Nouveau texte très instructif de notre camarade « L’ouvrier indigné » travaillant chez Fedex à Liège :
L’aéroport et l’environnement : où est la voix des travailleurs ?
Dans cet article, nous allons parler du développement de l’aéroport de Liège et des enjeux environnementaux. Plus précisément, nous cherchons à comprendre pourquoi les travailleurs sont si peu visibles sur des questions aussi cruciales que le développement de l’aéroport et les préoccupations environnementales qui y sont associées.
Depuis l’octroi du Plan Directeur 2040 du permis d’environnement (qui autorise 55 000 mouvements d’avions par an) et du nouveau permis d’agrandissement, des visions divergentes s’affrontent quant à l’avenir de l’aéroport. Cette situation place les travailleurs de l’aéroport face à un dilemme infernal : la défense de l’emploi (dans une région qui en manque) et celle de l’environnement (à l’heure de la catastrophe écologique). Dans les débats qui portent sur l’aéroport, on distingue plusieurs acteurs aux intérêts divergents : 1) des partisans d’une approche libérale, favorables à l’investissement d’argent public (via la SOWAER) dans l’espoir que les entreprises créeront des emplois, souvent temporaires, et qui souhaitent la privatisation complète de l’aéroport en renforçant l’encrage des actionnaires privés dans la gestion public des aéroports¹; 2) des riverains, qui sont aussi très souvent eux-mêmes des travailleuses et travailleurs de jour, légitimement préoccupés par la valeur de leurs biens immobiliers ainsi que de leur qualité de vie et de sommeil, et qui revendiquent des mesures efficaces d’atténuation du bruit, en particulier la nuit² ; 3) enfin, des militants des mouvements sociaux et écologistes (pas uniquement issus du parti Ecolo mais aussi de la gauche écologique et radicale)³, qui prônent une réduction drastique des activités aéroportuaires, dont ils considèrent qu’elles jouent un rôle majeur dans la catastrophe écologique (dérèglement climatique, déclin de la biodiversité, pollution sonore, etc.). Ces mouvements mettent en lumière un enjeu crucial, souvent passé sous silence par les syndicats aéroportuaires : la destruction d’emplois locaux engendrée par l’importation massive de produits à bas coût. Ces produits, fabriqués dans des conditions de travail précaires (bas salaires, absence de protections sociales, etc.), sont acheminés via des plateformes comme Alibaba et bouleversent profondément le secteur de l’e-commerce. Ce modèle économique, notamment pour des entreprises comme FedEx, met en péril la rentabilité de certaines activités notamment les activités de la nuit . Il est urgent de mettre en place des mesures pour soutenir les entreprises locales, favoriser le commerce équitable et garantir des conditions de travail décentes dans les pays producteurs.
Dans ce contexte, nous nous posons la question de savoir où se situent les syndicats, supposés représenter les intérêts des travailleurs de l’aéroport ? Hormis un soutien souvent aligné sur les positions des tenants d’une extension à tout prix, on entend peu leur voix concernant l’avenir de la plateforme aéroportuaire au regard des enjeux environnementaux. C’est pourquoi nous comblerons ce manque en proposant une analyse écologique de cet outil économique qui s’appuie sur notre expérience de travail ouvrier. Une telle analyse nous paraît cruciale à l’heure où les autorités projettent d’investir plus de 500 millions d’euros dans la zone Nord de l’aéroport⁴.
Dans la partie suivante, nous démontrons que l’environnement est une composante importante du travail. Si les activités aéroportuaires génèrent des dégâts pour les riverains et sont contestées par les écologistes, les travailleurs sont aussi concernés par la pollution… et ce depuis leur lieu de travail.
