1. La contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste est la cause des crises
L’analyse du procès de la reproduction et de la circulation du capital social nous a conduits directement à la question des crises. Nous avons vu que le mouvement du capital social était plein de profondes contradictions, qui sont l’expression de la contradiction fondamentale du capitalisme.
Ce mouvement s’effectue de façon irrégulière. Sa forme caractéristique se manifeste par des transitions rapides effectuées par bonds, allant de l’animation au déclin, à la crise, à la stagnation.
La vie industrielle devient ainsi une succession de périodes d’activité moyenne, de prospérité, de surproduction, de crise et de stagnation.
K. Marx : le Capital, t. 3, p. 124.
Ces cycles de production se répètent périodiquement. Leur moment décisif, c’est la crise. Juste au moment où la production capitaliste est en pleine marche, où l’on produit des masses toujours croissantes de marchandises, où les prix montent et qu’avec eux augmentent les profits des capitalistes, où le chômage se réduit et où le salaire s’élève, c’est précisément à ce moment que, brusquement, éclate la crise.
Voici comment Engels décrit les crises :
Le commerce s’arrête, les marchés sont encombrés, les produits sont là aussi en quantités aussi massives qu’ils sont invendables, l’argent comptant devient invisible, le crédit disparaît, les fabriques s’arrêtent, les masses travailleuses manquent de moyens de subsistance pour avoir produit trop de moyens de subsistance, les faillites succèdent aux faillites, les ventes forcées aux ventes forcées. L’engorgement dure des années, forces productives et produits sont dilapidés et détruits en masse jusqu’à ce que les masses de marchandises accumulées s’écoulent enfin avec une dépréciation plus ou moins forte, jusqu’à ce que production et échange reprennent peu à peu leur marche. Progressivement, l’allure s’accélère, passe au trot, le trot industriel se fait galop et ce galop augmente à son tour jusqu’au ventre à terre d’un steeple-chase complet de l’industrie, du commerce, du crédit et de la spéculation, pour finir, après les sauts les plus périlleux, par se retrouver… dans le fossé du krach. Et toujours la même répétition.
Engels : Anti-Dühring, p. 315.
Tel est le tableau général des crises. En parlant des crises, nous avons en vue non pas de quelconques dérèglements particuliers de la production sociale, c’est-à-dire non des crises particulières qui peuvent atteindre accidentellement une branche ou une autre, mais les crises générales qui atteignent toute la production capitaliste, toutes ses branches les plus importantes. Nous n’avons pas ici en vue les dérèglements de la production sociale provoqués par des calamités naturelles comme, par exemple, une mauvaise récolte, un tremblement de terre, etc., ou par des calamités nullement accidentelles, des phénomènes sociaux comme la guerre, — nous avons en vue non la sous-production, mais les crises de surproduction générale qui se produisent régulièrement en régime capitaliste.
On dit d’habitude que les crises proviennent de l’anarchie de la production. C’est inexact. L’anarchie de la production a régné également dans l’économie marchande simple et pourtant des crises ne s’y produisaient pas.
L’anarchie de la production dans l’économie marchande simple et en régime capitaliste
Dans une société de petits producteurs de marchandises, la liaison entre les petits producteurs isolés n’est pas organisée, elle se réalise spontanément par l’échange. Mais, ici, la division du travail est encore très peu développée par comparaison avec la division du travail dans la société capitaliste. Les moyens de travail individuels sont mis en mouvement par chaque producteur de marchandises personnellement ; la base de la production, c’est le travail à la main ; chacun de ces producteurs travaille isolément ; le travail est divisé entre les producteurs de marchandises indépendants, mais à l’intérieur des ateliers la division du travail n’existe pas. Comme la production, en général, n’était pas grande et que la division du travail était peu développée, le manque de liaison organisée entre les producteurs de marchandises ne pouvait avoir une grande importance, ne conduisait pas à des secousses dans toute la production sociale.
Les petits producteurs éparpillés effectuaient chacun plusieurs opérations à la fois et pour cette raison étaient relativement indépendants des autres : l’artisan qui semait lui-même le lin, le filait et le tissait, ne dépendait presque pas des autres. Ce régime des petits producteurs éparpillés et ce régime seul justifiait le dicton : « Chacun pour soi et Dieu pour tous », c’est-à-dire l’anarchie des fluctuations du marché.
V. I. Lénine : Œuvres complètes, tome 1, p. 95, édition russe.
La situation est tout autre en régime capitaliste. Ici, le travail est devenu social. Chaque ouvrier forme une partie de la collectivité des ouvriers de l’entreprise. Les moyens de travail sont tels qu’un seul ouvrier ne saurait les mettre en mouvement. La division du travail existe non seulement entre les entreprises, mais aussi au sein de chaque entreprise. La production se fait en grand. La division du travail est poussée à l’extrême. Il existe plusieurs branches de production qui dépendent l’une de l’autre.
Le travail est socialisé par le capitalisme, non seulement dans le sens qu’au sein de l’entreprise, sous le commandement du capital, travaillent beaucoup d’ouvriers, mais aussi dans le sens que, de plus en plus, se renforce l’interdépendance des entreprises isolées.
La socialisation du travail par la production capitaliste ne consiste nullement dans le fait que des hommes travaillent dans une même entreprise (ce n’est là qu’une partie du processus) mais dans le fait que la concentration des capitaux est accompagnée de la spécialisation du travail social ; de la diminution du nombre des capitalistes dans chaque branche d’industrie donnée et de l’accroissement du nombre des branches particulières d’industrie.
V. I. Lénine : Œuvres complètes, t. 1, p. 95, édition russe.
Plus le travail dans la société est spécialisé, plus chaque forme de travail dépend de toutes les autres, c’est-à-dire plus est développée la division du travail, et plus le travail est socialisé. Dans de telles conditions, dans les conditions du capitalisme, l’anarchie de la production entre en opposition avec le caractère social de la production.
Possibilité et nécessité des crises
Ainsi, l’anarchie de la production, dans la production marchande simple, a une incomparablement moindre importance que sous la domination du système capitaliste de production.
Dans le chapitre 3, nous avons montré comment la possibilité des crises apparaît déjà avec le dédoublement de la marchandise en marchandise et en argent, comment les crises, sous une forme embryonnaire, sont renfermées dans la marchandise en général.
C’est pourquoi la possibilité des crises existe déjà dans la production marchande simple. Mais cela est encore une possibilité seulement abstraite, c’est-à-dire une possibilité telle que, dans les conditions de la production marchande simple, elle ne peut pas encore se transformer en réalité.
Dans la production marchande simple, la production a pour but la satisfaction des besoins des producteurs de marchandises et non le profit. Le marché est limité parce que la division du travail n’est pas encore complètement développée. Dans la plupart des cas, le marché est local et facile à observer.
En outre, les forces productives de la société sont encore très peu développées — la production est encore une production individuelle à la main ; elle n’est pas une production de masse, elle s’effectue dans des dimensions limitées et ne peut pas s’élargir rapidement. C’est pourquoi, en régime de production marchande simple, il n’y a pas de crises générales de surproduction.
L’apparition de la production capitaliste conduit à un plus grand renforcement de la possibilité des crises et crée les conditions dans lesquelles la possibilité des crises se transforme en leur nécessité, et dans lesquelles les crises deviennent inévitables. En régime capitaliste, la production marchande prend une extension générale. La force motrice de la production c’est le profit ; chaque capitaliste cherche à élargir au maximum la production afin de tirer le maximum de profit. La production se fait en grand, avec l’emploi de machines. C’est pourquoi elle peut être rapidement élargie. Le crédit se développe, reliant en une seule chaîne tous les capitalistes. Avec le développement de la division du travail s’accentue l’anarchie de la production. En même temps, le capitalisme réduit le niveau de vie des masses ; la classe ouvrière se paupérise. L’élargissement de la production provoqué par la tendance du capital à obtenir une masse toujours plus grande de plus-value se heurte au pouvoir de consommation limité des masses. Toutes ces conditions rendent les crises inévitables.
L’économie marchande simple est caractérisée par la contradiction entre le travail social et le travail privé, sans qu’il y ait contradiction entre le mode de production et le mode d’appropriation (voir ch. 4). En régime capitaliste, la contradiction entre le travail social et le travail privé se transforme en contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.
