Voilà où nous en sommes dans les soleils qui se lèvent — à cette époque où, comme dit Kaganovitch, ce sont des océans qui coulent sous les ponts.
Tous les États, sauf un, vont à la ruine à travers le fascisme, et tous vont à la guerre. La situation est tragique. Mais elle n’est pas complexe. Elle est simple.
Au XIXe siècle, par précision et éclairement des situations politiques antérieures, l’humanité agissante s’est divisée en deux parties : les conservateurs et les révolutionnaires. Ceux qui veulent maintenir la forme capitaliste de la société, et ceux qui veulent la changer dans un sens égalitaire. La lutte commença, un peu partout, avec tendances à se généraliser, entre ces deux forces massives.
Concrètement, ce fut, d’un côté, la classe ouvrière partiellement organisée en armée internationale (politique et syndicale), et tous ses sympathisants ; de l’autre côté, la bourgeoisie régnante, — légataire universelle de la Révolution Française — ses forces d’État, ses avocats et défenseurs de toute espèce, et aussi tous les non-révolutionnaires de tous degrés.
Car il y avait l’air d’avoir des positions intermédiaires. En réalité, il n’y en avait pas. Entre les deux partis essentiels, tous les autres partis politiques jouaient des comédies inconsistantes et évanouissantes. D’un tel état de choses sortait cette évidence : Il n’y a pas de troisième monde. Il n’y a pas de troisième voie. Il n’y a pas de moyens termes. Tout ce qui n’est pas révolutionnaire est conservateur — même les réformistes sont absorbés à mesure dans le bloc de conservation sociale — même les neutres et les indifférents y pèsent de leur poids mort — les demi-révolutions elles-mêmes y retombent et y meurent tout entières. Tant qu’on n’a pas tout, on n’a rien.
Par conséquent, le prestigieux libéralisme bourgeois qui a tant d’adeptes, comme tous les « justes milieux », et qui proclame : « Ni réaction ni révolution », et chante toutes les variantes de cette formule —, repose sur une interprétation grossièrement erronée de la réalité. L’exigence des faits dit péremptoirement, à notre époque : Ou réaction ou révolution. Ce sont les deux seules alternatives. Par la force de la logique et par la force des choses, les formations intermédiaires tirent et tombent soit à droite, soit à gauche (presque toujours à droite). Pas moyen d’échapper à cette mathématique de la réalité (du reste, toute notre histoire contemporaine la confirme).
Qu’on le répète pour enfoncer le clou : S’il n’est pas révolutionnaire, le non-conservateur, quoi qu’il dise ou fasse, est conservateur. Le juste milieu est une réaction qui se voile la face. Restent toujours les deux blocs : le capitalisme, qui soutient par des moyens artificiels (des propagandes mensongères et l’emploi abusif de la force qu’il possède en raison seulement de sa situation acquise), le double gonflement anarchique de l’individu et de la nation, et qui reste le bouillon de culture normal de l’injustice, de la spoliation, de la corruption et de la guerre —, et le socialisme qui retire de la circulation l’enrichissement privé, fait tout rentrer aux mains de la communauté des producteurs : les travailleurs manuels et intellectuels, et dit que la nation n’est pas le dernier, mais l’avant-dernier degré de l’unification des habitants du monde.
Aujourd’hui, c’est toujours la même division universelle, avec les mêmes caractères fondamentaux, mais avec une présentation différente. Il y a eu des faits nouveaux — et quels faits ! Un renforcement général du mouvement ouvrier et de la conscience révolutionnaire. Plusieurs révolutions à la suite de la guerre — une guerre dont on ne peut pas chiffrer les dizaines de millions de victimes et les centaines de milliards de dévastations, et qui n’avait pas de causes avouables. La réussite de l’une de ces révolutions ; la constitution d’un Etat marxiste dans un vaste pays. Fini, au premier quart du XXe siècle, le temps où le ventre capitaliste avait pour ceinture l’Equateur. En même temps, la machinerie socialiste mondiale, l’Internationale, reforgée à neuf.
Puis, tout de suite après, il y a eu la crise économique mondiale.
« Crise temporaire, comme les autres », disaient les pontifes éberlués, « la septième ou la huitième ». Non, crise organique du capitalisme, crise de décadence, de vieillesse et de moisissure, tous les moyens usés, tous les débouchés pleins (produire, produire ; vendre, vendre. Mais tous les clients sont vendeurs aussi, sur les bords des frontières. Sa marchandise retombe sur le pays producteur, et l’empêche de respirer). Le commerce se meurt de fausse couche. Résultat très normal du principe lui-même. Ce n’est pas la surproduction qu’il faut incriminer, car le monde dans son entier n’a pas assez de toute la production actuelle, c’est le désordre dans la répartition de la production en raison des nationalismes économiques. C’est très normal aussi que sous toutes les grandes entreprises, pullule l’escroquerie.
Alors, on ne peut plus citer comme modèle de gestion, la méthode qui sème la misère, cultive la banqueroute, et met les voleurs au pinacle, le régime où le travail rapporte la famine sans compter la guerre, de nouveau visible à tous les points cardinaux). Par ailleurs, on ne peut plus citer comme modèle des joies de l’esclavage, l’ouvrier américain, l’ouvrier doré : voilà un des grands arguments apprivoiseurs de foules, qui saute en l’air.
