Rapport prononcé devant les cadres de l’organisation du Parti de Moscou-ville, le 2 octobre 1940
Camarades,
Il y a juste vingt ans, le 2 octobre 1920, Vladimir Ilitch Lénine prononçait au IIIe congrès de la Fédération des Jeunesses communistes de Russie, un discours consacré à l’éducation communiste. S’adressant au Komsomol, il disait qu’il était peu probable que notre génération, éduquée en société capitaliste, réussît à créer une société communiste, et que cette tâche incomberait à la jeunesse.
Et aujourd’hui, quand vous applaudissiez, ces paroles me sont revenues à l’esprit et elles m’ont rappelé que j’avais devant moi ces anciens komsomols, cette catégorie d’hommes auxquels s’adressait Lénine, qui sont à présent devenus des adultes possédant l’expérience de la vie, et prennent une part active à l’édification socialiste. Et j’applaudis avec vous, et c’est vous que j’applaudis, vous qui bâtissez le socialisme.
On consacre chez nous beaucoup d’attention à l’éducation communiste. Quoi d’étonnant si le mot « éducation » se rencontre à tout moment dans notre presse ?
Mais si l’on essaye de donner de l’éducation en général une formule plus ou moins nette et brève, on se heurte à de grandes difficultés. On confond souvent éducation et instruction. Certes, l’éducation a: beaucoup d’analogie avec l’instruction, niais elle n’en est nullement le synonyme. Les pédagogues compétents estiment que la notion d’éducation est plus large que celle d’instruction. L’éducation a ses particularités.
Je définirais l’éducation une action déterminée, réfléchie et systématique, exercée sur la psychologie, de l’éduqué pour lui inculquer les qualités que souhaite l’éducateur. Je crois que cette définition (il va sans dire que je ne prétends l’imposer à personne) renferme en gros tout ce que nous mettons dans la notion d’éducation : inculquer une certaine conception du monde, une certaine morale et certaines règles de vie en société ; former certains traits du caractère et de la volonté, donner certains goûts et certaines habitudes, développer certaines qualités physiques, etc.
Le problème de l’éducation est un des plus difficiles qui soient. Les meilleurs pédagogues estiment que c’est non seulement une science, mais encore un art. Ils ont en vue l’éducation scolaire qui, forcément, est assez limitée. Mais il y a encore l’école de la vie où se poursuit sans cesse l’éducation des masses, où l’éducateur c’est la vie elle-même, l’Etat, le Parti, et où les éduqués sont des millions d’adultes qui diffèrent par leur expérience de lia vie, par leur expérience politique. Le problème est ici beaucoup plus complexe.
C’est sur cet aspect de l’éducation, sur l’éducation des masses, que je veux m’arrêter aujourd’hui.
I
Dans l’Antï-Dühring Engels a écrit :
… Consciemment ou inconsciemment, les hommes puisent en dernière analyse leurs idées morales dans les conditions matérielles sur lesquelles est fondée la situation de leur classe, dans les conditions économiques où ils produisent et échangent leurs produits… La morale a toujours été une morale de classe : ou bien elle a justifié la domination et les intérêts de la classe dominante, ou bien elle a représenté, dès que la classe opprimée devenait assez puissante, la révolte contre cette domination et les intérêts d’avenir des opprimés.
Ainsi donc, dans une société de classe il n’y a jamais eu, il ne peut y avoir une éducation en dehors ou au-dessus des classes.
Dans la société bourgeoise l’éducation est toute pénétrée de l’hypocrisie, des intérêts égoïstes des classes dominantes ; elle présente un caractère profondément contradictoire qui reflète les antagonismes de la société capitaliste. L’idéal des capitalistes est de faire des ouvriers et des paysans leurs serviteurs dociles supportant sans murmurer le fardeau de l’exploitation. Pour cette raison, ils ne voudraient pas cultiver chez les ouvriers et chez les paysans la hardiesse et le courage, ils ne voudraient pas leur donner d’instruction. Car il est plus facile de tenir en main des hommes ignorants et abêtis. Mais avec ces hommes, il est impossible de vaincre dans une guerre de conquête, et sans connaissances élémentaires, ils ne peuvent actionner une machine. La concurrence, dans les conditions du progrès technique, la course aux armements, etc., d’une part ; la lutte que mènent ouvriers et paysans pour conquérir le droit à l’instruction, d’autre part, obligent la bourgeoisie à donner aux travailleurs au moins des bribes de connaissances, et les guerres de pillage la contraignent à cultiver chez eux la fermeté, le courage et d’autres qualités dangereuses pour la bourgeoisie.
À ces contradictions, aucun système d’éducation bourgeoise ne peut échapper.
Mais malgré ces contradictions qui, je l’ai déjà dit, sont inhérentes à la société bourgeoise, les classes dominantes luttent désespérément pour s’assurer les masses populaires et elles usent de tous les moyens, depuis la répression ouverte jusqu’à la duperie la plus raffinée.
Dans la société bourgeoise, le travailleur est soumis, du berceau à la tombe, à l’action permanente d’idées, de sentiments, d’habitudes avantageux à la classe dominante. Cette action s’exerce par d’innombrables canaux et revêt parfois des formes presque insaisissables. L’Eglise, l’école, l’art, la presse, le cinéma, le théâtre, différentes organisations, tout est bon pour inculquer aux masses une conception du monde, une morale, des habitudes, etc., bourgeoises.
Prenez le cinéma. Voici ce qu’écrit un metteur en scène bourgeois des films américains :
Beaucoup de films modernes sont en quelque sorte un narcotique destiné à des gens si fatigués qu’ils n’ont plus qu’un désir : s’asseoir dans un bon fauteuil et être nourri à la cuiller.
Telle est la vraie nature de l’éducation bourgeoise.
À cette éducation qui s’est élaborée pendant des siècles, qui vise à consolider les positions de la classe dominante des capitalistes, à réconcilier les opprimés avec leur situation, le Parti communiste, avant-garde du prolétariat, oppose ses principes d’éducation qui, eux, ont avant tout pour but d’aider au renversement de la bourgeoisie, au triomphe de la dictature du prolétariat.
