développement des forces productives dans la société divisée en classes.
Comme le fondement de la civilisation est l’exploitation d’une classe par une autre classe, tout son développement se meut dans une contradiction permanente. Chaque progrès de la production marque en même temps un recul dans la situation de la classe opprimée, c’est-à-dire de la grande majorité. Ce qui est pour les uns un bienfait est nécessairement un mal pour les autres, chaque libération nouvelle de l’une des classes est une oppression nouvelle pour une autre classe. L’introduction du machinisme, dont les effets sont universellement connus aujourd’hui, en fournit la preuve la plus frappante.
Engels, L’Origine…, p. 212. (C’est Ségal qui souligne.)
L’esclavage a été une forme sociale nécessaire du développement des forces productives à un stade déterminé de l’histoire. Ce développement fut à son tour la cause de la décadence de ce régime.
La décadence de l’esclavage
Sous le régime de l’esclavage, la technique ne se développait presque pas, l’ancienne Rome et la Grèce développaient surtout la production d’objets de luxe et d’armes, la construction de palais, de temples, de routes militaires. Mais la technique du travail, surtout dans l’agriculture, cette branche fondamentale de la production de ce temps, est restée presque sans changement. Le développement de la production avait pour base la main-d’œuvre bon marché des esclaves et impliquait l’augmentation incessante du nombre de ces derniers. Or, la principale source pour s’en procurer, c’était la guerre. En quelques siècles, Rome conquit presque toute l’Europe occidentale, l’Asie Mineure, la côte méditerranéenne de l’Afrique du Nord.
Les provinces conquises par Rome étaient soumises à une exploitation féroce. Elles étaient une source abondante d’où l’État romain soutirait des impôts. Les fonctionnaires romains qui administraient ces provinces, ainsi que les troupes romaines qui y stationnaient, pillaient impitoyablement la population de ces pays. L’exploitation barbare des peuples conquis avait pour effet la destruction générale des forces productives.
Si, à l’époque de sa naissance et à ses débuts, l’esclavage était un facteur de développement des forces productives, ce système devint, ultérieurement, une cause de destruction des forces productives. À son tour, cette décadence des forces productives devait conduire à la déchéance du régime de l’esclavage et à son abolition. À mesure de l’appauvrissement général, du déclin du commerce, des métiers et de l’agriculture, le travail des esclaves cesse graduellement d’être rentable.
L’antique esclavage avait fait son temps. Ni à la campagne dans la grande agriculture, ni dans les manufactures urbaines, il n’était plus d’un rapport qui en valût la peine — le marché, pour ses produits, avait disparu.
Engels, L’Origine…, p. 178.
Avec la décadence des grandes exploitations, basées sur le travail des esclaves, la petite production redevint avantageuse. Aussi, le nombre des esclaves affranchis grandit sans cesse, et parallèlement on assiste au morcellement des latifundia en petits terrains cultivés par les colons. Le colon c’était un cultivateur qui recevait en jouissance perpétuelle un terrain et qui acquittait une redevance en argent et en nature. Ce n’était pas un fermier libre, puisqu’il était attaché à la glèbe et ne devait pas la quitter. Il pouvait être vendu avec son terrain. Mais, d’autre part, il n’était plus esclave, n’étant pas la propriété individuelle du maître de la terre : celui-ci ne pouvait pas l’obliger à accomplir tel ou tel travail ni le priver du terrain auquel il était attaché. Les colons étaient les prédécesseurs des serfs du moyen âge. Le gros des colons était constitué par les anciens esclaves, cependant des hommes libres aussi, bien qu’en moins grande quantité, passaient à l’état de colon.
Mais le colonat ne résolvait pas la contradiction créée par le système esclavagiste :
L’esclavage ne payait plus, et c’est pourquoi il cessa d’exister. Mais l’esclavage agonisant laissa son dard empoisonné : le mépris du travail productif des hommes libres. Là était l’impasse sans issue dans laquelle le monde romain était engagé. L’esclavage était impossible au point de vue économique ; le travail des hommes libres était proscrit au point de vue moral. Celui-là ne pouvait plus, celui-ci ne pouvait pas encore être la base de la production sociale. Pour pouvoir y remédier, il n’y avait qu’une révolution totale.