Le capitalisme, pour continuer à être capitalisme, doit donc cacher son jeu. Il l’a fait avec une perfide pudeur. Comme le disait très expressivement Staline il y a peu de temps, le capitalisme ne peut pas sortir de la crise « la tête haute », « il n’en peut sortir qu’à quatre pattes. »
En présence des progrès du socialisme et des progrès de sa propre pourritude, la bourgeoisie s’est très vite reprise. Elle a perfectionné (elle en a les moyens matériels), son programme de mainmise conservatrice, et aujourd’hui, elle surgit assez camouflée. Le système capitaliste reste dans la coulisse. Ce n’est plus lui qui se présente au premier plan.
Ce revêtement, qu’on appelle le fascisme — et qui, sans être une phase fatale du pouvoir bourgeois, apparaît, en fait, partout et devient l’uniforme neuf du capitalisme, — a pour objectif essentiel de diviser l’adversaire et notamment d’isoler la classe ouvrière, et le socialisme du même coup, en gagnant à soi les masses laborieuses non-ouvrières. La dite tactique a fait l’objet d’une longue préparation, d’une propagande suivie, intensive, très calculée, depuis la guerre, à la fin de laquelle les classes dirigeantes étaient désemparées, et perdaient pied.
Le mécontentement, issu de toutes les désillusions et de toutes les duretés de l’existence d’après-guerre, le capitalisme l’a excité et l’a exploité par une certaine démagogie démocratique et par quelques emprunts malhonnêtes à la terminologie socialiste (vols à l’étalage). Il a dégagé une composante de toutes les amertumes, de toutes les déceptions, de toutes les colères. Il a canalisé et dérivé cela contre quelques têtes de turcs.
Une de ces têtes de turcs, (outre le socialisme), c’est le régime parlementaire, qu’il faut balayer pour balayer les prétextes des libertés (les libertés elles-mêmes sont déjà parties). Donc, on charge le régime parlementaire (qui, du reste, s’y prête pas mal !) de tous les péchés d’Israël. C’est une façon maligne d’en décharger le régime bourgeois lui-même.
Et puis, tous les autres boucs émissaires qu’on veut. Plus fort que les autres, la réaction régnante a crié contre les scandales, les fraudes, les concussions quasi officielles, qui couronnent ses propres méthodes, et elle s’est démenée pour incriminer des méfaits du capitalisme, non pas tous les capitalistes, mais seulement ceux qui ont tout de même fini par lasser l’immense complaisance de la justice de classe.
En jouant ainsi sur les mots (par exemple sur le mot élastique de régime), la réaction nouveau-jeu a fait un certain anti-capitalisme d’une excellente portée démagogique. C’est la seule façon de conserver le capitalisme : supprimez le Parlement pour instaurer un gouvernement dictatorial, et poursuivez les gredins qui se sont laissés prendre — le capitalisme devient inattaquable.
Cette action de défense du capitalisme, avec son rudiment de programme superficiel et négatif, elle émane de toutes sortes d’organisations ne différant guère que par leurs titres, et elle fait bloc contre le mouvement ouvrier.
On dresse contre l’ouvrier : les classes paysannes, les classes moyennes ; on dresse les fonctionnaires contre les travailleurs manuels et contre les fonctionnaires, on dresse tout le monde. On éblouit les contribuables, les anciens combattants qui n’y voient pas clair, les petits jeunes gens. L’idée directrice, c’est d’organiser les non-organisés, la population flottante, (dans une organisation neuve dont on tient les fils), et noyer l’ouvrier là dedans.
Le socialisme — le pelé, le galeux, l’auteur de tout le mal, pêle-mêle avec le régime parlementaire —, on le bat en brèche en en donnant une image dénaturée. On horrifie les gens en leur faisant croire que le socialisme trame leur perte.
On dit : « les socialistes ont gouverné : en Angleterre, en Allemagne. Regardez ce qu’ils ont fait. »
On néglige d’ajouter que les personnages en question étaient peut-être socialistes de nom, mais qu’ils n’ont jamais appliqué le socialisme. Toutefois, il faut reconnaître que ce sophisme prend beaucoup de force en raison de la réelle déconvenue que tels chefs social-démocrates, par leurs agissements, pendant la guerre et après la guerre, ont apportée aux ouvriers. Ces maquignonnages, ou déloyaux ou puérils et ces effectives trahisons, ont discrédité pas mal le socialisme et l’ont notablement affaibli dans certains milieux ouvriers non mûrs pour l’énergique intransigeance du communisme.
D’autre part, on exhibe avec honneur M. Mac Donald, socialiste converti à la vertu capitaliste, « comme on exhibe un ivrogne guéri, dans les sociétés de tempérance », dit M. Snowden (qui n’y trouve à redire que pour des raisons de jalousie et d’animosité personnelle). Quant aux réalisations de l’U.R.S.S. on les cache, on les vole aux peuples.