… l’appropriation par des particuliers du produit du travail social organisé par l’économie marchande, voilà ce qui constitue l’essence du capitalisme.
Lénine : Œuvres, t. 1, p. 237.
Comme la possibilité des crises, qui caractérisait déjà la production marchande simple, ne se transforme en leur nécessité que sur la base du capitalisme, il est évident que nous devons chercher la cause des crises, non directement dans l’anarchie de la production, mais plus profondément, — à savoir dans la contradiction fondamentale du capitalisme, qui le différencie de la production marchande simple. En quoi consiste l’essence même de la contradiction fondamentale du capitalisme ?
On ne doit pas se représenter cette contradiction dans la forme simplifiée : d’un côté, la production sociale, de l’autre le capitaliste ; d’une part les produits sociaux, de l’autre le capitalisme qui se les approprie.
La contradiction fondamentale du capitalisme consiste en ce que la production sociale est subordonnée à la classe des capitalistes. L’appropriation capitaliste n’est pas seulement l’appropriation des produits du travail des ouvriers par les capitalistes. C’est parce que les capitalistes sont les propriétaires des moyens de production sociaux qu’ils s’approprient les produits du travail social. La contradiction fondamentale du capitalisme réside, par conséquent, dans la domination du capital sur le travail social.
Il découle de cela que la production sociale elle-même existe non pour la satisfaction des besoins de la société, mais pour la satisfaction des besoins du Capital.
La limite véritable de la production capitaliste, c’est le capital lui-même, le fait que le capital, avec sa mise en valeur apparaît comme le commencement et la fin, comme la cause et le but de la production ; que la production n’est que de la production pour le capital, tandis que les moyens de production sont de plus en plus des moyens de l’extension continuelle du procès vital de la société des producteurs.
K. Marx : le Capital, t. 10, p. 187.
La tendance à l’élargissement illimité de la production
La production sociale n’est qu’un moyen pour accroître la valeur du capital. Le capital cherche à élargir sans fin la production en vue d’augmenter autant que possible la plus-value en même temps que la valeur du capital (l’accumulation).
De plus, chaque capitaliste est obligé, sous menace de ruine, d’élargir et de perfectionner la production. Pour soutenir la concurrence, c’est-à-dire non seulement pour augmenter son profit, mais simplement pour ne pas être évincé du marché, chaque capitaliste cherche à vendre le meilleur marché possible. Il doit tendre continuellement à battre ses concurrents de crainte d’être battu par eux.
Or, pour battre les autres capitalistes par de bas prix, il faut réduire les frais de production, produire à meilleur marché, ce qui peut être obtenu au moyen de l’augmentation de la productivité du travail, au moyen d’un renforcement de l’exploitation, au moyen d’un élargissement de la production.
C’est la force motrice de l’anarchie sociale de la production qui transforme la perfectibilité indéfinie des machines de la grande industrie en une loi impérative pour chaque capitaliste industriel pris à part, en l’obligeant à perfectionner de plus en plus son machinisme sous peine de ruine…
Engels : Anti-Dühring, p. 313.
Ce qui pousse ensuite les capitalistes à élargir leur production et à élever la productivité du travail sur la base d’une élévation de la composition organique du capital, c’est la baisse du taux moyen du profit, qui est elle-même le résultat de la croissance de la composition organique du capital. Plus est bas le taux moyen du profit, plus il faut produire pour obtenir une plus grande masse de profit. Mais l’élévation de la composition organique du capital aboutit à une baisse ultérieure du taux moyen du profit, qui, à son tour, pousse à un élargissement ultérieur de la production, etc., etc.
De tout ce qui a été dit…
… il ressort que le mode de production capitaliste tend au développement absolu des forces productives, abstraction faite de la valeur et de la plus-value qu’elle renferme, abstraction faite également des conditions sociales où se fait la production capitaliste.
K. Marx : le Capital, t. 5, p. 186.
Pour atteindre leur but, les capitalistes sont obligés d’élargir la production d’une façon illimitée, comme si les limites de cette extension étaient les forces productives elles-mêmes, sans tenir compte des possibilités d’écoulement.
Les moyens de production qui existent comme capital doivent fonctionner, sinon ils cessent d’être du capital. Avec le développement de la production capitaliste, l’échelle de la production est de moins en moins déterminée par la demande immédiate de produits, et de plus en plus par l’importance du capital dont dispose le capitaliste.
K. Marx : le Capital, t. 5, p. 246.
Ainsi, le capital doit élargir sans cesse la production sociale, qui lui est subordonnée et qui lui sert seulement de moyen pour s’accroître. Mais peut-il réellement élargir sans cesse la production sociale ?
Le capital est une limite à l’élargissement de la production capitaliste
La valeur et la plus-value ne sont pas produites indépendamment de la production des valeurs d’usage. Pour accroître la plus-value, il faut élargir la production. Mais la production de quoi ? Celle des valeurs d’usage (moyens de production et articles de consommation), qui doivent être consommées par quelqu’un.
Mais les valeurs d’usage produites sont des marchandises — non pas de simples marchandises, mais des marchandises produites de façon capitaliste — qui renferment une masse déterminée de plus-value. Par conséquent, ces valeurs d’usage ne peuvent être consommées que lorsqu’elles sont vendues, lorsque s’est produite la conversion de la marchandise en argent et, partant, du capital-marchandise en capital-argent.
Une partie des valeurs d’usage (moyens de production et une partie des objets de consommation) est achetée par les capitalistes, l’autre partie doit être achetée par la classe ouvrière. Mais cette dernière peut-elle consommer sans fin en régime capitaliste ? Non, son pouvoir de consommation est déterminé non par ses besoins, mais par son pouvoir d’achat. Or, ce dernier est fatalement en retard sur la croissance de la production, la loi du capitalisme étant l’appauvrissement de la classe ouvrière.
Par conséquent, si le capital doit développer indéfiniment la production, il doit aussi inévitablement réduire le pouvoir de consommation de la société. La tendance au développement illimité de la production sociale se heurte à la limite de la force de consommation de la société bourgeoise.
Mais cette dernière [la force de consommation] n’est déterminée ni par la force productive absolue ni par la force de consommation absolue ; elle l’est par la force de consommation basée sur une répartition antagoniste qui réduit la consommation de la grande masse de la société à un minimum réglé par des limites plus ou moins étroites.
K. Marx : le Capital, t. 5, p. 178.
La réduction de la consommation de la grande masse de la société, c’est-à-dire du prolétariat, au minimum et encore à un minimum qui décroît avec la croissance de la production sociale, découle directement du but même du capital, de l’essence même de l’appropriation capitaliste. C’est pourquoi, lorsque nous disons que la tendance à l’extension illimitée de la production se heurte à la force de consommation de la société comme à sa limite, que la force de consommation des masses constitue le cadre de cette extension, cela signifie, en réalité, que le capital constitue lui-même la limite à l’extension de la production. Voilà pourquoi Marx dit que
La limite véritable de la production capitaliste c’est le capital lui-même.
K. Marx : le Capital, t. 5, p. 187.
La cause de la crise
Le but que s’assigne le capitalisme, l’augmentation de la valeur du capital, est trop limité par rapport aux moyens qu’il doit appliquer, trop étroit pour permettre l’élargissement illimité de la production sociale. En d’autres termes : les rapports de production capitalistes sont trop étroits pour la production sociale.
Les limites dans lesquelles peuvent et doivent se mouvoir la conservation et la mise en valeur de la valeur-capital, qui reposent sur l’expropriation et l’appauvrissement de la grande masse des producteurs, se trouvent continuellement en conflit avec les méthodes de production que le capital doit employer pour atteindre son but et qui poursuivent l’accroissement illimité de la production, assignent comme but à la production la production elle-même et ont en vue le développement inconditionné de la productivité sociale du travail. Ce dernier moyen se trouve en conflit permanent avec le but réduit, la mise en valeur du capital existant.
K. Marx : le Capital, t. 5, p. 188.
Ce conflit entre les forces productives sociales et le but limité du capital s’exprime dans les crises de surproduction. Il va de soi que ce n’est que la surproduction relative. Ce n’est pas un excédent par rapport à ce que la société pourrait consommer en général, mais par rapport à ce qu’elle peut consommer en régime capitaliste. La force de consommation de la classe ouvrière en régime capitaliste n’est pas déterminée par ses besoins, mais par son pouvoir d’achat.