Engels, L’Origine…, p. 179.
Quand l’économie esclavagiste était encore forte et stable, les insurrections d’esclaves qui s’étaient produites de temps à autre (la plus grande de toutes fut l’insurrection de Spartacus en 73-71 avant notre ère) avaient abouti à la défaite. Mais la situation changea entièrement avec la décadence de l’économie esclavagiste et de l’Empire romain en général, dont nous avons parlé ci-dessus. Dès le 2e siècle, les insurrections d’esclaves prirent un caractère plus aigu et — ce qui est particulièrement important — rencontrèrent souvent un soutien du côté des couches pauvres de la population libre. En même temps se produisit l’irruption dans l’Empire romain des barbares germains, avec lesquels Rome était en guerre depuis plusieurs siècles. L’offensive des Germains facilita le développement des insurrections d’esclaves à l’intérieur de l’Empire, insurrection dont l’ensemble représente la révolution des esclaves. À leur tour, ces insurrections contribuèrent à la défaite de Rome par les Germains, qui accéléra le processus de la révolution des esclaves, la liquidation de l’esclavage.
À la fin du 5e siècle, la lutte des Germains contre Rome aboutit à la défaite complète et à la décomposition de l’Empire romain. Les peuples germaniques, au nombre de cinq millions environ, se trouvaient à un stade inférieur de développement, l’esclavage existait chez eux à l’état embryonnaire. En raison de leur lutte séculaire contre Rome, leurs clans portaient surtout un caractère de démocratie militaire. Mais, ayant conquis Rome, ils ont abandonné le régime des clans, avec lequel il était impossible d’administrer l’État. Les Germains ont créé un nouveau pouvoir politique : le pouvoir du chef militaire devint le pouvoir royal.
Les conquérants germaniques prirent aux Romains les deux tiers de l’ensemble de la terre qui fut distribuée aux clans et aux familles. Mais une partie considérable des terres conquises fut attribuée par les rois aux chefs militaires, qui les donnèrent à leurs guerriers en jouissance perpétuelle sans le droit de vente ou de rétrocession. Ces terres, restées sous le pouvoir suprême du roi, portaient le nom de fiefs et leurs propriétaires, celui de seigneurs féodaux. À cette époque d’incessantes guerres, la petite production paysanne ne pouvait exister sans la protection des grands seigneurs féodaux qui étaient en même temps des chefs militaires. Pendant 400 ans à partir de la chute de Rome, les paysans passent graduellement sous la dépendance de ces seigneurs. Les paysans étaient forcés de mettre leur terre sous la protection du seigneur féodal qui en devenait le propriétaire sans pouvoir la vendre ou la rétrocéder à un tiers. En échange, les paysans s’engageaient à fournir au seigneur féodal et à ses guerriers des produits alimentaires et à exécuter différents travaux. Ainsi, vers le 9e siècle, se forma le régime féodal, ou la féodalité.
3. La féodalité
La base économique du mode féodal de production était la petite production paysanne et celle des petits artisans libres. La production portait un caractère essentiellement naturel, c’est-à-dire que les objets produits n’étaient pas destinés à l’échange.
L’exploitation féodale de la paysannerie revêtait deux formes principales : 1. le paysan était obligé de travailler gratuitement une partie déterminée de la semaine sur les champs du seigneur (corvée) ; 2. il était tenu de livrer une partie du produit de son propre ménage (redevances). Le paysan avait le droit de quitter son seigneur pour un autre sans pouvoir toutefois s’affranchir de la dépendance féodale.
Les artisans indépendants qui habitaient les villes et produisaient pour la vente couvraient une partie considérable de leurs besoins par les produits de leur propre travail (ils possédaient du bétail, un jardin, quelquefois un champ). L’échange était surtout local, entre la ville et les villages environnants. Il y avait aussi le commerce des produits importés d’autres pays, principalement d’objets de luxe, les épices, etc. Mais l’échange entre les différentes régions de chaque pays n’existait presque pas. En raison du caractère naturel de la production et du faible développement des échanges, en raison aussi des mauvaises voies et moyens de communication, les pays étaient morcelés en provinces et régions autonomes.