Les néo-réactionnaires visent surtout (naturellement) l’organisation ouvrière syndicale. Nous savons ce qu’en pensent Mussolini, et ceux qui soufflent à Hitler ce qu’il doit dire. Et il n’y a pas longtemps, M. André Tardieu disait explicitement : « Pour surmonter la crise mondiale, il suffit d’un contrôle effectif de l’État sur les syndicats ouvriers. » Tout à fait selon ce principe, est le système de l’État corporatif qui brille en Italie, en Allemagne, et en France dans la coulisse.
C’est un régime de férule et de militarisme plat — qui enthousiasme M. Krupp : il fait de chaque ouvrier un soldat du patronat — un outil ou un fusil monté sur pattes.
Mais la grande arme du fascisme contre le socialisme, c’est le nationalisme.
L’unité et la grandeur nationales, prophétise-t-il, ne peuvent, s’accomplir que si on écrase l’internationalisme qui est le principal élément de désordre, de misère et de perdition. Donc, sus aux étrangers, aux métèques, aux Juifs — et surtout aux socialistes, et surtout aux communistes.
Le nationalisme est le principe dynamique du fascisme. C’est l’alcoolisme chauviniste qui fait marcher ce regroupement opportuniste du capitalisme. C’est le ferment.
Un puissant ferment, en effet, — le plus simpliste, le plus terrible, le plus féroce. Ce virus-là met le feu au ventre à des centaines de millions de gens. Le mythe de l’intérêt ou de l’honneur national rend enragé le plus terne et le plus neutre des citoyens — à fortiori, la jeunesse vide et gueularde. C’est là le plus stupide des mauvais instincts, car, contagieux de voisin à voisin, il prépare sottement toutes les calamités.
« Nous, nous seuls ! » Formule sommaire qui économise les longues réflexions et les longues vues. Précieuse formule-clef, qui s’adapte à la fois aux intérêts vitaux des gens d’argent, des gens de sabre et des gens d’église, et à la bêtise des autres.
La conservation sociale se présente donc — pour la lutte finale — sous forme d’un soi-disant redressement moral et national foulant aux pieds le socialisme et la liberté, sous forme d’un pouvoir fort, qui s’impose et se met militairement au-dessus de la critique. C’est la police capitaliste étirée en parti.
Telle est la mixture que le fascisme a enfoncée et est en train d’enfoncer dans le crâne des contribuables — et qui prétend résoudre la crise et le marasme à l’aide des moyens mêmes qui les ont provoqués. Les fascismes diffèrent entre eux sur le dessus ; au fond, c’est le même.
Elle a beau constituer une sorte de farce démocratique, de caricature du socialisme, elle a beau proférer très haut les mots de révolution, d’économie dirigée — et d’antifascisme — et s’asseoir sur les principes prolétariens pour se hausser —, cette soi-disant doctrine de rénovation populaire qui s’est installée en Italie, en Allemagne, en Hongrie, en Pologne, dans la Presqu’île balkanique, au Portugal, en Autriche, qui a généralisé contre les hommes libres et contre les libérateurs, les plus formidables des boucheries humaines et les plus épouvantables des tortures —, et qui recrute à l’heure qu’il est des adeptes parmi les jeunesses, la petite bourgeoisie et les fidèles des églises de France et des autres pays non encore piétines par elle — n’est pas plus démocratique qu’elle n’est neuve. C’est l’antique capitalisme empanaché, étamé et militarisé, ce sont les mêmes énormes contradictions foncières à travers une doctrine si vague que les bonnes gens peuvent croire — au commencement — qu’on les pousse en avant alors qu’on les tire en arrière.
Il n’apporte rien. Le fascisme n’est et ne sera jamais qu’un vernis, sur de la vieillerie néfaste, et les fascistes ne font d’effort d’imagination et d’originalité que pour trouver la coloration de leurs chemises, et pour persuader aux foules qu’on se nourrit avec des fumées. C’est toujours cette société où l’on ne prospère que dans la mesure où on ruine, où on ne vit que dans la mesure où l’on tue, cette société qui va dans les nouveaux continents pour cambrioler les frontières fragiles et pour faire payer aux indigènes l’air qu’ils respirent, cette société abjecte, où l’on ne peut être honnête sans être un sot, où les élections faussent la volonté populaire, celle de l’exploitation de l’homme par l’homme, de l’assassinat de l’homme par l’homme, et de toutes les grandes échéances sociales indéfiniment différées par de fallacieuses apparences de solutions, cette société où les bals masquent les volcans.
Il est défendu à un pareil système d’arrêter la crise, au contraire, car plus le nationalisme va à son développement, plus il va à sa destruction.
Il n’apporte rien — sinon la condamnation à mort. « L’ordre » proclamé par la bourgeoisie, c’est, à travers le désordre actuel, l’ordre de cimetière.
Qu’en peut-il sortir ? La guerre. Et ce serait, à nouveau, les groins des masques à gaz, les trains de soldats, corbillards de vivants, les foules qui courent se faire tuer indirectement, les champs métallisés, les villages pétrifiés, et les populations asphyxiées, en cage dans les sous-sols.
Mais la guerre, c’est aussi, la révolution sociale semée à la volée dans les sillons des tranchées et les foyers des villes.
