Voici le récit que fait Cécile Perret, infirmière, largement diffusé via les réseaux sociaux (des dizaines de milliers de partages), révélant la situation et les conditions de travail des travailleurs du secteur infirmier. À lire et à diffuser!
“Aujourd’hui j’ai travaillé 10 heures et j’ai craqué 10 minutes. 10 minutes où j’ai lâché toute la merde que je venais d’accumuler. Ma présence était sollicitée dans deux salles d’opération différentes en même temps, et n’étant qu’humaine impossible de me dédoubler. Une fois les 2 patients amenés en salle de réveil, je me suis retrouvée avec tout “l’après”. Les déchets à évacuer, les 6 machines à laver, les 4 tiroirs à ranger. Je me suis motivée et là j’ai entendu une voix dans le couloir dire “on a une plaie par balle qui arrive”. Une urgence, une vraie. Le seul genre d’opérations qu’on devrait faire à cette heure-là (19h). Et pourtant mes trois autres collègues étaient encore en train de trimer pour des opérations programmées. J’ai pensé au petit moment de répit que j’imaginais enfin avoir, à mon fils que j’étais censée récupérer une heure après, et à l’heure que je risquais de passer, et là je me suis mise à chialer. Au milieu de la réserve, seule, debout, devant mon matos à ranger, j’ai craqué. 10 minutes. Je me suis encore une fois pris dans la tronche qu’on me demandait de m’occuper de plus en plus de patients, de faire le taf de plusieurs personnes de plus en plus souvent, avec de moins en moins de moyens, de moins en moins de temps, et de plus en plus de pression. Cette équation est baisée d’avance.
La médecine progresse, les gens vivent plus longtemps, de plus en plus de maladies sont diagnostiquées, de plus en plus de cancers sont opérés, mais à côté de ça les effectifs sont réduits, des services sont fermés, parfois des hôpitaux entiers, et les budgets sont de plus en plus amputés. Comment peut-on s’occuper de tous ces gens, quand on nous diminue les moyens matériels et humains qui nous permettent de le faire? Comment peut-on rentrer chez nous en étant satisfaits de notre travail alors qu’on nous demande d’en faire deux fois plus avec trois fois moins? C’est juste le meilleur moyen d’envoyer tout son personnel droit dans le mur. Quand je vois comme les choses se sont dégradées depuis 10 ans, je n’ose même pas imaginer dans quelles conditions on s’occupera de moi, d’ici plusieurs années. Tous les jours on lance des signaux pour dire qu’on souffre de ne plus pouvoir bien prendre en charge la souffrance de nos patients. Tous les jours on lance des signaux pour dire qu’on va finir nous aussi par craquer. Et on continue de s’accrocher parce qu’à la base on aime ce métier, mais c’est comme être sur un bateau qui coule et voir le bateau qui pourrait nous aider passer devant nous sans s’arrêter en nous criant “tenez bon les gars” pour se donner bonne conscience. On coule et les gens qui pourraient nous aider ont l’air de n’en avoir strictement rien à carrer.”