La santé des travailleurs est aussi un enjeu environnemental
Au-delà des aspirations professionnelles traditionnelles telles que la progression hiérarchique, la reconnaissance de son travail, la possibilité d’assurer sa subsistance et d’améliorer son niveau de vie, les travailleurs accordent une importance croissante au maintien d’une bonne santé et à une longue vie après la retraite. Pourtant, la pollution à laquelle sont exposés les travailleurs de l’aéroport peut avoir un impact non négligeable sur leur santé. Dans quelle mesure l’aéroport s’engage-t-il à préserver la santé et le bien-être des travailleurs ? Les politiques de l’aéroport en matière de santé au travail sont-elles suffisantes pour garantir la sécurité des travailleurs ? Quelles sont les mesures mises en place par l’aéroport pour prévenir les maladies professionnelles ? Ici, nous allons montrer que les travailleurs sont exposés à de nombreuses formes de pollutions (particules fines, pollution sonore, exposition à des combustibles) qui ont des effets importants sur leur santé.
En matière de pollution, nous pouvons nous référer aux données récoltées par les deux rapports de la SOWAER⁵’⁶ en ce qui concernent les stations de mesure sur la qualité de l’air ambiant autour de l’aéroport. Celle-ci nous fournit des données sur la présence de particules fines (PM 10) sur le site de l’aéroport. Il est important de connaitre les seuils de concentration de particules fines sur l’aéroport tant celles-ci ont des effets nocifs sur l’environnement ainsi que sur les travailleurs. La notion de « valeur limite » exprime justement les concentrations maximales au-delà desquelles il est jugé risqué d’être exposé. Une directive de l’Union Européenne (UE) (2008/50/CE) impose deux valeurs limites de concentration en PM 10 dans l’air ambiant. Ainsi, sur l’aéroport et en 2023, la valeur limite moyenne annuelle de 40 µg/m³ a été respectée ; la valeur limite journalière de 50 µg/m³ a été dépassés 7 fois (35 jours de dépassement sont autorisés). Cependant, si on se réfère aux normes de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la situation est bien plus préoccupante. La valeur limite annuelle (fixée à 15 µg/m³ par l’OMS) a été dépassée 9 fois. Et ce alors que l’OMS indique que 3 à 4 dépassements par année civile risquent de provoquer de graves problèmes de santé.
Il est important de noter que les particules ultra-fines (PM 0,1), bien que représentant une part importante de la pollution particulaire, ne sont pas soumises à des normes européennes spécifiques. Les mesures effectuées en 2023 par la station TMLG09 autour de l’aéroport ont révélé des concentrations élevées de ces particules autour de l’aéroport, similaires à celles observées au niveau du réseau autoroutier de Namur
Ces résultats sont préoccupants car les particules ultrafines sont associées à de nombreux problèmes de santé : des maladies cardiovasculaires, des troubles respiratoires, des cancers pulmonaires et des AVC.⁷
Pourtant, les travailleurs sont exposés à bien d’autres facteurs de risques qui, combinés aux particules fines, risquent de provoquer un cocktail détonant… D’une part, on sait que les travailleurs de l’aéroport sont exposés au bruit excessif des avions et que les effets de la pollution sonore sur leur santé sont multiples⁸ : risque d’accident, troubles cardiovasculaires, acouphènes, stress. D’autre part, le travail de nuit, auquel est soumis un grand nombre de travailleurs, aggrave encore la situation en augmentant les risques de maladies cardiovasculaires et en favorisant l’apparition de certains cancers. Enfin, à tout cela s’ajoutent les effets de la pollution directe, c’est-à-dire l’exposition à divers polluants présents dans l’environnement aéroportuaire tels que le kérosène des avions ou les combustibles de divers outils (highloader, pushback, etc.). En somme, les travailleurs aéroportuaires sont confrontés à de nombreux risques pour leur santé, liés à la fois aux nuisances sonores, aux horaires de travail atypiques et à la pollution de l’air.
Un tel constat montre que les travailleurs de l’aéroport font face à des préoccupations parfois similaires, ou même pires, que celles exprimées par les riverains et les écologistes… Les délégations syndicales, dont la fonction est aussi de protéger la santé des travailleurs (via les CPPT), sont donc particulièrement légitimes pour se saisir de cela. Pourtant, ILS NE LE FONT PAS…
Quelles pistes pour une action syndicale ?