En attendant, la chance qu’a de s’implanter partout ce programme fantôme, de grossier mirage et de gouffre, c’est, outre son miroir à alouettes démocratique — qu’il a pour lui la force brutale, la force d’État. C’est que tous les gouvernements d’Europe et d’Amérique sont fascistes ou pré-fascistes.
Le capitalisme, entraîné dans la dégringolade des statistiques, dans la fuite des chiffres, effondré économiquement, est encore fort politiquement. Ces faillis sont armés jusqu’aux dents. Ils ne tiennent plus debout, mais ils ont en mains des mitrailleuses, des tanks, des bombes, des armées, ils ont des sergents de ville plantureux qu’on pourrait exposer dans les Comices Agricoles. Ils ont les tribunaux (les prisons), les journaux, les écoles, la diplomatie et les alliances agressives. Ils ont les lois, ils fabriquent la légalité comme de la monnaie. Ils font de l’inflation de légalité. Ils ont tout ce qu’il faut pour déblayer les pays de leurs hommes libres, pour spolier les faibles, pour exploiter à faux la civilisation, pour insuffler à une partie de la petite bourgeoisie la confiance nationale jusqu’à l’épilepsie, jusqu’à la mort, pour gaspiller le travail, et maintenir encore un peu l’ère de décadence et de destruction.
Donc, il y a six Parties du monde : les cinq vieilles, et la neuve. Partout, en dehors du continent soviétique, les gouvernements sont les ennemis des peuples.
Tous les peuples, parqués dans les pays, prisonniers dans les camps de concentration tracés par les frontières, se valent, et ils valent le peuple soviétique. Ils sont tous grands, tous respectables. La masse vivante est sacrée. La haine qu’on a pour les gouvernants capitalistes, qui, de loin, sont des fous, et, de près, des malfaiteurs, fait partie de ce respect pour les peuples : le grand peuple allemand, le grand peuple italien, le grand peuple anglais — et tous les autres, (disons mieux : l’unique peuple tout entier).
Les gouvernements qui partout, abusent du pouvoir qu’ils ne posséderaient plus si tout était sincèrement remis en question, pratiquent à l’intérieur, tantôt des procédés de tortionnaires, tantôt des procédés de rebouteux et d’hypnotiseurs, pour persuader aux pauvres qu’ils vont guérir.
Et ils pratiquent vis-à-vis l’un de l’autre une casuistique et un maquignonnage d’une complexité burlesque — car on ne peut faire à ciel ouvert une politique où l’accroissement de l’un dépend outrageusement de la diminution des autres.
Et cela aboutit, à travers de multiples conférences préparatoires et accords préliminaires, au renforcement des armements. Et carte blanche aux marchands de canons, qui ont la coquetterie de vendre aussi leur marchandise à l’ennemi éventuel. (Au reste, rappelons-nous, à titre d’estimable précédent, que pendant la Guerre, sur le front bulgare, les soldats français étaient écartelés par le 75 français. Pendant la guerre du Riff, des soldats français étaient abattus par des fusils français. M. Schneider, du Creusot, contrôle et exploite la fabrique tchèque d’armements la Skoda, laquelle fournit des armements à l’Allemagne et pousse Hitler à la guerre.
Dernièrement, au Congrès Radical, Jean Sennac a déclaré, sans démenti, que Schneider avait vendu 400 tanks à l’Allemagne, et que telle usine française du sud-ouest lui vend des produits entrant dans la fabrication des explosifs. Sur d’autres points, ces commandes bilatérales vont leur train, et il n’y a pas longtemps, la Chine et le Japon allaient ensemble faire une démarche près de l’un de leurs fournisseurs communs pour l’inciter à réduire les prix de ses ustensiles de mort. (La réalité s’amplifie jusqu’à la caricature).
De la Baltique à la Méditerranée, les pays sont enchaînés, dans la victoire de la ruine capitaliste.
Ça a commencé par l’Italie. Egorgement des ouvriers et des révolutionnaires, abjecte terreur, sévices et supplices pires que ceux de l’Inquisition et dont le détail violente l’imagination ; domestication générale, par les pistolets et les tanks, et la mort lente dans les prisons qui suintent la maladie.
Mussolini, haut-parleur de la réaction mondiale, s’est produit sur la scène sociale — comme pur socialiste — au moment où les capitalistes étrangers roulaient encore sur l’or et où il n’y avait qu’à trahir pour avoir les moyens de se hisser en l’air. Aujourd’hui l’assassin de Mattéotti et de milliers de ses frères, bénéficie pour la série de ses apostasies et de ses crimes, d’une pesante conspiration du silence, qui est la caractéristique et la honte de notre époque, et il a inoculé sa gloire à l’Italie.
Le chef des Chemises Noires, le roi nègre des Italiens, n’a fait que replâtrer la façade de l’Italie, mais, par ailleurs, il n’y a rien accompli de positif, si ce n’est de diminuer le nombre des Italiens. La ruine n’a cessé de se propager dans ce pays qui est aujourd’hui, économiquement, le plus misérable Etat de l’Europe après l’Allemagne. (Le fascisme, « régénérateur du monde » !). En Italie, où l’instituteur donne ses leçons en uniforme, où les ouvriers, même non-chômeurs, n’ont pas de quoi nourrir la nichée — on organise des canonisations pour essayer de faire aller le commerce. Il s’y étend un silence de muselière, et il y règne l’ordre touristique.