L’anarchie de la production et l’appauvrissement de la classe ouvrière découlent de la contradiction entre le caractère social de la production et le caractère capitaliste de l’appropriation. Les forces productives sociales développées par le capital débordent le cadre de l’appropriation capitaliste qui les domine et les contredit. La cause des crises réside ainsi dans la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.
Puisque cette contradiction qui est la cause des crises existe et agit constamment, pourquoi donc les crises n’éclatent-elles que de temps à autre, pourquoi la production capitaliste ne se trouve-t-elle pas en état de crise permanente au lieu de passer par les phases d’essor, de crise, de stagnation, d’essor, et ainsi de suite ?
Pour répondre à cette question, il faut examiner comment s’effectue en général le développement de la production capitaliste.
Le rôle de la consommation productive
Nous avons vu dans le chapitre précédent que la croissance plus rapide de la production des moyens de production par rapport à la production des objets de consommation personnelle est une loi de la reproduction capitaliste élargie. Cela non seulement accentue la disproportion entre les deux sections de la production sociale et conduit aux crises, mais est en même temps la cause du fait que la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste ne provoque pas une surproduction constante, mais seulement une surproduction périodique.
La croissance de la composition organique du capital signifie qu’une partie de plus en plus considérable de la production sociale est consommée comme capital constant, c’est-à-dire entre dans la consommation productive (à la différence des objets de consommation qui ne servent qu’à la consommation personnelle). C’est pourquoi la production générale peut grandir jusqu’à une certaine limite sans tenir compte de la consommation des masses. Les moyens de production n’étant pas des objets de consommation personnelle du prolétariat, la consommation productive, celle des moyens de production, n’est pas limitée par le pouvoir d’achat des masses.
La croissance de la consommation des moyens de production, consécutive à l’élévation de la composition organique du capital crée de la part des capitalistes la demande d’une quantité de plus en plus grande de moyens de production qui trouvent ainsi un débouché dans la production elle-même.
D’autre part, en liaison avec cela, croît aussi la consommation de la classe ouvrière. Lorsque la production s’élargit, il faut plus d’ouvriers, le total des salaires s’accroît, ainsi que le pouvoir d’achat de la classe ouvrière. La consommation de la classe ouvrière, comme nous le savons, est conditionnée par les besoins de l’accumulation du capital : lorsque, pour élargir la production, les capitalistes embauchent de nouveaux ouvriers et sont obligés, dans certaines conditions d’augmenter les salaires, ils élargissent, par cela même, le marché aussi pour des objets de consommation de masse.
Ainsi la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste peut se développer jusqu’à un certain point sans que le développement de la production sociale se heurte aux limites étroites que lui assigne l’appropriation capitaliste, c’est-à-dire sans crises.
L’accroissement de la consommation des moyens de production crée pendant un certain temps la possibilité d’élargir la production sans tenir compte du pouvoir d’achat des masses. Mais seulement pendant un certain temps, car la tendance à l’extension illimitée de la production doit, tôt ou tard, se heurter aux limites assignées par la force de consommation de la société.
La disproportion de la production et la contradiction entre la production et la consommation
Il faut songer qu’en fin de compte les moyens de production servent pour la production d’objets de consommation. Pour les capitalistes peu importe, en général, quelle valeur d’usage ils produisent. Pour eux, les moyens de production sont un capital, c’est-à-dire un moyen de soutirer du travail non payé à la classe ouvrière. Mais pour produire de la plus-value, les capitalistes ne peuvent échapper à la nécessité de produire des valeurs d’usage tout à fait concrètes, et ils auront beau produire des moyens de production, chaque moyen de production devra, en fin de compte, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, servir à la production des objets de consommation.
La croissance plus rapide des moyens de production doit finalement amener une disproportion entre les sections I et II de la production sociale. Il est inévitable qu’on produise beaucoup trop de moyens de production par rapport à ce qu’il faut pour la section II. Dans la section I apparaît la surproduction. Mais cette surproduction éclate parce que la section II qui produit des objets de consommation ne peut pas élargir sa production assez vite pour pouvoir mettre en œuvre tous les moyens de production que lui offre la section I. Elle ne le peut pas pour cette raison qu’elle se heurte immédiatement au pouvoir d’achat limité des masses.
Cette disproportion de la production découle de la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste. La contradiction entre la tendance à une extension illimitée de la production et le pouvoir d’achat limité des masses en est aussi la conséquence directe. Ce ne sont que deux formes sous lesquelles se manifeste la contradiction fondamentale du capitalisme.
C’est pourquoi la disproportion entre les branches de la production et la contradiction entre la production et la consommation ne doivent pas être considérées comme les causes des crises. La cause des crises c’est la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.
La cause profonde des crises économiques de surproduction réside dans le système capitaliste lui-même.
J. Staline : Deux Bilans, p. 7. Bureau d’éditions, 1930.
2. La marche de la crise
La complexité des formes sous lesquelles se déroule la crise a pour effet que ses causes véritables sont complètement estompées. Voici quelques exemples.
La crise se manifeste tout d’abord non dans le domaine de la production, mais dans le domaine du crédit et du commerce. C’est pourquoi il se crée l’apparence que le trouble du crédit et du commerce est la cause de la crise.
La contradiction fondamentale du capitalisme aboutit au fait que la croissance des forces productives sociales se heurte à l’obstacle que lui oppose l’appropriation capitaliste sous la forme de la consommation limitée des masses. Ordinairement, la crise ne commence pas dans les branches qui produisent les objets de consommation, mais dans celles qui produisent les moyens de production. C’est pourquoi on a l’impression que la surproduction ne se trouve aucunement liée avec la situation des masses prolétariennes, c’est-à-dire avec les rapports de production capitalistes.
Tous ces phénomènes qui déforment les véritables liens des causes et des conséquences sont mis à profit par les « théoriciens » bourgeois et social-démocrates pour démontrer que l’abolition des crises est possible même en régime capitaliste.
C’est pourquoi nous ne devons pas nous borner seulement à éclaircir les causes de la crise, — il est nécessaire aussi d’expliquer la marche de celle-ci.
Le développement de la crise
La crise éclate juste au moment où les affaires vont admirablement bien pour les capitalistes. La surproduction se révèle d’un coup et la crise éclate aussi subitement. Mais, en réalité, la surproduction existe à l’état latent bien avant la crise. Le crédit et le commerce contribuent à cet état de choses.
Les banques concentrent le capital-argent colossal qui est mis à la disposition des industriels sous forme de prêts. Le crédit permet aux capitalistes de produire bien que les marchandises produites auparavant ne soient pas encore vendues. En raison de la hausse des prix qui s’observe la veille de la crise, le crédit permet aux capitalistes de stocker en attendant une hausse ultérieure des prix. Tant que les affaires vont bien, tant que la demande de marchandises augmente, que les prix haussent, etc., les capitalistes peuvent vendre l’un à l’autre des marchandises à crédit. Le crédit permet ainsi à la production de dépasser le cadre du pouvoir d’achat réel.
La banque et le crédit deviennent le moyen le plus puissant pour étendre la production capitaliste au-delà de ses propres limites, et un des véhicules les plus actifs des crises et de la spéculation.
K. Marx : le Capital, t. 12, p. 240.
La demande de marchandises pendant l’essor qui précède la crise, ce n’est pas seulement celle qui émane des consommateurs immédiats, c’est encore la demande spéculatrice des capitalistes commerçants : dans l’espoir de profits plus considérables, les commerçants achètent aux industriels des quantités de marchandises supérieures à la demande des consommateurs immédiats. La séparation du capital-marchandise sous la forme de capital commercial indépendant (voir ch. 7, par. 1), conduit à la formation d’une demande commerciale indépendante. Ce qui a pour effet de pousser la production au-delà des limites déterminées par le pouvoir d’achat véritable de la société.
Ainsi se crée une surproduction latente : la production continue à plein, les prix montent, bien que le marché soit déjà surchargé. Mais dès qu’il se produit, à un certain endroit, un arrêt dans la vente, la surproduction, qui était jusqu’ici à l’état latent, se manifeste aussitôt sous la forme d’une masse énorme de marchandises qui ne trouve pas d’acheteurs.