II
L’éducation communiste se distingue foncièrement de l’éducation bourgeoise, non seulement en raison des tâches qu’elle s’assigne, ce qui va de soi, mais encore par ses méthodes. L’éducation communiste est liée indissolublement au progrès de la conscience politique et de la culture générale, à l’élévation du niveau intellectuel des masses. Et c’est à quoi tendent tous les partis communistes.
Bien que le but final de tous les partis communistes soit le même, la classe ouvrière étant placée en Union soviétique dams des conditions tout autres que dans les pays capitalistes, l’éducation doit, chez nous, correspondre à cette situation différente. La classe ouvrière est dans notre pays la force dominante, dirigeante, sous le rapport matériel, mais aussi spirituel.
Marx et Engels ont écrit :
La classe qui détient les moyens de production matérielle dispose également par là des moyens de production spirituelle… Les individus qui composent la classe dominante ont, entre autres, une conscience ; donc ils pensent ; dans la mesure où ils dominent en tant que classe et déterminent toute une époque historique, il est clair qu’ils le font dans tous les domaines, donc qu’ils dominent, entre autres, comme êtres pensants, comme, producteurs d’idées, qu’ils règlent la production et la distribution des idées de leur temps ; que par conséquent leurs idées sont les idées dominantes de l’époque.
Ceci, on ne saurait le dire de la classe ouvrière hors de l’Union soviétique.
L’éducation communiste, telle que nous la concevons, est toujours concrète. Dans nos conditions, elle doit être subordonnée- aux tâches qui se posent devant le Parti et l’Etat soviétique. Lia tâche première et essentielle de l’éducation communiste, c’est de cultiver le désir d’aider au maximum à notre lutte de classe.
Je vois que vous êtes quelque peu étonnés, que vous cherchez à comprendre ce que cela veut dire : cultiver le désir d’aider au maximum à la lutte de classe dans notre pays où les classes exploiteuses sont anéanties. Il me semble pourtant que des explications spéciales sont ici superflues.
Je me contenterai de vous rappeler la réponse mémorable qu’a faite le camarade Staline au komsomol Ivanov :
… Or —écrivait le camarade Staline — comme nous ne vivons pas dans une île, mais « dans un système d’Etats », dont une grande partie est hostile au pays du socialisme, créant de la sorte le danger d’une intervention et d’une restauration, nous disons ouvertement et honnêtement que la victoire du socialisme dans notre pays n’est pas encore définitive.
Les événements de l’année dernière ont confirmé pratiquement, par des faits concrets, les idées exposées dans cette réponse du camarade Staline.
Notre lutte de classe revêt, il est vrai, d’autres formes que la lutte de classe hors de l’U.R.S.S. Elle s’est élevée, je dirais bien, à un degré supérieur ; ses résultats sont plus effectifs. Mais il va sans dire qu’elle est aussi beaucoup plus complexe.
Appliquée à la classe ouvrière soviétique, cette thèse de Marx et Engels : « Les idées de la classe dominante sont à chaque époque les idées dominantes », nous crée de grandes obligations. Nous ne pouvons nous borner à critiquer le régime bourgeois. L’essentiel, aujourd’hui, est de lutter pour des réalisations pratiques dans tous les domaines de la politique, de l’économie, de la culture, de la science, de l’art, etc. Il est clair que chez nous l’éducation communiste doit, elle aussi, suivre cette voie.
III
Quelles sont les tâches que nous considérons aujourd’hui comme essentielles dans le domaine de l’éducation communiste ? Et est-ce, à proprement parler, des tâches foncièrement nouvelles par rapport à celles dont parlait Lénine il y a vingt ans, au IIIe congrès du Komsomol ?
Certes, la situation en U.R.S.S. a beaucoup changé depuis. Mais en somme les problèmes de l’éducation communiste posés par Lénine il y a vingt ans, sont toujours actuels.
Ils feraient bien de s’en souvenir un peu plus souvent, ceux qui s’efforcent de tracer dans l’abstrait les contours de la société communiste. Ils aiment à « théoriser », à rêvasser «en philosophe » sur les traits propres à l’homme futur, associant le communisme à un avenir heureux mais vague, et ils introduisent cette abstraction dans l’éducation communiste. C’est là, selon moi, dire la bonne aventure, et non pénétrer l’avenir.
Camarades, un des éléments essentiels de l’édification communiste en même temps qu’une arme puissante aux mains des travailleurs de l’U.R.S.S. dans leur lutte contre le capitalisme, c’est une haute productivité du travail. Lénine a dit :
La productivité du travail c’est, en dernière analyse, ce qu’il y a de plus important, d’essentiel pour la victoire du nouvel ordre social. Le capitalisme a créé une productivité du travail inconnue sous le servage. Le capitalisme peut être définitivement vaincu, et le sera définitivement, parce que le socialisme crée une productivité du travail nouvelle, beaucoup plus élevée… Le communisme implique une productivité du travail, supérieure au rendement capitaliste, d’ouvriers bénévoles, conscients, associés, qui mettent à profit la technique moderne.
Voilà, camarades, à quoi il faut penser et ce dont il faut parler ; voilà dans quel sens il faut avant tout développer l’éducation communiste : c’est une lutte pour une haute productivité du travail.
Mais cette façon de poser la question, cette orientation pratique de l’éducation communiste ne seraient-elles pas, entre nous soit dit, une invention de mon cru ? Non, camarades !
Quand j’ai préparé mon rapport et que j’en ai tracé le plan dans mon esprit, je me suis tourné vers les sources, et, en premier lieu, vers notre Constitution où il est dit à l’article 12 :
Le travail, en U.R.S.S., est pour tout citoyen apte au travail un devoir et une question d’honneur, selon lei principe : « celui qui ne travaille pas ne doit pas manger ».
En U.R.S.S. est appliqué le principe du socialisme : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail. » Et vous savez bien, camarades, que les articles de la Constitution ne sont pas seulement la consécration juridique des droits et des devoirs dès citoyens, mais aussi uni puissant facteur d’éducation.
Cet article de la Constitution parle en propres termes de la grandeur du travail. Et cela se conçoit : depuis longtemps, — le camarade Staline l’a signalé — une révolution profonde est en train de s’accomplir chez nous dans la façon d’envisager le travail. Grâce à l’émulation socialiste,
le travail, considéré autrefois comme un labeur pénible et déshonorant, devient une affaire de dignité, une affaire de gloire, une affaire de vaillance et d’héroïsme.