Les villes habitées principalement par les artisans et les marchands ont dû livrer une lutte violente et prolongée pour conquérir leur autonomie ; elles avaient leurs garnisons à elles et étaient fortifiées. Les artisans étaient groupés en corporations professionnelles. Cette organisation était nécessitée par des entrepôts communs, par le contrôle des prix et de la qualité des produits pour éviter la concurrence. Les marchands avaient leur organisation à eux, les ghildes. Le besoin de défendre leur indépendance contre les seigneurs féodaux favorisait la conservation et le raffermissement de cette organisation des villes. Le régime féodal dans l’agriculture était complété par le régime corporatif dans les villes.
Peu à peu, avec le développement de l’échange, l’exploitation des paysans s’accentue. Plus l’échange s’élargit, et plus le seigneur féodal peut acheter d’objets de luxe et d’armes pour ses guerriers, plus, par conséquent, il doit soutirer des paysans, placés sous sa dépendance. Les champs des seigneurs s’agrandissent aux dépens des terres paysannes. Les corvées du seigneur augmentent ainsi que les redevances.
L’exploitation des paysans s’aggrava aussi à la suite de la formation d’États centralisés à la place des multiples fiefs féodaux. Le morcellement du pays en provinces indépendantes entravait le commerce, parce que chaque seigneur féodal établissait des droits pour le passage des marchandises sur ses possessions, frappait sa monnaie, etc. D’autre part, le commerce était chose risquée en raison des agressions fréquentes commises par les troupes féodales contre les convois de marchandises. Aussi, les marchands cherchaient-ils à : abolir l’indépendance des féodaux. Ils mirent à profit la lutte entre différents seigneurs féodaux, prenant le parti du plus fort, et l’aidant à se soumettre les autres. Avec la formation d’un pouvoir politique central, les troupes des féodaux sont dissoutes et remplacées par l’armée royale. Aux redevances que le paysan payait à son seigneur s’en ajoutaient d’autres destinées à entretenir l’État féodal. Ces redevances pour l’État sont de plus en plus perçues en argent, de naturelles elles deviennent monétaires. Cela favorise le développement de la production marchande, le paysan était obligé de vendre ses produits au marché pour se procurer l’argent nécessaire au paiement des impôts. Les paysans tombent dans une nouvelle servitude, sous la dépendance de l’accapareur et de l’usurier.
L’exploitation renforcée des paysans pousse ces derniers à la fuite. Pour empêcher cette fuite, les paysans furent attachés à la glèbe, ils devinrent des serfs ; sous la forme de servage, leur dépendance féodale est devenue encore plus accentuée.
L’exploitation aggravée des paysans et l’introduction du servage donnèrent lieu à de grands soulèvements paysans (la Jacquerie en France au 14e siècle, la guerre paysanne en Allemagne au 16e siècle, en Russie les révoltes de Razine et de Pougatchev) qui échouèrent tous, parce que les paysans n’ont pas trouvé d’alliés dans les villes, le prolétariat moderne n’existant pas encore.
Dans les villes sont survenus des changements considérables. Les rapports entre les maîtres-artisans et leurs compagnons s’aggravent, ainsi que ceux entre les artisans et les marchands. Pendant la première période de la féodalité, les paysans fuyaient souvent vers les villes qui étaient autonomes et dont les habitants jouissaient de la liberté personnelle. C’est ainsi surtout que s’accroissait la population urbaine. Au début, c’était avantageux pour les villes dont la force numérique s’en trouvait accrue pour la lutte contre les féodaux. Mais avec la croissance de la population urbaine, la menace de concurrence était suspendue sur les artisans. Aussi les corporations restreignent-elles l’admission de nouveaux membres, les délais de l’apprentissage sont allongés, les compagnons sont plus exploités, et il leur devient de plus en plus difficile d’obtenir la maîtrise. En outre, les corporations adoptent des mesures tendant à interdire les nouveaux procédés de production et à combattre le commerce des produits importés. Une lutte s’engage entre les corporations et les marchands.
La décadence de la féodalité
Ainsi l’organisation corporative des artisans était devenue un obstacle au développement ultérieur de la production marchande. Or, les grandes découvertes géographiques du 15e siècle (la voie maritime de l’Inde et de l’Amérique) ont imprimé une forte impulsion au commerce.