Bien que les racines de la crise résident dans la production elle-même, la crise éclate tout d’abord dans le domaine du crédit et du commerce.
Les capitalistes étant liés l’un à l’autre par un réseau ramifié de crédit, le retard dans l’écoulement d’une marchandise qui se trouve sur le marché en grande quantité provoque l’insolvabilité des capitalistes intéressés, qui se répercute du coup sur toute la chaîne du crédit : lorsque le capitaliste Dupont ne peut pas faire face à ses échéances envers le capitaliste Martin, celui-ci se trouve dans l’impossibilité de payer ses échéances à Dubois, etc. Le crédit étant concentré dans les banques, l’insolvabilité des débiteurs de la banque aboutit à l’insolvabilité des banques elles-mêmes. Les faillites se succèdent. Les déposants, pour mettre leurs dépôts en sûreté, s’empressent de les retirer de la banque. La demande s’accroît pour le capital de prêt tandis que son offre diminue, c’est pourquoi le taux d’intérêt augmente fortement.
Du domaine du crédit, la crise gagne rapidement le commerce. Les capitalistes (industriels et commerçants), ayant besoin de fonds, baissent les prix de leurs marchandises dans le but de se débarrasser d’elles, ce qui aggrave la concurrence et mène à une baisse plus accentuée des prix. Bien que la baisse des prix soit inégale dans les différentes branches, elle prend un caractère général et se produit d’une façon soudaine.
Enfin la crise éclate dans le domaine de la production. À la suite des faillites, de la baisse des prix, des stocks accumulés et de la diminution des commandes, la production commence à se rétrécir. Les usines ferment et celles qui continuent de travailler réduisent leur production. Les ouvriers sont licenciés en masse. Les capitalistes attaquent les salaires.
Le déroulement de la crise dans la production
La crise dans la production elle-même ne commence pas nécessairement dans les branches qui produisent des objets de consommation. Il n’est nullement nécessaire pour que commence la crise générale de surproduction que des excédents de marchandises invendues s’accumulent à la fois dans toutes les branches. Il suffit que la surproduction commence dans les branches de l’industrie qui ont une importance essentielle pour toute la production sociale.
Pour qu’une crise, et par suite la surproduction, soit générale, il suffit qu’elle intéresse les articles principaux.
K. Marx : Histoire des doctrines économiques, t. 5, p. 70.
Au commencement du 19e siècle, le textile était la branche d’industrie décisive, et c’est l’Angleterre qui occupait une situation décisive dans l’industrie textile mondiale. C’est pourquoi la surproduction dans le textile anglais se transformait en crise de surproduction générale non seulement en Angleterre, mais aussi dans les autres pays capitalistes. Mais depuis l’essor pris par les constructions mécaniques, par la métallurgie et l’industrie minière, c’est-à-dire par l’industrie lourde, depuis qu’elles sont devenues des industries décisives, les crises de surproduction générale commencent ordinairement par la surproduction dans ces branches. Ainsi, par exemple, la crise économique actuelle, qui date de l’automne 1929, a frappé avant tout la métallurgie et l’industrie houillère, et ce ne fut que plus tard qu’elle gagna l’industrie légère.
Dans les branches qui produisent des moyens de production, la crise agit avec beaucoup plus de force que dans celles qui produisent des objets de consommation. Ceci est surtout remarquable dans la crise économique mondiale actuelle qui a atteint tous les pays capitalistes. Ainsi, par exemple, en Allemagne, la production des moyens de production a subi en 1932 une diminution de 53,4 % par rapport à la production moyenne mensuelle de l’année 1928, alors que la production des objets de consommation n’a diminué que de 26,4 %. La production du textile allemand a subi en 1932 une compression de 16 % par rapport à 1929, celle de la chaussure de 24 %, l’industrie mécanique de 60 %, la production de l’acier de 60 %.
Dans tous les pays capitalistes la production des moyens de production a diminué en 1932 de 50 % par rapport à 1928, les constructions navales de 90 %, le textile de 15 % seulement.
La surproduction dans une branche de production qui joue un rôle peu important ne peut pas se transformer en crise de surproduction générale. Ainsi, par exemple, l’industrie des cravates ou d’autres marchandises de mercerie, par sa production, par le nombre des ouvriers qu’elle occupe, par ses liens avec les autres branches, n’est pas une branche dont la surproduction puisse amener une surproduction dans toutes les autres branches.
La situation est tout autre dans les branches qui produisent des moyens de production, la métallurgie, les constructions mécaniques, l’industrie houillère fournissent en moyens de production toutes les branches de l’économie nationale, leur production représente la plus grande partie de toute la production sociale, elles occupent de grandes masses d’ouvriers. La production croissant beaucoup plus rapidement dans ces branches que dans la section II, qui produit des objets de consommation, la surproduction commencera même s’il n’existe pas une surproduction manifeste d’objets de consommation. Les objets de consommation produits peuvent encore être écoulés, mais du moment que la deuxième section ne peut plus élargir sa production, les moyens de production qui sont offerts en quantités grandissantes par la première section se trouvent « surproduits ».
Comme les branches qui produisent les moyens de production occupent un grand nombre d’ouvriers, la réduction du nombre de ces derniers et la baisse des salaires des ouvriers qui restent occupés réduisent immédiatement et considérablement la demande en objets de consommation, et des objets de consommation, qui auparavant n’étaient pas en excédent, se trouvent désormais « surproduits ». La surproduction gagne ainsi les branches qui produisent des objets de consommation. Dans ces branches, le nombre des ouvriers étant réduit et leur salaire diminué, la demande en objets de consommation diminue encore. Si avant la crise, la section II, n’avait pas augmenté ses commandes à la section I, maintenant elle les comprime et pour cette raison la surproduction dans la section I s’accentue davantage, etc.
Ainsi, nous voyons que, par ses formes extérieures, la crise se déroule dans le sens opposé à l’ordre réel des causes et des conséquences. Les faillites et les troubles du crédit, la baisse des prix et les stocks ont pour cause la surproduction, le fait que la production capitaliste est sortie des limites que lui avaient assignées les rapports de production capitalistes. Mais la crise éclate d’abord dans le domaine du crédit et du commerce et après seulement gagne la production. Cela provient du fait que le procès de reproduction capitaliste comprend la production et la circulation. La liaison de production entre les entreprises et la liaison entre la production et la consommation se réalisent dans la circulation. C’est pourquoi la crise se manifeste avant tout dans le domaine du crédit et du commerce. D’où l’illusion que la cause des crises de surproduction réside dans le défaut de crédit et dans la baisse des prix.
La dévaluation du capital et la destruction des forces productives
La baisse des prix des marchandises aboutit à la dévaluation du capital. Les marchandises constituent l’une des formes sous lesquelles existe le capital, à savoir la forme du capital-marchandise. C’est pourquoi la baisse des prix constitue la dévaluation du capital-marchandise. Mais la dévaluation frappe aussi le capital engagé dans la production. C’est que les moyens de production — les machines et les matières premières — représentent une masse considérable des marchandises surproduites. Lorsque le prix de ces dernières baisse sur le marché, les stocks des matières premières se trouvent aussi dévalués bien que les industriels les aient achetés auparavant à des prix plus élevés, non pour la spéculation, mais pour la production. Il en est de même pour l’outillage.
Lorsqu’un capitaliste fait faillite, son entreprise est vendue pour payer ses dettes à un prix inférieur au prix de revient. Si l’entreprise a coûté 1 million de francs et est vendue 800 000 francs, pour le nouveau propriétaire cela signifie la baisse des frais de production, bien qu’il n’y ait eu aucun changement dans la technique de cette entreprise. Le nouveau propriétaire pourra réaliser et tirer du profit en vendant les marchandises à des prix plus bas. Pendant les crises, les entreprises des capitalistes ayant fait faillite passent aux mains de capitalistes plus forts et plus solides. Le procès de la centralisation du capital s’accélère.