Et ce fait a trouvé son expression éclatante, stalinienne, dans la Constitution.
On me dira peut-être : la grandeur du travail dans notre pays est une chose ; autre chose est de lutter pour une productivité du travail supérieure. Non, camarades, ce n’est pas vrai. Affirmer que le travail est grand, c’est dire aussi qu’il faut stimuler de toutes les manières la productivité du travail. Là est l’essentiel.
À l’accomplissement de cette tâche sont subordonnées des mesures du Parti et du gouvernement soviétique aussi importantes que la création du titre de « Héros du Travail socialiste », l’institution de l’ordre du « Drapeau rouge du Travail », des médailles « Pour la vaillance au Travail » et « Pour la distinction au Travail ». Il n’est pas rare non plus que le gouvernement soviétique et le Parti récompensent ceux qui se sont tout particulièrement distingués par leur travail en leur attribuant ces hautes distinctions que sont l’« Ordre de Lénine», l’« Etoile rouge» ou l’« Insigne d’Honneur».
Le haut titre de « Héros du Travail socialiste » est assimilé à celui de « Héros de l’Union soviétique ». Ce titre, ces ordres et ces médailles ne sont pas attribués rien que pour la peine qu’on a prise, rien que pour le fait qu’on a travaillé, mais pour des indices de rendement plus élevés, pour des succès exceptionnels remportés dans la lutte pour une productivité du travail supérieure.
C’est ce but aussi que poursuit l’oukaz du Présidium du Soviet Suprême de l’U.R.S.S. du 26 juin 1940.
Il semblerait à première vue que l’opposition soit complète : d’une part, on décerne le titre de « Héros du Travail socialiste» et des ordres, depuis l’« Ordre de Lénine » jusqu’aux différentes médailles ; d’autre part, l’oukaz introduit l’élément coercitif pour renforcer la discipline du travail. Mais en fait ce sont des mesures du même ordre. Ou plutôt, elles concourent aux mêmes résultats.
En stimulant et en récompensant les représentants les meilleurs du travail socialiste, et en châtiant les désorganisateurs de la production, le Parti et le gouvernement soviétique montrent dans quel sens doit s’effectuer l’éducation communiste des travailleurs de l’U.R.S.S.
Camarades, rares sont sans doute parmi vous ceux qui ont travaillé à l’usine avant la Révolution. Ceux-là se font chez nous de moins en moins nombreux chaque année. Il est donc à supposer que vous connaissez assez mal quelle était l’attitude envers le travail autrefois, avant la Révolution. Malheureusement, cette attitude continue d’exercer parmi nous une forte influence.
Nous autres, révolutionnaires, nous ne faisions guère cas, alors, des bons professionnels, vieux ouvriers qui avaient travaillé quarante ans à l’usine. C’étaient des travailleurs qualifiés pourtant, et qui connaissaient bien leur métier ; ils se faisaient les champions de la discipline au travail et jamais ne s’absentaient. Quand une grève éclatait, il fallait parfois tout simplement les chasser de l’usine. Ils n’auraient pas osé interrompre d’eux-mêmes le travail, par crainte de se brouiller avec la direction. Nous n’estimions pas les ouvriers comme ceux-là, autrefois. Pourquoi ? Parce qu’ils faisaient du zèle pour les capitalistes.
C’est tout autre chose aujourd’hui, sous le socialisme. A présent, ceux qui ont travaillé quarante ans à l’usine, qui sont des modèles de discipline au travail, qui connaissent bien leur métier et fournissent les plus hauts indices de rendement, nous les élevons sur le pavois, nous leur décernons médailles et décorations, nous leur faisons fête, et leur donnons des primes car ils sont les meilleurs d’entre les citoyens soviétiques.
C’est là, entre autres, un exemple frappant de dialectique. Autrefois, nous « nions » pareille attitude envers te travail. Aujourd’hui, nous « nions » cette « négation». Nous avons ainsi, comme vous le voyez, une « négation de la négation », l’affirmation d’une attitude socialiste envers le travail.
Pourquoi notre façon de considérer ces ouvriers a-t-elle changé radicalement ? Pourquoi les considérons-nous à l’heure actuelle comme les citoyens les plus utiles et les plus précieux de l’Union soviétique ? Mais tout simplement parce qu’ils sont à l’avant-garde de notre lutte de classe qui est à un stade supérieur de son développement. Car la lutte de classe, ce n’est pas seulement la lutte au front, les armes à la main. A l’heure actuelle la lutte de classe suit d’autres voies. Et la lutte pour une plus haute productivité du travail est, en ce moment, un des principaux secteurs de la lutte de classe. Si autrefois, avant l’établissement du régime soviétique, on travaillait bien, on aidait par là même objectivement le capitalisme, on rivait plus étroitement ses chaînes et celles de toute la classe ouvrière.
Mais aujourd’hui, en société socialiste, quiconque travaille bien se range par là même du côté du socialisme et par ses réalisations non seulement il fraie la voie au communisme mais encore il brise les chaînes du prolétariat mondial : c’est un combattant actif pour la cause du communisme.
Avons-nous relevé de beaucoup la productivité du travail dans notre pays ? Je ne dirai pas que nous enregistrions de très grands résultats à cet égard. En théorie, on estime que la productivité du travail socialiste doit surpasser de beaucoup la productivité du travail capitaliste. Qu’en pensez-vous, camarade Chtcherbakov, est-ce vrai ou non ? (Chtcherbakov : « Très juste, très juste ! » Animation dans la salle.) [Chtcherbakov A. (1901-1945) — un des dirigeants les plus remarquables du Parti bolchevik et de l’Etat soviétique.] Mais dans la pratique ? Dans la pratique, nous n’avons pas encore rejoint le niveau le plus élevé de productivité du travail en Europe, sans parler de l’Amérique. Il nous faut donc appuyer davantage sur le relèvement de la productivité du travail. Un rendement du travail accru nous permettra de mieux voir les contours de la future société communiste.