Il n’y a pas longtemps que le pompeux Touche-à-tout de la politique extérieure, qu’il pratique en joueur et en maître chanteur (à la fois révisionniste et anti-révisionniste — n’importe quoi, pour se mettre en avant et se faire payer cher son rôle d’arbitre) — déclarait que l’Italie est au fond de l’abîme, « qu’elle ne peut pas tomber plus bas ». « … Le médecin, la sage-femme, l’instituteur, l’ingénieur, c’est du luxe. Si on en réclame partout, ça se gâtera », déclara la Brute chamarrée qui avait jeté naguère tant de mirobolantes promesses et de bluff au nez de ses compatriotes.
L’Allemagne de la Croix Gammée (deux potences entrelacées). La classe ouvrière y résiste héroïquement, mais elle a toute sa destinée à refaire. Hitler — avec sa mèche, sa figure de voyou, sa petite moustache verticale qui lui tombe du nez, et ses lubies de moraliste saoul, fut juché au pouvoir par deux vieux drôles : Hindenburg et Clemenceau (l’absurde malfaisance du Traité de Versailles est la seule thèse qui rime à quelque chose dans l’argumentation de cet apache).
Hitler règne, par des massacres d’ouvriers, par des parades militaires et des orchestres de T.S.F., des montages de procès, des assassinats de chancelier, et les dissentiments sentimentaux de sa garde du corps (nuit du 30 juin, scandale politico-passionnel).
Il n’est, lui aussi, que le haut-parleur et l’agent du capitalisme, tout détrousseur de Juifs qu’il soit. Maintenant qu’il s’est fait sacrer supra-empereur, sa politique consiste à renier le programme national-socialiste qui l’a haussé au trône. Pour ne pas déplaire à la puissante Reichswehr, il élimine de ce programme tout ce qui, par suite d’un calembour (le mot socialiste), y avait pu donner le change et apparaître comme démocratique à une Allemagne retombée en enfance. Et il rectifiera à nouveau, au besoin, tout malentendu, à coups d’attaques nocturnes.
Il a brûlé les livres, il a brûlé le Reichstag, et il essaye de mettre le feu à l’Europe.
Il peut y arriver. La machine du haut de laquelle Hitler pérore, a certains rouages terribles. Toutes les forces, toutes les ressources, d’un grand pays à demi assommé, mais encore puissamment viable, l’encyclopédique administration allemande, la tenace confiance disciplinaire qui subsiste encore dans une partie de cette compacte population, — tout cela est mis fébrilement au service du réarmement. Il s’agit de pouvoir arriver à quelque résultat concret éclatant avant l’effondrement économique. L’ouvrier allemand, qui travaille, touche moins aujourd’hui que ne touchait le chômeur il y a quelques années. (La misère est bonne conseillère). Le Parti Communiste voit grandir son influence morale sur le scandale de l’Allemagne. Le seul recours d’Hitler, qui n’a aucun programme constructif, c’est la guerre. Dès qu’il se sentira suffisamment armé et muni d’alliances, il jettera le masque. Jamais aucun pays n’a été entraîné aussi clairement dans l’aventure.
En Autriche, le gouvernement ne veut pas du banditisme étranger, mais seulement du sien. Les ouvriers doivent être tués, officiellement, par l’armée et la police nationales, officieusement, par les Heimwehren — pas autrement. Le chancelier Dollfus, qui massacrait les travailleurs en les bénissant, le petit chancelier chrétien, le putois de la ménagerie européenne… Il a été assassiné, mais il n’en reste pas moins un assassin. Dans les Balkans, terreur blanche depuis une quinzaine d’années, comme en Italie. La Bulgarie, et sa caverne officielle, ses carnages massifs, sa forêt de potences (tant de milliers de personnes pendues, dépecées, brûlées vives, coupées en morceaux, mutilées : les ongles et les poils arrachés, les viscères écrasés, les fers rouges dans le ventre des hommes et des femmes — et bien d’autres procédés similaires dont l’emploi s’est répandu dans presque tous les pays d’Europe, et dont l’incroyable énumération est comme un cri de malédiction contre notre âge). [Les tortures, la grande presse fait semblant de les ignorer. Les exécutions, grandes fêtes. En Hongrie, aux pendaisons de révolutionnaires, se sont pâmées les grandes dames, sœurs des bourgeoises parisiennes qui avec leurs ombrelles, crevaient les yeux des Communards prisonniers qu’on emmenait. A Sofia, on a cinématographié, au milieu de 50.000 personnes, l’exécution de Friedmann, condamné, sans preuves, pour l’attentat de la Cathédrale.]