La dévaluation du capital n’est rien d’autre que la diminution de la valeur du capital dont les éléments matériels, machines, matières premières, etc., ne subissent pas de changement quant à leur grandeur. On assiste aussi à une destruction directe de marchandises et de moyens de production. L’inactivité des usines provoque l’usure improductive des machines, des édifices, etc. Mais les capitalistes ont recours aussi à la destruction consciente de valeurs d’usage. Tout le monde sait que dans certains pays, les locomotives sont chauffées au froment et au café, que du lait a été jeté à la mer, que des quantités formidables de coton ont été anéanties, etc. Des entreprises sont démolies, des mines inondées. Ainsi, en 1932, à Chemnitz, en Allemagne, a été complètement démolie une grande usine mécanique, construite d’après le dernier mot de la technique, et qui employait plus de 20 000 ouvriers. La nécessité de payer la rente au propriétaire du terrain avait rendu plus avantageuse la vente de l’usine à la ferraille. Et ce n’est pas là un fait unique.
Pendant la crise se produit une destruction massive de force de travail, cette force productive fondamentale de la société. Le chômage, la famine, le froid, les maladies, tout cela détruit de la force de travail. Mais les capitalistes y sont directement intéressés, la misère grandissante de la classe ouvrière facilitant la baisse des salaires.
Les crises sont la réunion et l’aplanissement violent des contradictions du capitalisme
Quelle est la portée de phénomènes tels que la baisse des prix, la dévaluation du capital, la baisse des salaires, la compression de la production, la destruction directe de valeurs d’usage, les faillites des capitalistes les plus faibles et la centralisation du capital entre les mains de capitalistes plus forts ? Tous ces procès aplanissent par la force la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste, qui a eu pour effet de pousser les forces productives de la société au-delà des limites imposées par les rapports de production capitalistes et, par conséquent, de déclencher la crise. Par la dévaluation du capital, par la destruction de marchandises, la compression de la production, etc., la crise anéantit l’ « excédent » des forces productives de la société ; elle refoule les forces productives qui ont pris des proportions trop considérables dans les cadres des rapports de production capitalistes.
Étant elle-même la conséquence et l’expression la plus éclatante de la contradiction fondamentale du capitalisme, le choc de deux forces hostiles — de la production sociale et de l’appropriation capitaliste —, la crise aplanit momentanément cette contradiction.
Il faut voir dans les crises la concentration réelle et la compensation violente de toutes les contradictions de l’économie bourgeoise.
K. Marx : Histoire des doctrines économiques, tome 5, p. 57.
Par suite de la destruction d’une partie des forces productives, de la baisse des salaires, de la dévaluation du capital et de sa centralisation, les frais de production diminuent, c’est-à-dire que se crée la possibilité de tirer du profit même en vendant les marchandises à de bas prix. Or le profit étant le seul motif de production pour les capitalistes, la baisse des frais de production donne une impulsion nouvelle à l’élargissement de la production.
Ainsi la crise résout momentanément les contradictions du capitalisme, en créant les conditions d’un mouvement ultérieur de la production capitaliste ; par cela même la crise crée la possibilité d’un mouvement ultérieur de la contradiction fondamentale du capitalisme.
Les crises ne sont jamais que des solutions momentanées et violentes des contradictions existantes, des éruptions violentes qui rétablissent pour un moment l’équilibre troublé.
K. Marx : le Capital, t. 10, p. 186.
Après une forte chute des prix et la compression de la production, commence la dépression, au cours de laquelle les stocks de marchandises sont en partie détruits, en partie vendus, peu à peu « absorbés ». Après une dépression plus ou moins longue commence peu à peu un essor dont la base est le renouvellement du capital fixe de l’industrie. (La crise économique actuelle dans les pays capitalistes et la dépression actuelle présentent une série de particularités caractéristiques. Voir là-dessus le chapitre suivant.)
Les capitalistes sortis indemnes de la crise cherchent à réduire les frais de production en vue d’obtenir des profits élevés tout en vendant à de bas prix. Pour cela, outre la baisse des salaires, ils introduisent une série de perfectionnements, de nouvelles machines, adoptent de nouveaux procédés de travail, etc. Les vieilles machines moins perfectionnées sont remplacées par de nouvelles bien avant qu’elles soient usées (encore une fois, destruction de forces productives). Le capital fixe est remplacé.
La concurrence, surtout quand il s’agit d’importants bouleversements décisifs, force les capitalistes à remplacer avant terme les vieux moyens de travail par de nouveaux. Ce sont principalement les catastrophes, les crises, etc., qui amènent dans le matériel d’exploitation un tel renouvellement prématuré sur une vaste échelle sociale.
K. Marx : le Capital, t. 6, p. 36.
Or le remplacement du capital fixe avant sa « mort naturelle » implique la nécessité d’investir un nouveau capital. Ce qui provoque une demande accrue de moyens de production et, partant, l’élargissement de la production dans les branches qui produisent les moyens de production, d’où la réintégration des ouvriers dans l’industrie et la croissance de la demande en objets de consommation, d’où l’élargissement de la production dans les branches qui produisent des objets de consommation, etc. Il s’ensuit une nouvelle reprise d’activité puis un nouvel essor.
Le remplacement du capital fixe provoqué par la crise est donc la base d’un nouvel essor.
La périodicité des crises
La crise constitue toujours le point de départ de grandes entreprises et, par suite, si nous considérons toute la société, plus ou moins une nouvelle base matérielle pour le prochain cycle de rotations.
K. Marx : le Capital, t. 6, p. 62.
Le nouvel essor qui suit la crise se déroule déjà sur la base d’un capital plus centralisé et à composition organique plus élevée qu’auparavant. Par conséquent, après la crise, les forces productives sont plus puissantes qu’avant. La crise contribue ainsi à la croissance des forces productives sociales, mais au moyen de leur destruction.
Le capital étant, après la crise, plus centralisé et offrant une composition organique plus élevée, il en ressort que la production sociale peut croître beaucoup plus rapidement qu’avant la crise. Mais cela signifie que la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste devient, après chaque crise, plus aiguë qu’avant, que la tendance à l’extension illimitée de la production doit à nouveau se heurter, et cela avec plus de force encore, au pouvoir de consommation de la société limité par le capital. Une crise plus forte et plus destructive doit s’ensuivre.
La reprise commence en liaison avec le renouvellement du capital fixe, c’est-à-dire par la section I de la production sociale (production des moyens de production), dans la section II l’essor suit celui de la section I. L’augmentation de la consommation de la classe ouvrière, en liaison avec la réintégration dans la production, n’est, encore une fois, pas le but, mais seulement la conséquence de l’élargissement de la production. Encore une fois, en raison de la contradiction fondamentale du capitalisme, elle sera en retard sur l’élargissement de la production.
Dès que commence l’essor, la demande de marchandises augmente, et les prix montent. Dans ce procès, la demande de marchandises s’accroît dans une mesure beaucoup plus considérable que les besoins mêmes de la production capitaliste ; elle est artificiellement grossie par le commerce, le crédit et la spéculation.
Ainsi, la contradiction n’est pas abolie par la crise, elle n’est que temporairement aplanie ; la crise ne fait que « rétablir pour un moment l’équilibre troublé » pour le violer à nouveau tout de suite après.
Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D’un côté, par la destruction forcée d’une masse de forces productives ; de l’autre, par la conquête de nouveaux marchés et l’exploitation plus approfondie des anciens. À quoi cela aboutit-il ? À préparer des crises plus générales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir.
K. Marx et F. Engels : le Manifeste…, p. 19.
En effet, à partir de 1825, le monde capitaliste a traversé une série de crises qui se sont répétées en moyenne tous les dix ans et ensuite tous les six-sept ans. Les crises ont eu lieu en 1825, en 1836, en 1847, en 1857, en 1866 et en 1877. Dans les années 80 et au commencement des années 90, il y eut un marasme dans la production des principaux pays capitalistes, ensuite, commence un essor qui aboutit à la crise de 1900-1901. Puis, ce furent les crises de 1907, 1913, 1921 et 1929-35. Cette dernière est la plus formidable de toutes celles que le capitalisme ait jamais traversées (nous en parlerons spécialement dans le dernier chapitre).
Chaque nouvelle crise se produit sur la base d’un niveau plus élevé des forces productives que la précédente, aussi les crises ont-elles chaque fois un caractère plus profond.
