Le 28 janvier aura lieu une manifestation nationale organisée par la FGTB pour une sécurité sociale renforcée. Faut-il y aller ? Evidemment. Faut-il lui donner une importance qu’elle n’a pas et s’en satisfaire ? Evidemment que non.
L’organisation de cette manif « one shot » par la FGTB après de longs mois de passivité moutonnière (comme chaque année) doit mener les travailleurs, syndiqués ou pas, et les militants, à se poser les bonnes questions sur les syndicats dans le contexte actuel.
Le syndicat, pris de manière globale, c’est la forme d’organisation la plus élémentaire et accessible des travailleurs ; c’est, pour des masses de travailleurs, le premier pas de la désorganisation à l’organisation.
D’un point de vue historique, l’émergence des syndicats constitua un énorme progrès pour la classe ouvrière. Elle fut une étape dans le développement de l’organisation de la classe ouvrière ; comme l’écrivait Lénine, « de l’état de dispersion et d’impuissance où se trouvaient les ouvriers », l’on passa « aux premiers germes du groupement de classe ». Elle fut le résultat du développement du capitalisme industriel. En effet, d’une part, celui-ci concentrait les masses ouvrières et, d’autre part, il rendait leurs conditions d’existence toujours plus mauvaises, précaires et instables tout en égalisant ces conditions d’existence et donc les intérêts des ouvriers.
À l’origine, les syndicats devaient faire face à une législation pénale sanctionnant la mise en place d’organisations d’ouvriers et les grèves ainsi qu’à une intense répression patronale. Le travail syndical était donc dépourvu d’assise institutionnelle et devait se fonder, pour se maintenir, sur la lutte pour la construction d’un rapport de force favorable.
Dans les pays au capitalisme développé comme la Belgique, l’on vit apparaître une « aristocratie ouvrière ». Il s’agit, en résumé, des couches supérieures des ouvriers achetées, favorisées, soudoyées, par les capitalistes grâce à leurs colossaux profits. De cette aristocratie émergèrent nombre de dirigeants syndicaux et de dirigeants des partis ouvriers sociaux-démocrates (auxquels étaient liés les syndicats). Ce processus mena les partis ouvriers sociaux-démocrates à la dégénérescence, au réformisme (en Belgique, le POB, ancêtre du PS). Par ailleurs, avec le support des capitalistes et de l’État (notamment par la voie des financements), ce processus déboucha, dans les principaux syndicats, sur la forte implantation, à leur tête, d’une bureaucratie aristocratique. Celle-ci, coupée de la « base », avait, a et aura toujours une tendance intrinsèque à canaliser les luttes dans un cadre contrôlable, acceptable pour les capitalistes pour, au mieux, maintenir le statu quo. Ainsi, les principaux appareils syndicaux tombèrent dans la voie de la conciliation sociale.
En l’état actuel des choses et de manière générale, les principaux syndicats belges, sous la direction d’une bureaucratie aristocratique (liée à des partis gagnés et corrompus par le système), sont des appareils pour ainsi dire institutionnels et routiniers et non des appareils de combat contre le capital. S’ils posent des limites au capital, ce n’est que dans le cadre de ce que ce dernier juge acceptable. S’ils se déploient et agissent, c’est (au mieux) sans vue autre que l’horizon du statu quo.
Or, la rapacité caractérisant le capital implique que ce dernier vise à, progressivement, récupérer le terrain perdu dans l’après-guerre et broyer toutes les limites auxquelles ses intérêts se heurtent. Notons qu’au niveau mondial, le capital a profité, durant ces dernières décennies, de la retraite et du dispersement aux niveaux idéologique, politique et organisationnel de la classe ouvrière et des forces révolutionnaires, retraite et dispersement temporaires, survenus à la suite de la restauration de l’empire du capital partout dans le monde. Mais, on s’en aperçoit, les rangs se reforment, la résistance et la lutte des masses s’organisent et s’amplifient, les forces révolutionnaires reprennent leurs marques.
Mais que faire en tant que révolutionnaires ? Faut-il travailler, militer, dans les syndicats ou pas ? Oui, aussi implantée et solide soit la bureaucratie aristocratique à leur tête, il faut y mener un travail de conscientisation, d’agitation, lutter contre la direction opportuniste pour mener la « base », les travailleurs, à outrepasser le canal imposé par la couche dirigeante, les gagner aux idées révolutionnaires, les mener sur le terrain de la lutte des classes révolutionnaire, les faire avancer vers toujours plus d’organisation, faire progresser les couches retardataires, etc. Répondre le contraire reviendrait à abandonner la « base », les masses syndiquées, aux mains d’une direction inconsistante et conciliatrice, donc favoriser le capital.
Insistons sur le fait que la « base » dont on parle est composée de masses de travailleurs dont la volonté de lutte grandit et s’approfondit au fil des années et des coups portés par le capital.
Participons à la manifestation nationale du 28 mais ne nous en satisfaisons pas ! Les dirigeants syndicaux, dans un jeu d’équilibriste, voient cette manifestation comme un moyen de satisfaire la « base », de récupérer de la légitimité ou, dit plus vulgairement, comme un os à ronger lancé à la « base ». Quel que soit le prochain gouvernement, il faudra mener la lutte de manière ferme et résolue. Que l’intense lutte actuellement en cours chez nos voisins français, sous la poussée des bases syndicales (également confrontées à des bureaucraties aristocratiques) nous inspire.