Au sommet d’un régime tout à fait pareil, Carol le roi gigolo de Roumanie, et feu Alexandre de Serbie, le bourreau et le tueur en chef des Serbes et des peuples donnés en vrac à la Serbie par l’Entente, et qui était roi parce que des malandrins avaient pénétré une nuit par escalade dans un cabinet de toilette et avaient chouriné un homme et une femme. Déjà, la Serbie avait été le fournisseur du prétexte de la guerre en 1914 : Sarajevo. Elle a tenté de recommencer en cherchant noise à la Hongrie ou plutôt au gouvernement de Horthy, régent des tortionnaires sadiques, et protecteur des faux monnayeurs, de Budapest, lequel donnait un repaire aux terroristes Oustachis payés par les nazis —, en arguant pour cela du deuil brusqué que la suppression du roi Alexandre impose à la partie de la population yougoslave qui n’avait pas été assassinée par ce bon roi. Mais l’affaire ne se présentait pas opportunément et le prétexte a été écart. Plus haut, sur la carte, c’est Pildsuski, sorte de roi Ubu que la vue d’un ouvrier affole (il fait fusiller les simples grévistes et les simples manifestants du 1 er mai), et qui a trahi si délibérément la France lorsque celle-ci, appauvrie, a cessé d’entretenir la Pologne officielle. Et ailleurs, c’est Massaryk, le sage Président, qui a autant d’amour pour la démocratie et les décrets-lois, que de haine pour la classe ouvrière. Et c’est la Suisse qui se distingue aujourd’hui non seulement parce que la Paix y villégiature, qu’elle est le siège de la Société des Nations, où l’on ne parle que de paix, comme dans les Églises on ne parle que d’amour —, mais aussi parce que la Suisse est devenue aussi férocement inhospitalière que l’Angleterre. Au reste, pendant la guerre, la Suisse avait commencé son rôle de médiateur, en servant d’intermédiaire entre les belligérants, pour le trafic des marchandises de guerre.
En France, M. Doumergue a disparu de la circulation et personne en dehors de lui-même ne le regrette. Ce n’est pas qu’il fût mal intentionné : jaloux des lauriers du vieux sabreur Hindenburg et ayant quelque peu comme lui « l’échine en forme de marchepied ». M. Doumergue, flanqué de l’aventurier Tardieu, avait la marotte des Pleins Pouvoirs, et il répandait par radio des appels doucereux à la bourse ou à la vie, et des discours diabétiques pour dévaliser les Français avant de les étrangler. Il poursuivait ferme l’engraissement du budget de la guerre et du budget de la police, et la Réforme de l’État, manigancée naguère par M. Tardieu, et parente déjà ressemblante des régimes fascistes déchaînés chez les voisins.
Mais il voulait aller trop vite. Au seuil de la dissolution des Chambres, il a dû passer la main. Son successeur continue le programme du faux grand bonhomme national, avec plus de doigté. Pareillement encadré de Tardieu et d’Herriot, devenus inséparables, il maintient les décrets-lois. S’il fait miroiter moins nettement la réforme de l’État, il place plus en évidence sur son prospectus le mot : économie nationale. Que peut un mot dans l’occurrence ? On vote contre la crise des solutions qui dureront le temps qu’on mettra à s’apercevoir qu’elles ne servent à rien. On ne combat pas la crise, on fuit devant elle. Et pas plus que tous les gouvernements qui se sont succédé, celui-ci n’apporte la lumière dans l’affaire Stavisky, trop riche en complications. A l’intérieur, il veut travailler « en silence ». Il réclame : la Confiance (laissez-vous faire), la trêve politique (respectez la politique du gouvernement), la probité publique (nous étoufferons les scandales), l’union sacrée (à la porte tous les étrangers !). En politique étrangère, reprise de l’imbroglio des rapprochements et des marchandages, et des a parte.
L’Empire Français, les colonies ? On fait à grande pompe une vaste Conférence impériale française pour tirer un honnête rendement de ces nations vaincues et punies. Ce rendement est nul. Pourtant, depuis longtemps l’indigène exproprié est condamné au labeur épuisant, au labeur mortel, dans toute l’Afrique. Il est la bête de somme, la bête militaire, la bête à impôts. Au Gabon, dont la population noire fond à vue d’œil, le nègre est obligé de vendre sa femme pour payer l’impôt. En Afrique Equatoriale et Occidentale Française, le non payement du tribut exigé par la civilisation spoliatrice entraîne le massacre et la démolition des villages. Au Maroc, les femmes sont des otages pour les impôts. En Indochine, on construit des chemins de fer à l’usage des colons, dans des conditions telles qu’on a pu dire que chaque traverse de la voie représente un cadavre d’indigène. Et si un patriote relève la tête, on abat ce bandit au nom de la Patrie.
D’autres pays, non encore officiellement fascistes, s’évertuent à le devenir par en haut.
En Espagne, le régime monarchiste a été balayé il y a quatre ans par un sursaut de colère du peuple espagnol, pour faire place, hélas, à une équipe de républicains ayant vis-à-vis de tout ce qui est tant soit peu rouge une mentalité de taureaux. Ils ont commencé par traiter les grèves à coups de feu, par décimer les ouvriers et les paysans qui leur avaient donné le pouvoir. Aujourd’hui, on noie dans le sang, avec férocité, la révolution suscitée par la fascisation éhontée du gouvernement Lerroux. Gil Robles et son Action Populaire, catholique et fasciste, est aujourd’hui l’héritier de la révolution de 1931 et le successeur du cartilagineux Alphonse XIII. La révolution de 1934, qui alla si haut et si profond dans les Asturies, fut arrêtée — victime de la faiblesse des socialistes et de la défection des anarchistes, — mais non éteinte. Elle n’est même pas désarmée. Le sol de l’Espagne tremble sous le poids des foules.