Les crises de surproduction sont donc des crises périodiques, elles reviennent inévitablement à des intervalles déterminés. La même cause qui provoque en général la crise est aussi la cause de la périodicité des crises. La contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste, qui est la cause des crises, obtient une solution temporaire dans la crise, mais une solution telle qu’elle rend inévitable une nouvelle crise. Les crises découlent de la nature même du capitalisme, et c’est pourquoi elles ne peuvent disparaître qu’avec l’abolition de la domination du Capital sur les forces productives sociales, ou avec l’abolition du capitalisme.
3. La signification des crises
Les crises représentent la manifestation la plus éclatante des contradictions du capitalisme. Pendant la crise, la contradiction irréductible entre la production sociale et l’appropriation capitaliste devient tout à fait évidente.
Le capitalisme transforme la production sociale destinée à satisfaire les besoins des producteurs, en une entrave à la satisfaction de ces besoins. La classe ouvrière vit dans la misère, non parce qu’elle ne produit pas assez d’objets de consommation, mais parce qu’elle en produit trop.
Si les ouvriers manquent de travail ce n’est pas parce que les moyens de production font défaut, mais parce qu’il y en a trop. Entre les ouvriers et les moyens de production se dresse le capital qui empêche leur conjonction.
Juste au moment où le chômage, la misère et la famine arrivent à leur point culminant, les moyens de production et les objets de consommation qui pourraient être utilement employés pour combattre le chômage, la misère et la famine sont détruits par les capitalistes.
Les crises expriment la collision des forces productives avec les rapports de production
Le caractère des crises, crises d’abondance, misère à force de richesse, montre tout à fait clairement que les rapports de production capitalistes sont incompatibles, inconciliables avec l’existence de la société. Les crises montrent tout à fait clairement que l’existence de la société réclame la suppression du capitalisme, l’affranchissement de la production sociale de la domination du Capital.
Par rapport aux anciens modes de production, le capitalisme a été une forme sociale qui développe rapidement les forces productives sociales. Les crises montrent que le capitalisme a développé les forces productives à tel point qu’il en entrave déjà le développement ultérieur, et s’il les développe, c’est, au prix de destructions formidables seulement de celles-ci.
On voit, dans les crises, la contradiction entre production sociale et appropriation capitaliste arriver à l’explosion violente.
Engels : Anti-Dühring, p. 315.
La production sociale déborde le cadre des rapports de production capitalistes et tout le mécanisme de la production capitaliste s’en trouve détraqué.
La crise c’est le choc de deux forces hostiles au sens plein de ce mot.
La production sociale, comme dit Engels, se révolte contre l’appropriation capitaliste.
Cette révolte s’exprime dans le fait que tout le mécanisme de la production capitaliste craque sous le poids des forces productives créées par lui-même.
Les forces productives de la société se heurtent à l’obstacle que présentent les rapports de production capitalistes, et, pendant la crise…
… Elles précipitent dans le désordre la société tout entière et menacent l’existence de la propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein.
K. Marx et F. Engels : le Manifeste…, p. 17.
La crise et la révolution
Pendant la crise, les contradictions de classe s’aggravent à l’extrême. Toute crise comporte une menace de révolution.
Un développement des forces productives qui diminuerait le nombre absolu des ouvriers, c’est-à-dire mettrait toute la nation à même d’opérer sa production totale en un temps moindre, amènerait une révolution parce qu’il vouerait la majorité de la population au chômage. Ce conflit apparaît en partie dans les crises périodiques.
K. Marx : le Capital, t. 10, p. 213-214.
C’est pourquoi Marx, Engels et Lénine, avant l’approche de chaque crise, étudiaient soigneusement les perspectives de révolution.
Une des principales causes de ce que jusqu’à présent la bourgeoisie a trouvé une issue aux crises et de ce que la possibilité de révolution créée par chaque crise ne s’est pas transformée en révolution réelle réside dans le fait que le prolétariat ne devient pas immédiatement une classe consciente et organisée, capable de se libérer de la domination du Capital : c’est seulement la longue école de la lutte de classe qui lui donne cette conscience et cette organisation.
Si chaque crise périodique porte en elle une possibilité de révolution, cela ne veut pas dire que la révolution ne puisse éclater que pendant une crise de surproduction. Le développement du capitalisme conduit à une aggravation des contradictions telles qu’elle rend la révolution possible et inévitable, indépendamment du fait qu’il y ait ou non une crise de surproduction.
4. Les théories bourgeoises et social-démocrates des crises
Les crises montrent, avec une force chaque fois plus grande, que le régime capitaliste ne répond plus à son rôle historique, que, de forme de développement des forces productives, il en est devenu une entrave.
Les crises, chaque fois avec plus de force, créent une menace pour l’existence du capitalisme.
C’est précisément pour cela que l’économie politique bourgeoise essaie, de toutes ses forces, de prouver que les crises sont un phénomène fortuit, qu’elles ne découlent pas de la nature même du capitalisme, que le capitalisme peut abolir les crises.
La théorie des crises la plus répandue dans l’économie politique bourgeoise tend à établir que les crises découlent du manque capital de prêt. Si l’on parvenait à régler le crédit, on réussirait, paraît-il, à abolir pour toujours les crises. Nous avons vu plus haut que les crises commencent dans le domaine du crédit, bien que leurs racines remontent à la production. La crise du crédit n’est qu’un indice, un symptôme de la crise qui approche. Mais la « science » bourgeoise reste fidèle à sa nature et glisse sur la surface des choses.
L’économie politique [bourgeoise] révèle son caractère superficiel par ce simple fait qu’elle considère comme cause déterminante du cycle industriel l’expansion et la contraction du crédit, c’est-à-dire le simple symptôme des périodes alternatives.
K. Marx : le Capital, t. 4, p. 99.
La théorie qui considère les crises comme des phénomènes accidentels et qui peuvent être abolis a subi un échec tel que depuis quelques années l’économie politique bourgeoise a, en général, abandonné toute tentative d’expliquer les crises et se borne simplement à les décrire.
Les chefs et les théoriciens social-démocrates ne peuvent pas simplement répéter les affirmations des économistes bourgeois ; ils les dissimulent sous une phraséologie marxiste.
Ces deux théories des crises les plus répandues parmi les social-démocrates sont : 1o la théorie de la disproportion, et 2o celle de la sous-consommation.
Nous avons déjà montré que la disproportion entre les branches de production et la consommation limitée des masses découlaient de la contradiction fondamentale entre la production sociale et l’appropriation capitaliste, et que ni la disproportion ni la consommation limitée des masses ne peuvent être considérées comme les causes des crises : la cause des crises, c’est la contradiction fondamentale du capitalisme.
Les théoriciens social-démocrates voient la cause des crises tantôt dans la disproportion, tantôt dans le bas niveau de la consommation. Les uns affirment que la cause des crises réside dans le développement disproportionné des branches de production et que les crises n’ont rien de commun avec la situation des masses prolétariennes, les autres affirment que la crise est engendrée par la sous-consommation des masses. Les représentants de ces deux conceptions sont en apparence fidèles à la doctrine marxiste : Marx a en effet parlé de la disproportion et de la sous-consommation. Mais en réalité ces deux théories sont tout à fait contraires au marxisme.
La théorie de la disproportion
Le représentant le plus en vue de la théorie de la disproportion est Hilferding qui a emprunté sa théorie à Tougan-Baranovski. Ce dernier affirme qu’en conservant la proportion entre les branches de la production est possible un développement sans crises du capitalisme, même dans le cas où la consommation personnelle serait réduite à zéro. C’est pourquoi la cause de la crise, c’est seulement la violation de la proportion, c’est-à-dire la disproportion.
Nous avons déjà constaté plus haut (chapitre 10, paragraphe 3) toute la stupidité de cette phrase vide, à savoir qu’est possible la proportion entre la production des moyens de production et la production des objets de consommation, indépendamment de l’état et des dimensions de cette même consommation ; c’est pourquoi nous n’analyserons plus la théorie de la disproportion. Rappelons seulement que la disproportion de la production est le résultat inévitable de la contradiction fondamentale du capitalisme.
« L’anarchie de la production », « l’absence de plan dans la production », qu’est-ce que cela exprime donc ? Cela exprime la contradiction entre le caractère social de la production et le caractère individuel de l’appropriation.
