Tiré du discours prononcé devant les cadres du Komsomol de Kouibychev-Ville le 12 novembre 1941


Camarades,

Dans le passé l’Union soviétique a connu bien des vicissitudes, et la vieille génération a traversé de dures épreuves qui ont exigé d’elle maints efforts et maints sacrifices. Sa vie a été riche d’exploits. Ces exploits, pourquoi les a-t-elle accomplis ? Pour l’avenir, pour vous. Je caressais l’espoir que l’actuelle génération des komsomols, objet de l’affection du peuple, grandirait dans une atmosphère de calme relatif en s’assimilant le savoir et l’expérience.

Mais voici votre génération soumise à des épreuves non moins pénibles, je dirai même plus cruelles encore. La guerre mûrit d’emblée la jeunesse. Le komsomol dont l’existence était encore tissée de joies fugitives, de beaux rêves d’avenir et d’amour, qui jouissait de tous les charmes de la vie, se transforme rapidement en un adulte ; il sent que la guerre a mis un terme à tout cela, que cette période, la meilleure de la vie, est révolue.

Je veux vous citer un fait tout ordinaire. Je le trouve relaté dans la Krasnaïa Zvezda où le reporter-photographe Loskoutov nous raconte l’histoire d’un groupe dont il faisait partie ainsi qu’un opérateur de cinéma, et qui s’est glissé à l’arrière de l’ennemi pour se rendre chez les partisans.

Notre guide, écrit-il, devint le chef du groupe. Un chef bien jeune : 20 ans à peine, mais qui avait déjà passé par bien des épreuves et avait beaucoup appris. Nous l’avons tout de suite aimé, ce komsomol hardi et tenace. Il s’appelait Serguei Zaïtsev, mais nous l’avions surnommé « Zaïtchik » [« Petit lièvre »].

Il y a cinq mois, c’était peut-être encore un « Zaïtchik » en effet ; mais aujourd’hui c’est un chef de groupe, mûri par l’expérience de la lutte. Pensez donc : un jeune homme de 20 ans conduit un groupe à cinquante kilomètres à l’arrière de l’ennemi. Il y a cinq mois, ce jeune homme pareil aux autres, était évidemment à cent lieues de penser qu’il serait un jour partisan et guide à l’arrière des Allemands. Il devait surtout songer à flâner, à fixer des rendez-vous, à danser, désirs bien naturels à son âge. Mais ces cinq mois ont fait de lui un combattant, un vengeur du peuple. De la jeunesse, il a gardé une bravoure prête à tous les sacrifices et la volonté die lutter. Mais c’est déjà un combattant expérimenté, mûri par la vie, auquel des adultes se confient dans les circonstances les plus critiques.

Vous voyez avec quelle rapidité les jeunes gens deviennent aujourd’hui des hommes, des combattants. En temps de paix, il aurait fallu pour cela des années. Mais déjà la jeunesse est révolue pour les komsomols qui sont au front : ils se sont transformés en combattants. Beaucoup d’entre vous ont des frères en première ligne : s’ils sont venus en permission ou si vous les avez revus en d’autres circonstances, ne leur avez-vous pas dit : « Comme tu as changé ! Quand tu es parti, tu étais encore un gosse, et te voilà devenu un homme ! »

Mais outre ce changement extérieur, il y a aussi les transformations intérieures profondes. Il est certain que la masse des komsomols est aujourd’hui occupée aux durs travaux de la guerre. Beaucoup sont déjà au front — et s’ils n’y sont point, ils travaillent à la production, où c’est encore le front. Ainsi les komsomols de Moscou qui travaillent à la production sont fréquemment en butte aux attaques de l’aviation ennemie, et il faut avoir du cran pour continuer malgré tout à travailler en restant absolument maître de soi et en fournissant le rendement maximum.

Pour ceux de Leningrad le front est plus près encore. Là, le komsomol est constamment au front, qu’il travaille à l’usine ou défende sa ville les armes à la main. Ainsi le jeune prolétaire de Moscou et le jeune prolétaire de Leningrad ont mûri tous les deux, sont devenus des combattants.