Le commerce extra-européen, pratiqué seulement jusqu’alors entre l’Italie et le Levant, fut maintenant étendu jusqu’à l’Amérique et aux Indes et surpassa bientôt en importance tant l’échange entre les divers pays européens que le trafic intérieur de chaque pays pris à part. L’or et l’argent d’Amérique inondèrent l’Europe et pénétrèrent comme un élément de décomposition dans toutes les lacunes, fissures et pores de la société féodale. L’entreprise artisanale ne suffisait plus aux besoins croissants. Dans les industries dirigeantes des pays les plus avancés, elle fut remplacée par la manufacture.
Engels : Anti-Dühring, p. 137.
Voici la genèse de la manufacture capitaliste. Le petit métier étant monopolisé dans les villes par les corporations, le capital commercial intéressé au développement de la production, se mit à répandre son activité au-delà des villes, et stimula le développement de la production artisanale, surtout celle du tissage, dans les campagnes. L’artisan, éloigné de son débouché, tombe sous la dépendance de l’entrepreneur capitaliste. Cette dépendance affecte successivement les formes suivantes : d’abord l’artisan vend ses produits à bas prix, ensuite il reçoit de l’entrepreneur des prêts en argent et en matières premières, enfin il devient ouvrier occupé à traiter les matières premières de l’entrepreneur. L’artisan fournit seulement son outil, il gagne à peine de quoi vivre.
Plus tard, l’entrepreneur groupe les artisans éparpillés dans un seul local où ils travaillent désormais comme ouvriers salariés dépourvus de tout moyen de production. Le capital commercial devient capital industriel. À côté de la petite production marchande apparaît la grande production capitaliste : la manufacture.
La manufacture est une force productive tout à fait neuve, supérieure à celle des petits producteurs. Elle occupe beaucoup d’ouvriers, chacun d’eux accomplit une partie déterminée de l’ouvrage et le travail de tous atteint un rendement de beaucoup supérieur au travail éparpillé des petits producteurs. Avant l’apparition de la manufacture, la division sociale du travail n’existait qu’entre différents petits producteurs indépendants liés par le marché. Désormais, la division du travail est réalisée à l’intérieur même de la manufacture.
À cette nouvelle force productive correspondent de nouveaux rapports de production. Avant, le capital n’existait que sous la forme de capital usuraire et commercial. Le marchand et l’usurier exploitaient les petits producteurs vendeurs de leurs propres produits. Désormais, l’ouvrier ne vend plus ses produits, mais sa force de travail. Les moyens de production appartiennent au capitaliste qui est propriétaire des marchandises fabriquées par l’ouvrier. Celui-ci reçoit un salaire en récompense de la force de travail dépensée et produit la plus-value pour le capitaliste. L’ouvrier est exploité par le capitaliste. De la sorte, le mode de production devient capitaliste. Avec la croissance des forces productives apparaissent et se développent de nouveaux rapports, capitalistes, de production.
Mais le régime féodal entravait le développement ultérieur de ces nouvelles forces productives et des rapports de production correspondants. Ce développement était contrarié par le système corporatif des villes, partie intégrante du régime féodal. Les rapports féodaux au village ne gênent pas moins le développement de la production capitaliste, la dépendance des serfs privant les capitalistes d’une main-d’œuvre bon marché. Ainsi la féodalité, qui à sa naissance correspondait au niveau des forces productives de la société, entre en contradiction avec les forces productives accrues et sa suppression devient une nécessité historique.
Lorsque l’oppression des paysans, des masses urbaines petites-bourgeoises et ouvrières par l’État féodal prit une forme particulièrement aiguë, les révolutions bourgeoises éclatèrent tendant à abolir le régime féodal et à déblayer la vole au développement du capitalisme. Ces révolutions eurent lieu au 17e siècle en Angleterre et à la fin du 18e siècle en France. (Dans les pays où le capitalisme se développa plus tard et où la révolution bourgeoise eut lieu alors que le prolétariat industriel était déjà formé comme l’Allemagne en 1848 et surtout la Russie en 1905, la bourgeoisie passa des compromis avec l’État féodal.)