Mais, camarades, une productivité du travail supérieure, ce n’est pas seulement la quantité, c’est aussi la qualité de ce qu’on produit. Certains, chez nous, sont enclins à considérer le communisme comme quelque chose d’abstrait, ne mettent pas dans cette notion un contenu concret. Mais que signifie le communisme ? Il signifie : fournis le plus possible une production de la meilleure qualité. Je veux parler en l’occurrence de ce que produit le travail non seulement physique, mais encore intellectuel ; de ce que produisent ingénieurs, architectes, écrivains, instituteurs, médecins, acteurs, peintres, musiciens, chanteurs, etc.
Disons-le franchement : nous sommes très mécontents de la qualité de nombre de nos produits. Fait caractéristique : chacun de nous s’emporte quand il reçoit en main un produit de mauvaise qualité. Mais nous-mêmes ne songeons pas du tout à la production que d’autres reçoivent de nous. Bref, chacun veut qu’il y ait de tout en abondance et que tout soit de bonne qualité. Mais dites-moi, comment y parvenir, si chacun, où qu’il soit, ne s’efforce pas d’obtenir les meilleurs indices dans son travail ? Il faudrait, une bonne fois pour toutes, se bien pénétrer de cette vieille vérité : on récolte ce que l’on a semé.
Là encore, dans la lutte pour la qualité de la production, nous ne nous bornons pas à des mesures d’encouragement. Vous savez que l’oukaz du Présidium du Soviet Suprême de l’U.R.S.S. en date du 10 juillet 1940 porte que « la production d’articles industriels de mauvaise qualité ou incomplets, et la production d’articles ne répondant pas aux standards obligatoires, constituent un crime envers l’Etat à l’égal du sabotage ». Les directeurs, les ingénieurs en chef et les chefs des services de contrôle technique des entreprises industrielles responsables de la production d’articles de mauvaise qualité, ou incomplets, doivent être déférés à la justice et sont passibles d’un emprisonnement de cinq à huit ans.
Inutile de dire que cet oukaz atteint certaines gens de façon très sensible, punit sévèrement quiconque a livré une production de mauvaise qualité. Mais d’autre part, il fournit aux chefs d’entreprises une arme puissante pour lutter contre l’influence néfaste de leur entourage. Car, d’ordinaire, quel était le raisonnement de beaucoup d’entre eux ? Ils se disaient : est-ce vraiment la peine de faire du scandale, de gâter mes rapports avec les organisations publiques, les camarades, etc. ? Un produit même défectueux passera avec le reste. Et c’est bien ce qui arrivait. Pareille attitude à l’égard du rebut a, chez nous, poussé de profondes racines dans la production.
Ces racines, il faut les couper, les anéantir. Il le faut dans l’intérêt de la société socialiste et de chacun de nous en particulier. De deux choses l’une : ou bien nous bâtissons le communisme, ou bien nous ne faisons que parler du communisme, et allons au communisme lentement, clopin-clopant, si je peux m’exprimer ainsi, en nous étirant et en bâillant. Mais n’oubliez pas qu’il est très risqué d’aller de la sorte au communisme, qu’on peut ainsi faire traîner trop en longueur le passage au communisme. Parler du communisme sans le rattacher concrètement, matériellement, à des questions aussi brûlantes que celle de la qualité de la production, c’est parler pour ne rien dire.
Je m’en souviens comme si c’était hier — il y a de cela ure quarantaine d’années, trente-neuf peut-être, ou trente-huit, mon temps d’ancienneté, comme vous le voyez, est d’environ quarante ans (rires), — dans la clandestinité, une discussion s’engagea entre nous : un ouvrier révolutionnaire est-il tenu de bien faire ce qu’il t’ait, autrement dit : de se soucier de la qualité de la production. Les uns disaient : nous, ne pouvons pas, organiquement, produire de nos mains une pièce mauvaise ; cela nous répugne, cela nous humilie dans notre dignité d’homme. D’autres disaient au contraire : ce n’est pas à nous de nous préoccuper de la qualité de la production. C’est aux capitalistes. C’est pour eux que nous travaillons, De toutes façons, ils nous obligeront à bien faire. Et c’est seulement dans la mesure où les capitalistes nous y obligeront, ajoutaient-ils, que nous travaillerons bien. Mais nous n’avons pas à faire preuve de zèle et d’initiative.
Vous voyez donc, camarades, que même avant la Révolution, sous le capitalisme, une partie des ouvriers qui luttaient contre les capitalistes considéraient qu’on doit bien faire tout ce qu’on fait ; ils auraient été dégoûtés, honteux d’eux-mêmes, s’ils avaient agi différemment. Mais chez nous, dans la société socialiste où nous travaillons pour nous-mêmes et non pour les capitalistes, tout le monde éprouve-t-il du dégoût et de la honte à produire des articles de mauvaise qualité ? Je ne puis malheureusement l’affirmer. Et pourtant, comme il vaudrait mieux que l’on ait plus de honte et plus de répugnance à livrer des produits de mauvaise qualité !
Par éducation communiste, nous entendons avant tout la nécessité d’inculquer à chaque travailleur qu’il doit faire preuve dans son travail d’un minimum d’honnêteté. Nous devons lui enseigner que s’il veut être un bolchevik ou tout simplement un citoyen soviétique consciencieux, il doit faire tout ce qu’il fait avec un minimum d’honnêteté et ne livrer que des produits de qualité convenable.
Ainsi donc, la lutte pour le communisme, c’est la lutte pour une productivité du travail supérieure tant par la quantité que par la qualité des produits. Tel est le premier principe, le principe fondamental, d’une éducation communiste des travailleurs de l’U.R.S.S.
IV
Camarades, à l’article 131 de la Constitution de l’U.R.S.S. il est dit :
Tout citoyen de l’U.R.S.S. est tenu de sauvegarder et d’affermir la propriété sociale, socialiste, base sacrée et inviolable du régime soviétique, source de la richesse et de la puissance de la patrie, source d’une vie d’aisance et de culture pour tous les travailleurs. Les individus attentant à la propriété sociale, socialiste, sont les ennemis du peuple.
Sauvegarder et affermir la propriété sociale est une question dont l’importance intrinsèque est plus considérable qu’il semble au premier abord. S’attacher à sauvegarder la propriété sociale est une qualité communiste. Je crois que dans toute l’histoire de l’humanité il n’y a pas eu société plus économe que la société communiste. Et cela est tout naturel : car c’est seulement en société communiste que les producteurs eux-mêmes disposent de toutes les ressources et les dépensent. Je crois que point n’est besoin de s’attacher à prouver que le producteur est plus économe que l’exploiteur ou que celui qui s’empare du bien d’autrui.