L’Angleterre officielle, c’est l’impérialisme par excellence, c’est la politique d’égoïsme et de dévoration de l’Empire Bourgeois traditionnel. La Grande-Bretagne sera la dernière forteresse mondiale de la Réaction. La terreur et la haine de l’émancipation des travailleurs et de la liberté des hommes, percent à travers l’hypocrisie sage et la prudence ecclésiastique des propos des dirigeants anglais — de ce terrible aréopage de grands despotes d’affaires qui a aplati et laminé en un clin d’œil le chef du Parti Travailliste lorsqu’il s’est avisé d’y figurer. Elles percent à travers le soi-disant libéralisme des Lloyd George et autres bonshommes du même genre.
L’impériale malhonnêteté de la Diplomatie britannique, suzeraine de l’Intelligence Service, diffère, par son imperturbable esprit de suite, de la politique à coups de tête d’un Mussolini soucieux avant tout de donner du lustre à son prestige personnel et de mettre en vue son paraphe de grand parasite de l’Italie, dans les annales contemporaines.
Sir Oswald Mosley rassemble des Chemises Noires, mais il ne semble pas que le fascisme s’installe de si tôt sous cette forme en Angleterre : d’abord parce que la masse réagit ferme, et ensuite parce que l’impérialisme régnant n’en a pas besoin pour le moment.
Dans les Indes, où le gouvernement britannique sème la civilisation du haut des avions de bombardement (ce sont, du moins, les journaux anglais qui l’affirment) et fait faire à coups de mitrailleuses et de bâtons ferrés des trouées et des ruisseaux dans les immenses multitudes toutes blanches, désarmées et passives, le freinage gandhiste a égalé un carnage. Gandhi, rêveur servile, et ennemi du progrès, a trahi 350 millions de créatures. Celui qui aurait pu faire le salut de l’Inde, n’a rien fait. Préservons-nous des messies qui veulent se faire passer pour des lanternes.
Ailleurs encore ? Le Japon, aux mains de sa caste militaire, est devenu une monstruosité avec la déformation guerrière de toute son économie. Il s’enfle et se travaille pour devenir la plus grosse armée, la plus grosse flotte, du monde. C’est le principal acheteur de munitions et de machines de guerre sur le marché mondial. Des ces pauvres soldats fanatisés, le pire est a attendre — lorsque le parti militaire se jugera prêt.
Cette clique militaire qui règne sur l’Empire japonais souffre de l’Accord de Washington qui lui a donné comme coefficient d’armement naval : 3, alors que l’Angleterre et les États-Unis ont obtenu chacun : 5. Il veut la parité et il dénonce l’accord. Mais il veut, de plus, l’Empire Oriental, c’est-à-dire qu’il prétend devenir le maître illimité du Pacifique. Il poursuit ce rêve, verbalement, en se proclamant investi de la « mission sacrée du maintien de la paix en Orient » (lui, le massacreur de la Chine), et pratiquement, en se ménageant les bonnes dispositions de l’Angleterre contre l’Union Soviétique (ce qui est tout fait) et aussi contre les États-Unis qui seront pour lui l’ennemi attitré tant qu’il n’y aura pas sur le Globe deux Océans Pacifiques.
Aux États-Unis, M. Roosevelt réunit des gens graves autour d’une table, comme on fait du spiritisme, pour que se révèlent les moyens de résoudre la quadrature du cercle de l’équilibre économique en régime capitaliste. Et il emploie des trompe-l’œil, et des trucs fascistes pour faire semblant d’y arriver. Il ne peut pas ne pas user de ces moyens, et ces moyens ne peuvent pas aboutir : Comment concevoir l’harmonisation dans l’intérêt de tous, d’une économie nationale, dès lors que celle-ci continue à être soumise à l’arbitraire et aux dictatures morcelées des gros intérêts privés ? Une société, tout comme une maison, doit se construire par la base et non pas le toit. La tentative de M. Roosevelt, qui ne peut être qu’apparente et que momentanée, signifie : commencer le bâtiment socialo-économique, par le toit. C’est de l’abstraction et de la littérature. C’est pire : puérilité ou tricherie, c’est, finalement, tout baser sur le capitalisme.
Staline l’a fort clairement expliqué, dans une conversation récente, à H. G. Wells, pour lequel le système de M. Roosevelt apparaît comme le fin du fin et la mise en pratique mirifique du « socialisme anglo-saxon » (?).
Staline apprécie « la volonté et le courage » que M. Roosevelt déploie pour « réduire au minimum la débâcle du capitalisme », mais il fait remarquer qu’il ne déracine pas l’anarchie fondamentale du capitalisme. D’ailleurs, il ne le peut pas, car l’Etat américain est, en réalité, entre les mains de la propriété privée, et M. Roosevelt est désarmé. S’il desservait effectivement les intérêts du capitalisme, il serait débarqué. Rien ne peut sortir de ces demi-mesures, qui ne font surgir que des feux d’artifice de publicité tapageuse et par lesquelles le capitalisme ne singe les méthodes socialistes que juste ce qu’il faut pour continuer à régner contre elles.