À un certain stade de ce développement, les nouvelles forces productives mises en œuvre par la bourgeoisie — en premier lieu, la division du travail et le groupement d’un grand nombre d’ouvriers parcellaires dans une seule manufacture — ainsi que les conditions et besoins d’échange qu’elles engendrent, devinrent incompatibles avec le régime de production existant, transmis par l’histoire et consacré par la loi, c’est-à-dire avec les privilèges corporatifs et les innombrables privilèges personnels et locaux (qui constituaient autant d’entraves pour les ordres non privilégiés) de la société féodale. Les forces productives, représentées par la bourgeoisie, se rebellèrent contre le régime de production représenté par les propriétaires fonciers féodaux et les maîtres de corporation.
Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande.
4. Le capitalisme
Le capitalisme se développa à partir de la production marchande, mais avant son apparition, c’était l’économie naturelle qui dominait et non la production marchande. Dans les régimes de l’esclavage et de la féodalité existaient bien l’échange, l’argent, le commerce, mais la masse principale des produits n’était pas destinée au marché. Ce ne fut que sous le capitalisme que la production marchande devint le mode de production général et dominant. Le capitalisme développa largement la division sociale du travail. De la manufacture capitaliste, où le travail manuel forme la base de la production, surgit l’usine capitaliste munie de puissants moyens mécaniques. La productivité du travail s’accroît formidablement. De nouvelles marchandises surgissent, le nombre des industries grandit. Le capitalisme détruit en partie les anciens modes de production, en partie il se les subordonne. Il développa les moyens de communication, pénètre dans tous les coins du globe, crée le marché mondial et l’économie capitaliste mondiale.
Mais en régime capitaliste, la production n’a pas pour but la satisfaction des besoins sociaux mais l’enrichissement des capitalistes. La course au profit, telle est la force motrice. Pour tirer le plus de profit possible, chaque capitaliste, sous la pression de la concurrence, cherche à augmenter sa production, à intensifier l’exploitation des ouvriers, à introduire de nouvelles machines perfectionnées.
Nous avons déjà cité les paroles d’Engels disant que dans une société divisée en classes, « chaque progrès de la production marque en même temps un recul dans la situation de la classe opprimée, c’est-à-dire de la grande majorité. ». Le capitalisme aggrave extrêmement cette contradiction de la société divisée en classes.
Et comme producteur d’ardeur des autres au travail, comme pompeur de surtravail et exploiteur de force de travail, il [le système capitaliste] dépasse en énergie, en démesure et en efficacité, tous les systèmes antérieurs de production reposant directement sur du travail forcé.
Marx, Le Capital, Livre I, P.U.F., Paris, 2009, p. 347.
En développant les forces productives de la société, le capitalisme se révèle de moins en moins apte à les maîtriser. Les crises qui viennent périodiquement ébranler le système capitaliste et détruisent une partie des forces productives le prouvent abondamment. Le capitalisme devient de plus en plus un obstacle au développement de ces forces qu’il a lui-même engendrées. La suppression du capitalisme par la voie révolutionnaire, son remplacement par le communisme, c’est-à-dire par une société sans classes dans laquelle les moyens de production sont propriété collective, devient une nécessité historique.
Ainsi le développement du capitalisme conduit à la création des conditions matérielles et techniques nécessaires à l’édification de la société communiste. En même temps, il crée la force appelée à renverser le capitalisme : la classe ouvrière révolutionnaire dont la situation s’aggrave avec le développement du capitalisme et qui n’a d’autre issue que celle de renverser le capitalisme et de construire la société communiste.
La contradiction entre les forces productives
et les rapports de production
Le rapide coup d’œil que nous avons jeté sur le développement de la société montre que le passage d’un mode de production à un autre n’est pas l’effet du hasard, mais découle du développement de la contradiction entre les forces productives et les rapports de production. Voici en quels termes Marx expose cette loi de l’évolution historique :
… dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. […] À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale.
Contribution à la critique de l’économie politique, préface, Éditions sociales, Paris, 1977, p. 2-3.
Chaque système de rapports de production ou chaque formation sociale, communisme primitif, esclavage, féodalité, capitalisme, communisme, a ses particularités. Mais, en considérant les trois modes de production qui suivirent le communisme primitif, nous verrons qu’un seul trait leur est commun à tous, les rapports de production sont des rapports de classe. Ces modes de production sont caractérisés par l’antagonisme de classe, et la lutte de classe constitue ici le trait fondamental, déterminant de toute la vie sociale. Le capitalisme est la dernière société antagoniste, la dernière société divisée en classe, à sa place vient la société socialiste sans classe, première phase du communisme, dont l’édification commence avec la victoire de la révolution prolétarienne, avec l’instauration de la dictature du prolétariat.