L’histoire n’a pas appris aux hommes à sauvegarder la propriété sociale ; et les dilapidateurs de cette propriété ont toujours été suffisamment nombreux. La concussion était un trait caractéristique de l’ancien système d’administration ; et le Trésor public était pour les fonctionnaires une véritable vache à lait. Un pareil régime, on le conçoit, cultivait l’insouciance et la prodigalité, même quand il s’agissait de biens personnels ; le dédain de la propriété sociale était général.
Mais cette dilapidation du patrimoine public, du travail humain dans le passé, n’est rien comparée au gaspillage de travail humain que nous observons dans la société capitaliste moderne. On peut affirmer hardiment qu’aujourd’hui des millions de journées de travail sont quotidiennement gaspillées rien que pour anéantir les fruits du travail du passé. Que de dons précieux de la nature, dont le nombre est pourtant limité, ainsi détruits ! Rien que pour ce crime envers l’humanité, le capitalisme mériterait d’être anéanti au plus tôt.
Dans la balance générale de la production de l’Etat, l’économie est une partie du patrimoine national. Et cette partie doit augmenter d’année en année, au fur et à mesure que s’élèvera notre niveau de culture.
Camarades, l’article 131 de la Constitution fournit un très riche matériel d’éducation communiste. Il est dirigé contre cette conception bourgeoise : « Ma maison est à moi, je ne veux rien savoir, et je ne laisserai entrer personne dans, ma tranchée-abri. » Il fait un devoir de sauvegarder la propriété sociale et de placer les intérêts généraux au-dessus des intérêts particuliers, individuels, car c’est seulement dans la collectivité, dans la société socialiste, qu’est vraiment garantie la situation de chacun.
Lénine l’a dit, dès la première année d’existence du pouvoir soviétique :
Tiens soigneusement et consciencieusement tes comptes, ne gaspille pas l’argent, ne te laisse pas aller à la paresse, ne vole pas, observe la plus stricte discipline dans le travail, — ce sont justement ces mots d’ordre raillés avec raison par les prolétaires révolutionnaires alors que c’était la bourgeoisie qui tenait de tels propos pour camoufler sa domination de classe d’exploiteurs, — ce sont ces mêmes mots d’ordre gui deviennent maintenant, après le renversement de la bourgeoisie, les principaux mots d’ordre de l’heure.
Quant aux voleurs, aux dilapidateurs de lai propriété sociale, aux filous et autres « gardiens des traditions du capitalisme », nous devons leur appliquer des mesures de coercition. C’est dans ce but qu’ont été pris, notamment, la décision du Comité central exécutif et du Conseil des commissaires du peuple de l’U.R.S.S., en date du 7 août 1932 « Pour la protection des biens des entreprises d’Etat, des kolkhoz et des coopératives, et pour la consolidation) de la propriété sociale (socialiste) », et l’oukaz du Présidium du Soviet Suprême de l’U.R.S.S., en date du 10 août 1940 « De la responsabilité pénale pour les menus vols à la production et pour conduite ». Ainsi donc, camarades, il nous faut d’abord apprendre à travailler selon nos capacités, apprendre à sauvegarder le bien public ; et quand nous aurons produit suffisamment et appris à économiser les fruits de notre travail, alors nous pourrons donner à chacun selon ses besoins.
C’est là le deuxième point de l’éducation communiste.
V
Un élément nécessaire de l’éducation communiste, c’est aussi l’amour de la patrie, de la patrie socialiste ; c’est le patriotisme soviétique.
Le mot « patriote » est apparu pour la première fois pendant la Révolution française de 1789-1793. On appelait alors patriotes ceux qui luttaient pour la cause du peuple, qui défendaient la République, à l’opposé des traîtres et des félons du camp monarchique.
Mais par la suite, le mot fut repris par les réactionnaires et les classes dirigeantes qui l’utilisèrent dans leurs buts égoïstes. C’est ce qui explique qu’en Europe aussi bien que dans la Russie tsariste, les hommes les plus honnêtes, ceux qui avaient à cœur les besoins du peuple, se sont toujours méfiés du mot « patriotisme », car ils y voyaient l’expression d’un chauvinisme national et d’une présomption injustifiée des classes dirigeantes.
Enfin, les satrapes du tsar l’arboraient comme un drapeau lorsqu’ils se livraient au pillage des peuples annexés.
Les Cent-Noirs s’arrogeaient le monopole du « patriotisme » ; ils manifestaient leurs « sentiments patriotiques » en organisant des pogromes, en matraquant les ouvriers, les intellectuels et les Juifs. Bref, ce « patriotisme » ralliait alors toutes sortes d’éléments louches et d’aventuriers appartenant aux bas-fonds de la société.
Aux yeux du peuple, le mot « patriotisme » était profané. Un homme honnête ne pouvait se dire « patriote ».
Et, naturellement, les peuples incorporés à la Russie, opprimés, exploités, pillés et humiliés à chaque pas par les fonctionnaires et les colonisateurs, haïssaient l’Etat russe.
Comme en contrepoids au « patriotisme » des chevaliers du knout et du fouet, se développait avec une rapidité toujours croissante le mouvement progressiste dont la pointe était dirigée contre l’autocratie.
Tout d’abord, les forces de progrès engagèrent la lutte contre la réaction dans la littérature, la musique, la peinture où l’on pouvait, au moins par allusions, exprimer sa réprobation de la réalité d’alors. Peu à peu les couches démocratiques s’embrayèrent dams cette lutte, qui prit de ce fait un caractère de plus en plus radical. Ce processus multipliait et groupait les adversaires de l’autocratie, les adversaires de ce qu’on appelait la Russie officielle, et il créait, pour notre grand peuple, un rempart national en la personne de ses meilleurs représentants. On vit alors apparaître toute une pléiade d’écrivains, de critiques et de publicistes de génie ou de talent qui portèrent très haut notre littérature, la rendirent célèbre, l’imposèrent à l’attention du monde. La musique, la peinture, la science russes comptèrent, elles aussi, de brillants représentants, véritables patriotes de notre culture nationale.
