Mais il est encore un autre moyen, un moyen très important, de vérifier la justesse et la véracité des accusations de scissionnisme lancées par Trotski.
Vous estimez que ce sont les « léninistes » qui sont des scissionnistes ? Bon. Admettons que vous ayez raison.
Mais si vous avez raison, pourquoi tous les autres groupes et fractions n’ont-ils pas prouvé, sans les « léninistes » et contre les « scissionnistes », la possibilité de faire l’unité avec les liquidateurs ?… Si nous sommes des scissionnistes, comment se fait-il que vous, les unificateurs, ne vous soyez pas unis entre vous et avec les liquidateurs ? Car alors vous auriez montré en fait aux ouvriers que l’unité était possible et utile !…
Rappelons la chronologie.
En janvier 1912, les « léninistes » « scissionnistes » déclarent qu’ils sont le parti, sans les liquidateurs et contre eux.
En mars 1912 s’unissent contre les « scissionnistes », dans leurs feuilles russes et dans les colonnes du journal social-démocrate allemand Vorwärts, tous les groupes et « fractions » : liquidateurs, trotskistes, vpérédovtsy, « bolchéviks-partitsy » et « menchéviks-partitsy ». D’un commun accord, unanimes, avec ensemble et d’une seule voix, tous nous traitent d’« usurpateurs », de « mystificateurs » et nous gratifient d’autres qualificatifs non moins tendres, non moins caressants.
Fort bien, messieurs ! Mais rien n’était plus facile que de vous unir contre les « usurpateurs » et de donner aux « ouvriers avancés » un exemple d’unité. Est-ce que les ouvriers avancés, s’ils avaient vu d’un côté l’unité de tous contre les usurpateurs, l’unité des liquidateurs et des non-liquidateurs et, d’un autre côté, les seuls « usurpateurs », les « scissionnistes », etc., — est-ce qu’ils n’auraient pas soutenu les premiers ? ?
Si les divergences ont été simplement inventées ou grossies, etc., par les « léninistes », et qu’en réalité l’unité est possible entre liquidateurs, plékhanoviens, vpérédovtsy, trotskistes et autres, pourquoi en deux ans ne l’avezvous pas prouvé par votre exemple ?
En août 1912, se réunit la conférence des « unificateurs ». Aussitôt commença la division : les plékhanoviens refusèrent net de s’y rendre ; les vpérédovtsy s’y rendirent, mais pour se retirer en protestant et en dénonçant le caractère fictif de toute l’entreprise.
Se sont « unis » les liquidateurs, les Lettons, les trotskistes (Trotski et Semkovski), les Caucasiens((Les « Caucasiens » — liquidateurs qui assistèrent à la conférence des liquidateurs en août 1912 comme délégués de l’Organisation social-démocrate du Caucase.)), le groupe des sept((Le groupe des sept, menchéviks de la fraction social-démocrate à la IV Douma.)). Se sont-ils vraiment unis ? Alors même nous avions déclaré que non, que ce n’était qu’un camouflage de la liquidation. Les événements nous ont-ils donné tort ?
Exactement un an et demi plus tard, en février 1914, il se trouve :
- Que le groupe des sept se désagrège : Bourianov l’abandonne.
- Que dans le nouveau « groupe des six » qui restait, Tchkhéidzé et Touliakov, ou un autre, ne peuvent s’entendre sur la réponse à faire à Plékhanov. Ils déclarent dans la presse qu’ils lui répondront, mais ils ne peuvent le faire.
- Que Trotski qui, depuis bien des mois déjà, s’est en fait retiré du Loutch, se rétracte en publiant une revue « à lui », Borba. En qualifiant cette revue de « non fractionniste », Trotski dit par là (clairement pour tous ceux qui sont un peu au courant de la question) que Nacha Zaria et le Loutch se sont avérés, selon lui, Trotski, « fractionnistes », c’est-à-dire mauvais unificateurs.
Si vous êtes un unificateur, aimable Trotski, si vous déclarez possible l’unité avec les liquidateurs ; si vous vous en tenez avec eux à la position des « idées fondamentales formulées en août 1912 » (Borba, n° 1, p. 6. Note de la rédaction), pourquoi ne vous êtes-vous pas vous-même uni aux liquidateurs dans Nacha Zaria et dans le Loutch ?
Lorsque, avant la parution de la revue de Trotski, la Sévernaïa Rabotchaïa Gazéta publia une note virulente disant que la physionomie de la revue n’était pas clairement « dégagée » et que « dans les milieux marxistes on avait suffisamment parlé d’elle », le Pout Pravdy (n° 37) dut naturellement dénoncer le mensonge : « dans les milieux marxistes on avait parlé » de la note secrète de Trotski contre les loutchistes ; la physionomie de Trotski et son départ du bloc d’août sont parfaitement « dégagés ». - An, le chef bien connu des liquidateurs caucasiens, qui avait à un moment donné attaqué L. Sédov (ce qui lui valut une semonce publique de la part de F. Dan et consorts), fait maintenant son apparition dans Borba. Une question reste « à dégager » : si c’est Trotski ou Dan que les Caucasiens veulent suivre aujourd’hui.
- Les marxistes lettons qui, dans le « bloc d’août », formaient seuls une organisation incontestée, l’ont officiellement quitté, en déclarant (en 1914) dans la résolution de leur dernier congrès que la tentative faite par les conciliateurs pour s’unir à tout prix avec les liquidateurs (conférence d’août 1912) se révéla inutile, les unificateurs eux-mêmes sont tombés sous la dépendance idéologique et politique des liquidateurs.
C’est ce qu’a déclaré, après un an et demi d’expérience, une organisation qui s’en tient elle-même à la position de neutralité, et ne veut se lier à aucun des deux centres. Cette décision de gens neutres devrait avoir d’autant plus de poids pour Trotski.
Cela suffit, je pense ?
Ceux-là mêmes qui nous accusaient de scissionnisme, de ne pas vouloir ou de ne pas savoir nous accommoder des liquidateurs, ne s’en sont pas accommodés eux-mêmes. Le bloc d’août s’est avéré une fiction, et il s’est désagrégé.
En cachant à ses lecteurs cette désagrégation, Trotski les trompe.
L’expérience de nos adversaires a prouvé que nous avions raison et qu’il était impossible de travailler avec les liquidateurs.