V. I. Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 39. (Édition russe.).
En niant l’importance du bas niveau de la consommation des masses, Hilferding nie par cela même la contradiction fondamentale du capitalisme, qui crée un obstacle au développement de la production sous la forme du pouvoir de consommation limité de la société. Mais cette négation de la contradiction fondamentale du capitalisme comme cause des crises inévitables, les social-démocrates en ont besoin pour démontrer que l’on peut éviter les crises en régime capitaliste si seulement on abolit la disproportion entre les branches de la production ; ils en ont besoin pour donner une base à la théorie du capitalisme organisé.
La théorie de la sous-consommation
Le représentant le plus en vue de la deuxième théorie social-démocrate, celle de la sous-consommation, est Tarnov, que nous avons déjà mentionné. Cette théorie non plus n’est pas neuve, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, elle remonte au commencement du 19e siècle, où elle fut lancée par l’économiste petit-bourgeois suisse, Sismondi. Celui-ci affirmait que comme les crises découlent de la sous-consommation des masses, comme ces dernières sont vouées en régime capitaliste à la sous-consommation, les crises sont donc impossibles à éliminer. Sismondi en conclut qu’il faut revenir en arrière, à la petite production.
La social-démocratie contemporaine, dans la personne de Tarnov et d’autres, s’est emparée de cette théorie et en a tiré une conclusion tout à fait opposée : comme la crise découle de la sous-consommation, comme les capitalistes souffrent des crises non moins que la classe ouvrière, les capitalistes sont directement intéressés a ce que les ouvriers consomment davantage. Il suffit donc que les capitalistes payent aux ouvriers de hauts salaires et les crises disparaîtront à jamais. Et Tarnov berce les ouvriers par des fables sur la possibilité d’une augmentation des salaires par les capitalistes eux-mêmes. Il ne faut pour cela qu’une seule chose, c’est que les ouvriers travaillent davantage.
Si Sismondi, en constatant la sous-consommation des masses, conclut que le capitalisme n’est pas progressif et préconise le retour à la petite production, Tarnov et d’autres font, au contraire, l’apologie du capitalisme en s’efforçant de prouver que les capitalistes sont intéressés à l’augmentation des salaires et que cette augmentation mettra fin aux crises en régime capitaliste.
Les recettes social-démocrates pour surmonter les crises en régime capitaliste sont aussi peu originales que leurs explications des crises.
Le merveilleux moyen de surmonter les crises par l’augmentation des salaires a déjà été inventé à la fin du siècle dernier par l’économiste bourgeois allemand Sombart dans le but de duper les ouvriers.
Pour se rendre compte que l’augmentation des salaires ne peut empêcher la crise, il suffit de voir qu’à la veille de la crise, à savoir dans la période d’essor industriel, les salaires augmentent ordinairement. L’augmentation des salaires dans la période d’essor ne fait qu’annoncer la crise.
Mais, peut-on dire, quelle est donc la signification de la contradiction entre la production et la consommation en régime capitaliste, contradiction objectée par Lénine aux apologistes bourgeois qui nient le lien entre les crises et le bas niveau de la consommation des masses ?
La contradiction entre la production et la consommation en régime capitaliste, dévoilée par Marx et par Lénine, n’a rien de commun avec la théorie de la sous-consommation.
La sous-consommation (qui expliquerait prétendument les crises) existait sous les régimes économiques les plus différents, mais les crises ne sont le signe distinctif que d’un seul régime, le régime capitaliste.
V. I. Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 36, édition russe.
Il ne s’agit donc pas seulement de la sous-consommation, il ne s’agit pas simplement de la contradiction entre la production et la consommation, mais du caractère de cette contradiction comme la forme sous laquelle se manifeste la contradiction fondamentale du capitalisme. C’est ce que ne pouvait voir l’idéologue de la petite-bourgeoise Sismondi, c’est ce que ne veulent pas voir les apologistes social-démocrates du capitalisme.
Il s’agit du fait que le capitalisme, pour ses besoins d’accumulation, tend à élargir sans fin la production sociale et en réduisant la consommation des masses, il dresse lui-même un obstacle à cette extension. Il s’agit donc de la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste. Comme la théorie de la disproportion, la théorie social-démocrate de la sous-consommation nie cette contradiction pour prouver que les crises peuvent être supprimées en régime capitaliste.
La théorie de Rosa Luxembourg
La théorie des crises de Rosa Luxembourg découle de sa théorie de l’accumulation. Nous avons montré plus haut que, tout aussi bien que Sismondi, elle considère comme impossible la réalisation du produit dans une société purement capitaliste. Par suite du bas niveau de la consommation des masses en régime capitaliste, il devrait y avoir une surproduction constante, une crise permanente. La réalisation du produit capitaliste n’est, paraît-il, possible, que sur le marché non capitaliste, « extérieur », des « tierces personnes ». Comme les capitalistes trouvent un écoulement chez les petits producteurs, l’accumulation se produit sans obstacle, mais à peine la demande de ces « tierces personnes » diminue-t-elle que la crise devient inévitable.
Lénine a montré que la théorie sismondiste de la sous-consommation explique les crises non par les contradictions intérieures de la production capitaliste, mais par des phénomènes extérieurs. La théorie de Sismondi explique les crises…
… Par la contradiction entre la production et la consommation de la classe ouvrière, la seconde [c’est-à-dire la théorie de Marx], par la contradiction entre le caractère social de la production et le caractère privé de l’appropriation. La première, par conséquent, voit la racine du phénomène en dehors de la production…, la seconde, précisément dans les conditions de la production.
V. I. Lénine : Œuvres complètes, t. 2, p. 36. (Édition russe.).
Ces paroles de Lénine s’appliquent pleinement et avec la même force aussi à Rosa Luxembourg.
En niant la possibilité de la vente de la partie accumulée du produit supplémentaire dans les limites du système capitaliste et en expliquant les crises par la diminution ou par l’absence de la demande de la part des « tierces personnes », Rosa Luxembourg, par cela même, explique les crises non par les contradictions intérieures du capitalisme, mais par les rapports du capitalisme avec son milieu extérieur. Par conséquent, elle se détourne en fait de la contradiction fondamentale du capitalisme.
L’importance de la théorie marxiste-léniniste des crises
Nous voyons que toute tentative d’expliquer les crises autrement que par la contradiction fondamentale du capitalisme est en fait la négation de cette contradiction, et ainsi conduit directement ou indirectement au renoncement à la révolution prolétarienne.
La grande signification révolutionnaire de la théorie marxiste-léniniste des crises consiste dans le fait qu’elle montre que les crises découlent de la nature même du capitalisme et, par conséquent, ne peuvent être supprimées qu’avec le capitalisme lui-même.
Dans les crises se révèlent, chaque fois plus fortement, toutes les contradictions du capitalisme ainsi que son incapacité de diriger la production sociale. Les crises posent chaque fois dans toute son ampleur la question de la nécessité de l’abolition du capitalisme, de la nécessité de la révolution prolétarienne.
D’une part, donc, le mode capitaliste de production est convaincu de sa propre incapacité de continuer à administrer ces forces productives. D’autre part, ces forces productives elles-mêmes poussent avec une puissance croissante à la suppression de la contradiction, à leur affranchissement de leur qualité de capital, à la reconnaissance effective de leur caractère de forces productives sociales.
Engels : Anti-Dühring, p. 316.
Cette portée révolutionnaire des crises a été particulièrement soulignée par Lénine.
L’armée du prolétariat se raffermit dans tous les pays. Sa conscience, sa cohésion et sa résolution grandissent à vue d’œil. Et le capitalisme se charge avec succès de rendre plus fréquentes les crises dont se servira cette armée pour abolir le capitalisme.
V. I. Lénine : Œuvres complètes, tome 12, p. 93, édition russe.
La position léniniste de la question de l’importance des crises est très étroitement liée à la lutte implacable que Lénine mena contre les critiques de la théorie marxiste de la reproduction et des crises, contre les tentatives d’interpréter la théorie marxiste uniquement comme une théorie de la disproportion ou une théorie de la sous-consommation.
Dans cette lutte, Lénine, en dévoilant toute la profondeur de la théorie marxiste des crises, a continué la doctrine de Marx d’après laquelle la contradiction fondamentale du capitalisme est la cause des crises. Il a aussi brillamment élaboré les autres côtés de la théorie marxiste des crises. Lénine a montré que, pour Marx, la disproportion des branches de production et la contradiction entre la production et la consommation étaient deux aspects de la contradiction fondamentale du capitalisme entre la production sociale et l’appropriation capitaliste.