Jaloux de leur honneur, de leur dignité d’homme, de leur réputation sociale, ils répudiaient catégoriquement le grossier « patriotisme » officiel. Ils étaient avant tout préoccupés de servir leur peuple et d’éveiller en lui le vrai patriotisme. Et à ce grand but ils consacraient tous leurs efforts, tout leur talent. Leurs contemporains et les générations qui suivirent se sont formés à leur école, se sont inspirés de leur exemple, ont été gagnés par leur haute conception du patriotisme. L’action profondément patriotique de ces hommes a laissé maintes belles pages passionnantes dans l’histoire du peuple russe. S’ils n’avaient pas les sympathies de la Russie officielle, du moins jouissaient-ils du respect du peuple qui a honoré et honorera toujours leur mémoire.
C’est ce processus de la lutte des forces progressistes contre les forces de réaction, ce processus de croissance et de consolidation des forces culturelles qui a permis, du moins aux éléments les plus conscients des nationalités opprimées, de voir une autre Russie, une Russie généreuse, éprise de liberté, ennemie de toute oppression, cultivée, pleine de talents et aidant à répandre les connaissances parmi les larges masses de la population. Le mouvement révolutionnaire ouvrier qui se déployait, mit à l’ordre du jour cette tâche immédiate : le rassemblement effectif des prolétaires et des travailleurs de toutes les nationalités de l’Empire russe dans leur lutte contre le tsarisme et le capitalisme. Les efforts de Lénine et de Staline en vue de créer un parti de la classe ouvrière pour toute la Russie, parti sans lequel l’affranchissement du peuple russe et des nationalités opprimées eût été impossible ; une propagande infatigable en faveur de la politique nationale léniniste-stalinienne ; la lutte menée par les bolcheviks contre toute manifestation de chauvinisme grand-russe et de nationalisme local, tout cela a rapproché du peuple russe les nationalités opprimées, a incité leurs éléments les plus conscients à prendre connaissance de la littérature, de l’art et de la science russes, des lutteurs révolutionnaires russes, et par là même, les la mis en contact avec la culture russe, a fait d’eux des partisans d’une lutte commune et concertée, c’est-à-dire des hommes dont la pensée embrassait toute la Russie.
On ne saurait prêcher le patriotisme soviétique en l’isolant, en le détachant de l’histoire passée de notre peuple. Il faut avoir au contraire la fierté patriotique de tout ce que ce peuple a fait. Car le patriotisme soviétique est l’héritier direct de l’œuvre de nos ancêtres qui ont poussé notre peuple dans la voie du progrès.
Ce que je viens de dire, la vie soviétique l’illustre de façon éclatante. Je n’en citerai qu’un exemple : c’est l’enthousiasme avec lequel les peuples délivrés de leur chaînes font revivre les grandes figures de leurs héros épiques et historiques. Ils les représentent dans leurs meilleures productions artistiques, qu’ils viennent montrer à Moscou, cœur des républiques soviétiques, où chacun d’eux semble dire à tous les autres peuples de l’U.R.S.S. : voyez, si je suis membre de notre grande association de peuples, c’est que je l’ai mérité, car je ne suis pas d’une origine vague et obscure ; voilà ma généalogie, dont je suis fier et que je veux vous faire admirer, mes frères de travail, qui défendez (avec moi les meilleurs idéaux de l’humanité ! Donc, le patriotisme soviétique prend sa source dans un passé lointain qui remonte à l’épopée populaire ; il s’imprègne de tout ce que le peuple a créé de meilleur, et il considère comme un, honneur insigne d’en sauvegarder toutes les acquisitions.
La grande Révolution prolétarienne n’a pas seulement entraîné de grandes destructions ; elle a aussi marqué le début d’un travail créateur sans exemple. En outre, elle a passé comme un puissant ouragan purificateur dans les cerveaux de dizaines de millions d’êtres, versant en eux l’optimisme et la confiance en leurs propres forces. Ils se sont alors sentis des héros capables de triompher de tous les ennemis de masses travailleuses.
C’est ainsi qu’est née l’épopée soviétique, qui a renoué avec la tradition des œuvres populaires d’uni passé lointain, tradition brisée par le capitalisme hostile à cette branche d’activité spirituelle. En se développant, le processus de la refonte socialiste de la société a fiait apparaître une multitude de sujets féconds et attachants, dignes du pinceau de grands artistes. Et le peuple, en y puisant ce qu’ils renferment de meilleur, crée peu à peu l’esquisse de poèmes héroïques consacrés à notre grande époque et à ses grandes figures, tels Lénine et Staline.
Nos écrivains et nos artistes de talent ne doivent pas rester en arrière. Jamais encore ils n’ont eu à leur disposition d’aussi riches matériaux. C’est à présent seulement qu’ils ont des possibilités illimitées de servir leur peuple et d’inculquer aux masses un profond patriotisme en se basant sur l’œuvre grandiose que les générations actuelles sont en train d’accomplir.
Je vois en Maïakovski l’exemple magnifique d’un artiste qui s’est mis au service du peuple soviétique. Maïakovski se considérait comme un combattant de la Révolution, ce qu’il était en effet, ainsi que le prouve l’esprit de toute son œuvre. Il s’attachait à fondre avec le peuple révolutionnaire non seulement le contenu, mais aussi la forme de ses ouvrages, et les historiens futurs diront certainement que ses ouvrages appartenaient à une grande époque de transformation complète des rapports humains. C’est pourquoi j’estime que Maïakovski avait le droit de dire aux générations futures :
J’irai vers vous
dans le lointain communiste,
mais non
comme un paladin rossignolant à la Essénine.
Mon vers passera
la crête des siècles,
par-dessus la tête
des poètes et gouvernements.
Mon vers viendra,
mais non comme
une flèche au jeu
de l’amour, ni comme une monnaie fruste
qui parvient au numismate,
ni comme la lueur d’étoiles éteintes. Mon vers
par le travail
déchirera le bloc des années,
et surgira
pondérable,
brutal,
tangible,
comme dans nos jours
est entré l’aqueduc
tel que l’ont bâti
les esclaves de Rome.
Dans ces fières paroles, nous percevons la voix grandiose de notre époque, de nos générations qui transforment le monde sur des bases nouvelles.