Bien entendu, cette transformation s’effectue également à l’arrière, où elle est sans doute moins rapide.

À l’heure actuelle, une partie du gouvernement se trouve à Kouibychev. Cela impose certains devoirs aux travailleurs et aux komsomols de Kouibychev. Il y a un an, et même cinq mois, Kouibychev était une grande ville, mais une grande ville parmi beaucoup d’autres. Sverdlovsk, Tchkalov, Novossibirsk, etc., n’avaient pas les yeux fixés sur elle, étant, tout comme elle, des centres régionaux. Mais à présent, c’est ici qu’a son siège le Comité central du Komsomol. Ici viennent des komsomols d’autres régions, et naturellement ils regardent, ils s’intéressent à ce que vous faites : comment cela va-t-il à Kouibychev ? Ils espèrent voir quelque chose, trouver un exemple à suivre.

Quelle est à présent la principale tâche des komsomols ? Elle me semble parfaitement claire : c’est de participer à la guerre. La guerre est aujourd’hui le fait essentiel, le fait décisif de la vie. A l’heure actuelle rien n’est plus important que de battre l’ennemi. Tout doit être subordonné au but essentiel, qui est la victoire.

On peut participer à la guerre directement ; on peut aussi y participer en travaillant dans l’industrie, dans les différents établissements militaires et de l’arrière. Mais il est probable que la plupart d’entre vous, s’ils n’y participent pas directement aujourd’hui, y participeront directement demain ou après-demain. Or, c’est une guerre cruelle. Nous avons affaire à un ennemi dont on ne pourra venir à bout qu’au prix des plus grands efforts.

C’est pourquoi le Komsomol a pour tâche de préparer ses membres à la guerre, de les préparer à prendre dans cette guerre une part effective. Je pense que, politiquement, chacun, d’entre vous comprend fort bien et se rend parfaitement compte que notre guerre est une guerre juste. Mais il doit se préparer moralement à la guerre. Il faut que d’avance il apprenne à s’habituer aux conditions du front.

Il faut bien se mettre en tête que la guerre n’est pas un jeu, mais une très dure épreuve. Il est tout naturel qu’en un si court espace de temps la guerre fasse d’un jeune homme sans expérience un adulte, un combattant. Car à la guerre l’homme éprouve en un ou en quelques mois ce qu’en temps de paix il n’aurait pas éprouvé en dix ans, et au cours d’une seule bataille plus peut-être qu’il n’aurait éprouvé durant la moitié de son existence. Il faut y être préparé. L’organisation du Komsomol, ses membres, doivent se préparer et (préparer toute la jeunesse à prendre part à la guerre, se tremper intérieurement, pour que toute l’horreur de la guerre, toute la perfidie de l’ennemi ne puissent les briser.

Qu’entend-on par se préparer à la guerre ? Il faut s’y préparer concrètement. La guerre moderne met en œuvre une énorme quantité de moyens techniques les plus divers. Il faut apprendre non seulement à les utiliser pour vaincre l’ennemi, mais encore à se préserver pour pouvoir continuer à combattre.

Dans une allocution aux soldats d’une division qui partait pour le front, le camarade Vorochilov disait : « Apprenez à vous terrer rapidement. » Le maréchal s’adressait à des troupes régulières, à des soldats instruits, connaissant bien leur affaire, mais qui n’avaient jamais été au front : n’épargnez pas vos peines lorsqu’il s’agit de creuser des tranchées, jouez de la pelle ; la pelle, c’est le salut du soldat en temps de guerre ; apprenez à vous terrer rapidement.