Toutes les révolutions antérieures se ramenaient au remplacement d’un régime d’exploitation par un autre, alors que la révolution prolétarienne abolit toute exploitation.
Seule notre révolution soviétique, notre révolution d’Octobre a posé la question de façon à ne point remplacer un groupe d’exploiteurs par un autre, à ne point remplacer une forme d’exploitation par une autre, mais à anéantir toute exploitation, à supprimer exploiteurs, richards et oppresseurs, anciens et nouveaux.
J. Staline : Dans la bonne voie, p. 12. Bureau d’éditions, Paris, 1933.
Dans la société divisée en classes, la domination de l’homme sur la nature se fait par la domination et l’exploitation de l’immense majorité de la société par une infime poignée d’exploiteurs. Aussi, chaque pas en avant de la production constitue-t-il un pas en arrière dans la situation des travailleurs. Par contre, la révolution prolétarienne inaugure une nouvelle ère, où chaque pas en avant de la production signifie en même temps un pas en avant dans la situation des travailleurs où, pour la première fois, la société devient maîtresse de la nature, où les forces productives se développent à un rythme auquel ne saurait arriver aucune société basée sur l’exploitation d’une classe par une autre. La croissance rapide des forces productives et la victoire du socialisme dans l’U.R.S.S. en sont la preuve la plus éclatante.
5. L’importance de l’économie politique marxiste
Les lois du développement de la société humaine furent découvertes par Marx et Engels, qui ont démontré la nécessité historique du socialisme et de la dictature du prolétariat comme forme de transition du capitalisme au socialisme. Une des parties principales de la théorie de Marx et d’Engels est constituée par leur doctrine économique concernant le développement des rapports de production, en liaison avec celui des forces productives.
La théorie de Marx trouve sa confirmation et son application la plus profonde, la plus complète et la plus détaillée dans sa doctrine économique.
Lénine, Karl Marx, Œuvres, tome 21, p. 54.
Marx et Engels ont porté principalement leur attention sur l’étude des lois du développement et de la chute du capitalisme, afin de trouver la voie de l’émancipation du prolétariat.
[…] marxisme, cette théorie s’assignant pur tâche de mettre en lumière toutes les formes d’antagonisme et d’exploitation dans la société contemporaine, de suivre leur évolution, de démontrer leur caractère transitoire, leur transformation inévitable en une autre forme, et d’aider par là le prolétariat à en finir aussi vite et aussi facilement que possible avec toute exploitation.
Lénine, Ce que sont les « Amis du peuple » et comment ils luttent contre les social-démocrates (Annexe 3), Œuvres, tome 1, p. 355, Éditions sociales, Paris, Éditions du progrès, Moscou, 1966.
La doctrine économique de Marx est donc une arme puissante de la lutte de classe du prolétariat pour le renversement du capitalisme et l’édification du socialisme.
Marx et Engels ont vécu et lutté à une époque où les contradictions du capitalisme n’avaient pas encore atteint le degré suprême de leur développement. Aussi, ne pouvaient-ils pas analyser les nouvelles conditions que le capitalisme crée à la phase supérieure et dernière de son développement. Ce fut Lénine qui analysa les lois de cette phase du capitalisme, les lois de l’impérialisme.
S’appuyant sur les lois du développement du capitalisme découvertes par Marx, Lénine a démontré que l’impérialisme est le capitalisme agonisant en putréfaction ; qu’à l’époque de l’impérialisme, la révolution prolétarienne devient une nécessité urgente et pratique ; que dans les conditions de l’impérialisme, le triomphe du socialisme devient possible d’abord dans un seul pays. En liaison avec les nouvelles tâches du prolétariat révolutionnaire, Lénine a approfondi toutes les questions fondamentales du marxisme, y compris les questions essentielles de l’économie politique.
Staline a développé le marxisme-léninisme conformément aux tâches du prolétariat à l’époque de la crise générale du capitalisme et de l’édification du socialisme en U.R.S.S.