Camarades, l’histoire nous a chargés d’une mission pleine de responsabilité et qui nous honore : celle de mener notre lutte de classe jusqu’à la victoire complète du communisme.
Nous devons marcher de l’avant de façon que la classe ouvrière du monde entier, en nous regardant, puisse dire : le voilà mon détachement d’avant-garde, la voilà ma brigade de choc, le voilà mon pouvoir ouvrier, la voilà ma Patrie…
Staline.
Et pour cela, nous devons éduquer tous les travailleurs de l’U.R.S.S. dans l’esprit d’un patriotisme ardent, d’un amour sans bornes de la patrie. Non d’un amour abstrait, platonique, mais d’un amour impétueux, actif, passionné, que rien ne brise, d’un amour qui ne fait aucun quartier à l’ennemi, et qui, pour la patrie, ne recule devant aucun sacrifice.
Telle est la troisième tâche fondamentale de l’éducation communiste des travailleurs de l’U.R.S.S.
VI
Je crois devoir m’arrêter encore sur une question, celle de l’esprit collectif. Point n’est besoin de démontrer en long et en large que l’esprit collectif est un élément essentiel de l’éducation communiste. Je ne veux pas parler ici des principes théoriques du collectivisme, mais de la nécessité d’introduire des habitudes sociales à la production, dans les mœurs, dans la vie de chaque jour ; de créer les conditions dans lesquelles l’esprit collectif serait partie intégrante de nos habitudes et de nos normes de conduite, non seulement lorsque nous agissons de façon consciente, réfléchie, mais même lorsque nous agissons instinctivement, de façon organique. J’illustrerai ma pensée par des exemples.
Ceux d’entre vous qui ont lu L’Amérique sans étages d’Ilf et Pétrov se souviennent sans doute d’une observation intéressante qu’ils firent durant leur voyage. Si un voyageur est victime d’un accident, les passants ne manqueront pas de lui venir bénévolement en aide. Il est caractéristique que dans ces cas-là les Américains qui ont pour devise « le temps c’est de l’argent », ne comptent pas le temps qu’ils perdent. La nécessité de donner une aide totale est alors considérée comme un devoir social.
Autre exemple. Autrefois, dans la campagne russe, à l’époque où les travaux battaient leur plein et où c’était à qui rentrerait le plus tôt la récolte, les paysans, une fois la moisson terminée, s’en venaient aider quelque moissonneuse en retard, d’ordinaire une femme chargée d’enfants et qui était seule à travailler. Dans ces cas-là, on considérait comme tout naturel de lui venir collectivement en aide.
C’est dans ce sens, camarades, que j’entends l’éducation de l’esprit collectif comme habitude normale. Autrefois, les habitudes de ce genre s’établissaient spontanément. Et moi je dis qu’il faut les cultiver consciemment dans le peuple.
On ne doit pas confondre l’esprit collectif avec l’esprit grégaire. Quand la foule des paysans assommait autrefois le voleur de chevaux ou quand les clients d’une banque en faillite brisaient dans leur fureur les vitres de la banque, ce n’était point là, selon moi, des manifestations de l’esprit collectif. Des actes de ce genre portent le sceau du grégarisme. Mais l’esprit collectif engendre toujours l’action rationnelle.
Dans la vie pratique de notre société, l’esprit collectif joue un grand rôle, car il a pour base le collectivisme. A la société capitaliste nous opposons le collectivisme, le communisme, convaincus qu’ils lui sont infiniment supérieurs. Réussir à implanter des habitudes collectives dans la production, la vie sociale et les mœurs, c’est assurer dans une grande mesure le succès de l’édification communiste.
Le travail collectif, la coopération, est à la base de la production. En ce qui concerne l’industrie socialiste, cela n’a pas besoin d’être démontré ; cela est évident pour les ouvriers et pour quiconque travaille à l’usine. Si dans la société capitaliste le travail du prolétaire perd toute individualité ; si matérialisé dams un objet, il disparaît du champ de vision non seulement de l’ouvrier, mais aussi du fabricant qui ne s’intéresse qu’au profit, chez nous l’ouvrier voit son travail matérialisé à l’usine, mais aussi à la consommation et à l’usage. Même un producteur dont l’horizon n’est pas très étendu pourra donc se rendre compte des résultats de son labeur. Néanmoins nous devons, par notre travail d’éducation, aider chaque ouvrier à prendre une conscience plus large et plus profonde de sa participation individuelle au travail commun, collectif.
Mais nous devons surtout concentrer notre attention sur l’éducation de l’esprit collectif dans les campagnes, dans les campagnes kolkhoziennes. Elles passent actuellement par une grande école de collectivisme, elles à qui l’habitude du travail collectif faisait à peu près complètement défaut. Si dans le passé on prononçait parfois les mots « société », « intérêts sociaux » aux réunions de village, il n’y avait pas dans tout cela grand’chose de collectif : les mots « intérêts sociaux », « société » servaient aux koulaks de paravent pour arranger leurs petites affaires.
Avec le passage à la collectivisation, des tâches difficiles se sont posées à la paysannerie : aller à l’encontre de tout le passé, briser sa psychologie, ou plutôt lui donner une orientation diamétralement opposée en passant du travail pour soi au travail pour tous. C’était un processus difficile qui ne put se développer avec succès que grâce à une pression considérable et avec l’aide de l’Etat.
Le passage du travail simple, individuel, au travail collectif, forme plus haute et plus complexe, exige de l’homme des capacités d’organisation bien plus grandes. Et au fur et à mesure que le paysan kolkhozien se dépouille de ses instincts de propriétaire pour acquérir des habitudes collectivistes, son expérience en matière d’organisation s’accroît tandis qu’il applique des méthodes collectives de travail.
Voilà dans quelles conditions doit s’accomplir l’éducation communiste à la campagne.