J’estime que si un maréchal donne ce conseil à une division régulière qui part pour le front, à plus forte raison devez-vous, komsomols, en faire votre profit; apprenez à manier la pelle. Il faut que chacun de vous, futur combattant, puisse, après avoir creusé le sol pendant une heure, se terrer jusqu’à la poitrine, et au bout de deux heures s’abriter entièrement dans la tranchée. Voilà donc une tâche concrète : apprendre à vous terrer. Si j’étais le secrétaire de votre organisation, je vous obligerais chaque jour à creuser la terre gelée pendant à peu près deux heures, pour voir un peu avec quelle rapidité vous arrivez à vous terrer. (Rires.) Vous seriez nombreux, j’imagine, à m’en vouloir intérieurement, à qualifier tout cela d’arbitraire, à croire que c’est du temps perdu. (Rires.) Et ceux qui ensuite n’iraient pas au front resteraient peut-être sur cet avis. Mais ceux qui iraient au front, par contre, m’en seraient reconnaissants : « Heureusement qu’on nous a entraînés ! Maintenant c’est un jeu pour moi de creuser une tranchée. »

C’est Napoléon, je crois, qui a dit que chacun de ses soldats avait dans sa giberne le bâton de maréchal. Cela, c’était sous Napoléon. En Union soviétique il n’y a point de castes conférant des privilèges pour l’attribution des postes et des grades. Chez nous, c’est uniquement une question de valeur personnelle. Beaucoup d’entre vous seront sans doute officiers ou instructeurs politiques. Beaucoup peut-être commanderont de grandes unités, et peut-être aussi, qui sait ? — deviendront des maréchaux. Se pourrait-il qu’il n’y ait point parmi vous un seul maréchal en herbe ? (Rires.) Et pourquoi n’y en aurait-il pas ? Donc, camarades, il vous faut étudier à fond l’art militaire, la .théorie militaire. Qu’importe que vous deviez, au début, servir comme simple soldat ? Il vaut mieux être théoriquement préparé, cela vous servira un jour. Quand j’étais jeune, je faisais des rêves, moi aussi. Je me disais : peut-être serai-je député d’un Parlement ouvrier ? Voilà à quoi je rêvais, tout en sachant bien que je devrais d’abord faire connaissance avec la prison. (Rires.) Chez un être de 15 à 18 ans, le rêve devance toujours la réalité. Et c’est très bien. Ainsi donc, vous devez être prêts à occuper dans l’armée des postes de commandement ; en d’autres termes, étudiez dès à présent l’art militaire sous toutes ses formes. C’est pour nous l’essentiel aujourd’hui.

À cette réunion, un secrétaire de comité de rayon du Komsomol s’est plaint que beaucoup de komsomols de son organisation ne suivent pas les cours d’instruction militaire. Je ne le comprends pas. Car, dans ce cas-là, c’est le secrétaire lui-même qu’on pourrait bien faire passer en justice. (Rires.) L’instruction militaire est une obligation et non une occupation volontaire. Qui donc peut s’y refuser ? Si j’étais secrétaire d’un comité de rayon du Komsomol, je vous assure que tous les komsomols de mon organisation suivraient les cours d’instruction militaire.

Parfois les présidents des soviets ruraux ou les présidents de kolkhoz se voient obligés d’employer des kolkhoziens à la réfection des routes. Tant qu’ils réparent la route, les kolkhoziens pestent contre le président, mais dès qu’elle est remise en état et qu’eux-mêmes roulent dessus, ils ne cessent de répéter : « Heureusement qu’elle est refaite, heureusement qu’on nous a obligés à la refaire ! » (Rires.) Des komsomols aussi il faut exiger qu’ils fassent ce qui doit être fait. Sinon que verrons-nous ? Qu’arrivera-t-il si aujourd’hui un komsomol et demain un autre manquent l’exercice, s’il en est qui se demandent : y aller ou ne pas y aller ? Non, ce n’est pas ainsi que l’on doit s’acquitter de ses obligations vis-à-vis de l’Etat ! Or, l’instruction militaire est une obligation que l’Etat vous imposé et il ne peut être question ici de vouloir ou de ne pas vouloir.

Autre chose est que le Komsomol se montre l’animateur de l’instruction militaire des jeunes. Pour cela, on exige de lui davantage. Il faut alors que les komsomols étudient sérieusement les choses de la guerre et soient un exemple pour les autres, il faut qu’ici les jeunes devancent leurs aînés. Bien entendu, c’est plus difficile. Mais j’estime que c’est parfaitement possible. Car il y a la discipline du Komsomol. Sachez en tirer parti.