Dans la lutte avec tous les adversaires déclarés du marxisme, notamment avec ces « marxistes » qui, se cachant derrière une phraséologie marxiste, déformaient et falsifiaient en réalité le marxisme, en le châtrant de son contenu révolutionnaire, Lénine a développé la doctrine de Marx de la contradiction fondamentale du capitalisme comme cause des crises. Et tandis que l’opportunisme s’efforçait de détourner la classe ouvrière de la voie de la lutte révolutionnaire contre le capitalisme sur la voie de la lutte « purement économique », sur la voie du réformisme et de la conciliation avec la bourgeoisie, en inventant les « théories » de la possibilité de la suppression des crises en régime capitaliste, Lénine a posé devant le prolétariat la tache de la lutte de classe révolutionnaire pour le renversement du capitalisme, qui mettra aussi fin aux crises.
La crise prouve que les ouvriers ne peuvent pas se borner à la lutte pour obtenir des capitalistes telles ou telles concessions isolées… la faillite se produit et les capitalistes, non seulement reprennent toutes les concessions qu’ils avaient faites, mais profitent encore de l’impuissance des ouvriers pour diminuer encore les salaires. Et il en sera fatalement ainsi jusqu’au jour où les armées du prolétariat socialiste renverseront la domination du capital et de la propriété privée.
V. I. Lénine : Œuvres complètes, tome 4, p. 186.
5. L’impossibilité des crises en U.R.S.S.
La révolution prolétarienne abolit l’emprise du Capital sur les forces productives sociales, et, par cela même, liquide la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste et supprime la cause même des crises. Si le Capital tend à soutirer la plus grande quantité possible de plus-value et, par cela même, tend à l’extension illimitée de la production en vue de l’accumulation, si cette dernière conditionne le pouvoir d’achat limité de la société, qui fait obstacle à la croissance de la production, en U.R.S.S. au contraire, la croissance du pouvoir d’achat devance celle de la production.
Les forces productives servent à la satisfaction des besoins, mais les besoins des masses doivent s’accroître sans cesse. Ils croissent et doivent croître d’une façon continue parce qu’ils ne sont pas limités par le capital. Ainsi la croissance de la production ne se heurte pas au pouvoir d’achat limité des masses, bien au contraire, la consommation pousse la production en avant.
Chez nous, en U.R.S.S., l’accroissement de la consommation (pouvoir d’achat) des masses dépasse sans cesse l’accroissement de la production à laquelle il sert de stimulant… L’amélioration systématique de la situation des travailleurs et l’accroissement ininterrompu de leurs besoins (pouvoir d’achat) constituent un stimulant de plus en plus fort à l’élargissement de la production, préservent la classe ouvrière contre les crises de surproduction, l’extension du chômage, etc., etc.
J. Staline : Deux Bilans, p. 50-51.
Bien que l’U.R.S.S. ne soit pas séparée du monde capitaliste par une muraille de Chine, bien qu’elle ait des relations commerciales avec les pays capitalistes entraînés dans la crise économique mondiale, cette dernière n’a pu gagner l’économie soviétique, car le système même de cette économie exclut la possibilité des crises.
Les vagues de la crise économique mondiale qui ont submergé le monde capitaliste tout entier se brisent sur le système économique socialiste. Ce fait est si évident que tous les ennemis de l’U.R.S.S. sont obligés de le reconnaître.
Trotski affirmait que l’économie soviétique se trouvait sous le contrôle de l’économie capitaliste mondiale et que les crises dans les pays capitalistes devaient gagner l’U.R.S.S. Cette affirmation est intimement liée à la théorie social-démocrate de Trotski de l’impossibilité de construire le socialisme en U.R.S.S. et que l’économie soviétique est un système de capitalisme d’État. Mais la crise grandissante dans les pays capitalistes ainsi que la croissance prodigieuse de la production socialiste en U.R.S.S. renversent toute la « théorie » de Trotski et dévoilent son caractère contre-révolutionnaire.
Les opportunistes de droite sont aussi intervenus dans la question de la possibilité des crises en U.R.S.S. Partant de leur théorie de l’intégration du koulak dans le socialisme, niant la nécessité de la collectivisation et d’un rythme rapide d’industrialisation, les droitiers, en la personne de leur ancien chef et théoricien, le camarade Boukharine, ont lancé une théorie selon laquelle le rythme rapide de l’industrialisation crée une disproportion dans l’économie soviétique (à savoir entre l’industrie et l’agriculture), trouble « l’équilibre des secteurs » dans l’économie soviétique et que cela doit inévitablement aboutir à une crise. Boukharine, il est vrai, affirmait en même temps que c’était une crise particulière, non une crise de surproduction, mais une crise « à rebours ». Mais cela ne change en rien l’essence même de la théorie des droitiers qui aboutit à dire que le rythme rapide d’industrialisation provoque « la violation des proportions économiques fondamentales dans le pays ». (N. Boukharine : Notes d’un économiste.)
Cette conception découle de la « loi de la dépense du travail » des opportunistes de droite, loi que nous avons analysée plus haut, et de la théorie de « l’équilibre ».
Le camarade Boukharine considérait la théorie marxiste de la reproduction comme une théorie de l’équilibre et appliquait aussi cette théorie de l’équilibre à la question des rapports entre l’industrie et l’agriculture dans les conditions de la construction du socialisme. Pour la construction socialiste est, selon lui, nécessaire un équilibre entre le secteur agricole paysan et le secteur industriel socialiste.
Cette théorie de l’équilibre des opportunistes de droite a été complètement dévoilée par le camarade Staline qui, dans la lutte contre les droitiers, a développé la théorie marxiste-léniniste de la reproduction conformément aux tâches de la construction du socialisme. La reproduction socialiste élargie est irréalisable sans reproduction élargie dans l’agriculture. Mais la petite économie paysanne, dit le camarade Staline…
… Non seulement ne réalise pas, dans l’ensemble, une reproduction annuelle élargie, mais, au contraire, elle n’a pas toujours la possibilité de réaliser même la reproduction simple… Peut-on, pendant une période plus ou moins longue, fonder le pouvoir soviétique et l’édification socialiste sur deux bases différentes : sur la base de la grande industrie socialiste unifiée et sur la base de l’économie paysanne marchande extrêmement morcelée et retardataire ? Non, c’est impossible. Cela aboutirait, un beau jour, à l’effondrement complet de toute l’économie nationale.
J. Staline : la Collectivisation du village, p. 29-30. Paris, Bureau d’éditions, 1930.
La revendication des droitiers de la conservation de l’équilibre des secteurs est, en réalité, la revendication de la conservation dans l’économie nationale des proportions qui se sont établies en régime capitaliste.
Mais comment construire le socialisme sans modifier ces « proportions » ? Ces proportions exprimant la basse consommation des masses, elles sont déterminées par les besoins du capital et non par ceux de la société. Peut-on construire le socialisme sans procéder à l’industrialisation rapide, seul moyen de socialiser la petite économie paysanne ? Il est évident que non. C’est pourquoi la « théorie de l’équilibre » et la « loi de la dépense du travail » n’expriment rien d’autre que la capitulation devant les difficultés de la construction du socialisme, la renonciation à cette construction, la perpétuation de la petite production marchande et, partant, du capitalisme qu’elle engendre.
Avec la conservation du fameux « équilibre » des secteurs, arriverait inévitablement une crise, la ruine complète de l’économie nationale. L’industrialisation rapide et la collectivisation de l’agriculture, réalisées par le Parti, qui étaient considérées par les droitiers comme une « violation de l’équilibre », non seulement n’ont pas provoqué de crise dans l’économie soviétique, mais, au contraire, ont été la base de la croissance rapide de la production et du bien-être des masses, tandis que dans le monde capitaliste avec son « équilibre » se déchaînait une crise d’une force inouïe.
Il suffirait de tirer du trésor du marxisme la théorie de la reproduction et de l’opposer à la théorie de l’équilibre des secteurs pour qu’il ne restât pas trace de cette dernière.
J. Staline : la Collectivisation du village, p. 29. Paris, Bureau d’éditions, 1930.