Il est clair que l’appel pur et simple au travail collectif, l’agitation pure et simple en faveur des avantages qu’il présente par rapport au travail individuel ne suffisent déjà plus. Le propagandiste, l’agitateur, l’éducateur doivent indiquer aux kolkhoziens les méthodes de travail les plus efficaces ou, du moins, leur donner des exemples concrets d’un travail efficace et analyser les raisons de son efficacité. Ainsi donc, même une chose aussi compliquée que l’éducation de l’esprit collectif ai besoin, pour être le plus efficace, d’être adaptée au travail pratique. En d’autres termes, l’éducation de l’esprit collectif doit se faire concrètement. Lorsqu’il montre les avantages de tel ou tel processus pratique, l’éducateur s’enrichit d’une documentation pratique pour son propre développement théorique. C’est là, disons-le en passant, un exemple concret de l’unité de la théorie et de la pratique.
Tel est le quatrième élément de l’éducation communiste.
VII
La culture est un facteur qui rend fécond tout travail positif. Plus un travail est complexe, plus il est qualifié, et plus il exige que l’on soit cultivé. La culture nous est aussi indispensable que l’air : toute la culture, depuis la plus élémentaire, indispensable à tout homme, jusqu’à ce qu’on appelle la haute culture. On dit en effet : un homme d’une haute culture.
La culture est un indice du degré de développement d’un homme. Et comme un homme développé est toujours l’objet d’une plus grande attention, certains s’attachent à copier les formes extérieures de la culture. En règle générale, on dit d’eux : c’est un geai paré des plumes du paon. Mais à mon avis le raisonnement test faux et nuit au développement de la culture. Bien sûr, dans leur grande masse, les hommes adoptent tout d’abord les formes extérieures. Mais si l’homme s’efforce d’acquérir les formes extérieures de la culture, celles-ci, à leur tour, contribuent à élever son niveau de culture général.
Pourquoi la nécessité d’élever le niveau de culture général se fait-elle tout particulièrement sentir aujourd’hui ? C’est qu’en vingt-trois ans de régime soviétique, notre économie a réalisé d’énormes progrès. Le niveau technique de la production est infiniment plus élevé ; machines et machines-outils plus complexes exigent de celui qui les manie plus d’attention et plus de soins. Si nous passons en revue une industrie après l’autre, nous entendrons répéter partout : il nous faut des travailleurs plus cultivés qu’autrefois. Et l’on comprend que par suite les exigences aient augmente dans les divers établissements.
La campagne kolkhozienne, à son tour, présente une demande énorme d’hommes cultivés. Outre la connaissance de leur métier, le conducteur de tracteur ou de moissonneuse-batteuse, le mécanicien, l’agronome, le zootechnicien ; doivent posséder au moins une culture élémentaire. Prenons d’autres professions, ne fût-ce que celle de palefrenier. Il est relativement facile à uni paysan d’être palefrenier quand il n’y a qu’un ou deux chevaux. Mais quand l’écurie en compte vingt ou quarante, il faut avoir une certaine expérience en matière d’organisation et une certaine culture. Il en est de même dans toutes les branches de l’économie kolkhozienne. La culture est indispensable au progrès.
Et puis, il n’est pas superflu de rappeler les besoins de la défense. Dans ce domaine, les exigences en fait de culture augmentent non pas de jour en jour, mais d’heure en heure.
À part tout le reste, la culture c’est la propreté à l’usine et chez soi.
Imaginez-vous, camarades, un ingénieur, un bon ingénieur. Il a beaucoup étudié, c’est un homme instruit ; il est à la tête d’une usine et on le considère comme un travailleur précieux. Mais dans son usine, le diable lui-même ne s’y reconnaîtrait pas ! (Rires.) Dans ces conditions, peut-on parler de culture ?! Si l’ingénieur en question ne se rend pas compte de cet état de choses, c’est que la culture la plus élémentaire lui fait défaut ; c’est qu’il n’a pas vraiment à cœur son usine, sa production.
Je parle ici de la lutte pour la culture dans son acception la plus large. Elle doit avoir pour objectif, par exemple, que l’eau ne fuie pas du robinet, qu’il n’y ait plus de punaises dans les appartements de Moscou, etc. Les punaises sont une chose intolérable. Une honte ! Mais au lieu de les détruire, les gens se demandent ce que sera l’homme sous le communisme et quelles sont les qualités qui le distingueront ! (Rires.) Tandis qu’on pérore sur l’éducation des enfants, l’appartement est devenu un véritable nid à punaises. Qu’est-ce à dire ? Peut-on appeler ces gens-là cultivés ? Non, ce sont des mollassons d’aristocrates, des débris de l’ancienne société russe. (Rires.)
Camarades, j’aurais pu m’arrêter encore sur de nombreuses questions relatives à l’éducation communiste, par exemple sur le rôle du Parti, des syndicats, du Komsomol, des organisations sportives, des établissements d’enseignement supérieur, de l’école, de la littérature, de l’art, du théâtre, du cinéma, de la famille, etc. Mais cela nous aurait entraîné trop loin, et nous aurions perdu de vue l’essentiel, ce qui détermine les tâches et le contenu de l’éducation communiste des travailleurs de l’U.R.S.S. à l’étape actuelle de la lutte de classe.
J’estime que c’est en s’inspirant des principes fondamentaux exposés par moi que doivent envisager l’éducation communiste toutes nos organisations et institutions, et tous ceux qui s’en occupent directement. Ils doivent régler toute question pratique du point de vue du contenu principal et du but essentiel de l’éducation communiste.
Si notre éducation est extérieurement excellente mais si elle est abstraite, c’est-à-dire si elle n’est pas matériellement, concrètement, rattachée à la lutte qui se livre pour assurer le développement ultérieur de l’Etat socialiste et le renforcement de ses positions dans la lutte de classe actuelle, elle ne sera qu’une parodie d’éducation.
Dans la conjoncture internationale si complexe d’aujourd’hui, notre peuple doit faire preuve d’une vigilance particulièrement grande et toujours en éveil, toujours sur le qui-vive, afin que notre Etat socialiste soit prêt à affronter toutes les surprises, toutes les éventualités. L’effort de toutes nos organisations sociales, de la littérature, de l’art, du cinéma, du théâtre, etc., doit porter là-dessus. C’est ainsi, camarades, que nous nous conformerons réellement à la volonté du Parti, aux directives du camarade Staline et aux recommandations de Lénine concernant l’éducation communiste des masses dans la période historique actuelle. (Toute la salle debout, applaudit longuement.)
De l’éducation communiste, Editions Politizdat près le C.C. du P.C. (b) de l’U.R.S.S., 1940