Il importe au plus haut point que physiquement aussi vous vous prépariez à la guerre. Chez nous, les jeunes ne vivaient pas mal ; nous les gâtions même un peu. Je suis loin de le regretter. Mais l’heure est venue où l’on doit faire preuve d’un moral élevé, certes, mais aussi d’endurance physique. J’estime que l’organisation du Komsomol doit rendre ses membres physiquement endurants. Dans la région de Kouibychev, les conditions naturelles s’y prêtent. Par un temps comme celui d’aujourd’hui, on peut très bien s’endurcir. Un exemple : on part le samedi pour une marche qui durera jusqu’au dimanche soir en emportant en tout et pour tout deux biscuits, voire un seul. C’est là un moyen de s’endurcir.

Nous devons vaincre et nous vaincrons. Mais la victoire ne tombera pas du ciel. Il faut la conquérir, la conquérir de haute lutte. Endurcissez-vous dès à présent, avant d’être envoyés au front. Si ce n’est pas précisément agréable aujourd’hui, au front, par contre, vous serez heureux d’être passés par cette école. Certes il y aurait encore bien des choses à ajouter sur la préparation militaire. Mais je voulais simplement vous dire dans quel sens elle doit s’effectuer. Il faut que vous possédiez à fond les connaissances militaires ; vous y êtes tenus en tant que komsomols. Ou bien alors vous ne pouvez pas porter ce nom. Nos combattants sont pour la plupart des sans-parti. Mais que d’exemples d’un héroïsme sans bornes ne donnent-ils pas en défendant notre pays !

Et maintenant, quelques mots de la production. Vous savez que sans elle, la guerre est impossible. La région de Kouibychev compte un grand nombre d’usines importantes, ce n’est pas moi qui vous l’apprends. A l’usine également, le komsomol doit être un initiateur. Travaillez donc en tendant toutes vos énergies, toutes vos facultés.

J’ai entendu avec plaisir le camarade de l’école professionnelle. Il s’est arrêté sur les aspects négatifs du travail de son école, il ne s’est pas vanté, il a montré les défauts pour y remédier, et cela m’a plu.

Ainsi donc, camarades komsomols, qui travaillez à l’usine, vous devez posséder votre métier à fond dans le plus bref délai, et faire du bon travail.

Il faut que nous développions au maximum la productivité du travail en nous disant bien que chaque nouvel obus ajoute à la force de nos combattants, de nos komsomols qui sont au front. N’épargnez donc pas vos peines, donnez toujours plus de production de guerre, et de la meilleure qualité.

Camarades, nous aimons tous notre patrie, mais il est parmi nous des contemplateurs, si je puis m’exprimer ainsi. Or, aujourd’hui les émotions passives ne suffisent pas. En entendant les communiqués du Bureau d’Informations, il en est qui soupirent : « Nous avons encore reculé ! encore une ville de perdue ! » Ils écoutent les communiqués, ils soupirent, mais ils ne remuent pas le petit doigt pour venir en aide au front. Ce patriotisme-là ne vaut pas un rouge liard. Ce qu’il faut, ce n’est pas s’énerver, c’est faire ‘out ce qu’on peut pour aider le front, pour vaincre le fascisme.

Telles sont les tâches qui à l’heure actuelle incombent au Komsomol. Vous devez faire tout le possible, et même l’impossible, pour assurer notre victoire sur l’ennemi.

Vous vous conformerez ainsi à ces paroles du camarade Staline :

Il faut anéantir la puissance militaire des envahisseurs allemands, il faut exterminer jusqu’au dernier tous les envahisseurs allemands qui ont pénétré dans notre Patrie pour l’asservir.

Je convie donc l’organisation du Komsomol de Kouibychev à s’acquitter, elle aussi, de cette tâche. (Vifs applaudissements.)

Komsomolskaïa Pravda, 21 novembre 1941.