Pourquoi les syndicats ne mettent-ils pas davantage l’accent sur la prévention de tels risques ? Il est troublant de constater que des explications individuelles ou fatalistes sont parfois privilégiées alors que c’est bien l’organisation du travail et les choix de production qui sont responsables des risques identifiés. Qui, parmi nous, ne connaît pas un collègue parti trop tôt ou confronté à de graves problèmes de santé liés à son travail ? Chaque année, nos risques d’exposition à la pollution augmentent.
Ainsi, des études épidémiologiques rigoureuses s’imposent. Celles-ci pourraient par exemple interroger le lien entre l’exposition prolongée aux particules fines et l’incidence accrue de maladies respiratoires et de cancers parmi les employés de l’aéroport. Ces données scientifiques seraient essentielles pour justifier des mesures de prévention plus strictes et protéger la santé des travailleurs.
En conclusion
Pour réduire drastiquement l’exposition aux polluants et améliorer la qualité de l’air, il est urgent de ne pas attendre 2040 et éviter d’avoir une position pessimiste avec des études qui n’en sont pas ¹²
Dès maintenant, les travailleurs doivent exiger des mesures fortes, telles que la modernisation du parc de véhicules : on pourrait par exemple remplacer l’ensemble du matériel roulant thermique par des équipements électriques ou fonctionnant à l’hydrogène (charlate, pushback, highloader, ground power unit). Il convient cependant de rejeter catégoriquement les technologies comme les taxibots, qui menaceraient directement l’emploi des agents chargés des manœuvres de recul ( pushback)¹⁰’¹¹
Nous pouvons aussi exiger d’équiper les bâtiments et les véhicules de systèmes de filtration performants : installation de filtres dans les hangars, les véhicules de piste et les espaces de travail pour éliminer les particules fines et autres polluants. Nous pouvons aussi encourager le développement d’alternatives aux carburants fossiles tels que les biocarburants durables ou de carburants synthétiques (pour les équipements ne pouvant être électrifiés). Enfin, nous devons exiger de mettre en place une surveillance continue de la qualité de l’air et des examens pulmonaires et sanguins régulier, ciblés sur les polluants. Pour cela, il serait utile d’installer des capteurs de particules fines sur le lieu du travail afin de suivre en temps réel l’évolution de la pollution et ajuster les mesures de prévention en conséquence.
<< Pollution : le problème est posé. Les solutions, à nous travailleurs de les trouver ! >>
L’ouvrier indigné”
Source !
1. Déclaration de politique régionale wallonne : Avoir le courage de changer pour que l’avenir s’éclaire. (11 juillet 2024). Page 23-25 : les aéroports
2. https://www.rtbf.be/article/la-sowaer-un-modele-envie-sauf-par-les-riverains-concernes-11409225
4. https://lpost.be/2024/10/31/liege-airport-lance-la-premiere-etape-de-son-plan-dinvestissement-de-500-millions-deuros/
5. AwaC et ISSeP. 2024. Rapport annuel 2023. Liège Airport – station permanente de mesure de la qualité de l’air ambiant. Février. Table des matières 4.3.2.1
6. Gérard, G., & Fays, S. (2024, 20 mars). Mesure de la qualité de l’air ambiant autour de l’aéroport de Liège : Rapport 2023 (Rapport n°00916/2024). Institut Scientifique de Service Public (ISSeP).
9. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/ambient-(outdoor)-air-quality-and-health
10. https://www.lecho.be/entreprises/aviation/les-avions-prendront-ils-bientot-tous-le-taxi-electrique/10537538.html ( En particulier, il ne nécessite pas de modification des avions. Le pilote de l’avion utilise les commandes de son avion. Le taxibot se base sur les mouvements des roues avant pour reproduire les mouvements.
« Pour nous, cela se dirige comme avant, sauf que le nez de l’avion est légèrement plus haut que d’habitude », nous souffle le pilote de Tui Fly.
12. https://www.parlement-wallonie.be/pwpages?p=interp-questions-voir&type=28&iddoc=127633