Mais il y a autre chose. Il y a les forces saines. Il y a les multitudes de paupières qui s’ouvrent sous l’effort de la lumière.
Que cette moralisation publique se hâte ! Honneur à la sincérité, mais nous touchons pourtant au moment où l’ignorance devient honteuse.
Pour la première fois, une partie notable de l’humanité s’est radicalement transformée.
Tout le monde se met à regarder du côté de l’U.R.S.S., à regarder sa différence d’avec la collection des pays à la fois perfectionnés et arriérés. Le devoir, c’est de comprendre toutes ces choses en même temps.
Si, au cours de notre aperçu d’un monde où il y a tant de souffrances fabriquées à plaisir par les parasites, nous nous laissons entraîner à la colère et à l’invective, notre excuse, ce sont les coups répétés de l’évidence, et la nécessité de jeter le cri d’alarme. Mais arrêtons-nous un moment pour réfléchir tranquillement, comme il convient à l’animal pensant, et faisons une sorte de Pari de Pascal :
Que va-t-il arriver ? Fascisme ou socialisme ? Que doit-il arriver ?
Fascisme, réaction nationaliste généralisée ? Qu’est-ce que cela signifie, puisque chaque nationalisme ne vise qu’à son propre développement envers et contre tous, et qu’il y en a environ quatre-vingts qui hérissent la terre, et que le progrès des engins tend à égaliser pour tous les moyens de destruction… Quelles unions, là-dedans, sinon des unions de haine, et des unions meurtrières de profit ? L’extermination du genre humain ne s’est jamais aussi scientifiquement dessinée que dans ces perspectives-là.
Et de l’autre côté ? La formule soviétique généralisée est-elle réalisable ? Oui, et elle est avantageuse pour tous, et c’est la seule avantageuse, et c’est la seule possible. De quelque façon qu’on s’y prenne, on ne peut pas arriver à placer un seul des malheurs publics qui sévissent sur nous, ou qui s’annoncent au-dessus de nos têtes, dans une société soviétique où tous veillent sur chacun, qui appuie tous les hommes les uns sur les autres, qui embellit et neutralise les frontières.
Au demeurant, contre le grand vieux courant de la réaction, bariolée de réclames républicaines, et où se démènent les propriétaires des choses et des hommes, les mercantis, les spéculateurs, les escrocs et les maquereaux —, ne résiste pas seulement la masse constituée de l’État des travailleurs, mais aussi, dans chaque pays, une moitié de ce pays, rebelle et rongeant son frein. Sur toute la Terre s’accentue vigoureusement un « Deuxième Pouvoir », latent, d’équité et de redressement. Il ne peut y avoir d’États durables qu’ajustés dans un arrangement international, il ne peut y avoir d’arrangement international, que socialiste. Ces forces renversantes s’accroissent. La lutte sociale prend actuellement dans nos pays la forme ample et redoutable du « front unique ». C’est-à-dire, l’union pour une action plus ou moins continue (et qui tend à devenir permanente), de tous les travailleurs de tous les partis de « gauche », et aussi des inorganisés et sans parti, et aussi des couches paysannes et de la petite et moyenne bourgeoisie (ces trois dernières formant la majorité de la population de tous les pays du monde).
Nous entrons, avec des ébranlements à grands cercles élargissants, comme le Mouvement de Lutte contre la Guerre et le Fascisme sorti du Congrès d’Amsterdam de 1932 et du Congrès de Paris (salle Pleyel) de 1933, et qui est l’âme et l’organe spécifique du front unique à l’échelle internationale, l’instrument général de coordination — dans des mouvements de masse à caractère loyalement et logiquement révolutionnaire. Il s’agit d’empêcher la guerre et de faire reculer le fascisme et la fascisation — toutes conséquences du capitalisme — par la pesée générale des exploités et des opprimés, et au moyen de la lutte contre le capitalisme lui-même. Et cela partout, à côté et au large de la bataille directe que mènent les partis politiques. (Ces partis établissent du reste entre eux des fronts uniques, comme viennent de le faire, pour commencer, les socialistes et les communistes de France, d’Autriche, d’Italie). Ainsi se crée une agitation et une mobilisation de multitudes qui menacent le vieil « ordre » imbécile et féroce.
Ce mouvement soulève les peuples vivants contre le poids mort des gouvernements, le poids mortel des profiteurs.
Il n’y a pas d’autres moyens, pour les malheureux, pour les menacés, pour les condamnés, que les moyens révolutionnaires, puisque c’est le despotisme bourgeois qui a commencé, préventivement, par la contre-révolution. Les contre-révolutionnaires ont pour eux d’avoir les armes et les services publics, et de pouvoir mentir par radio. Les révolutionnaires ont pour eux « d’avoir raison ». C’est la lutte finale, comme gronde l’hymne des foules.
Comment un de nos objectifs, dans ces débordantes offensives-défensives, ne serait-il pas la sauvegarde de l’Union Soviétique ?
Tous les cerveaux et tous les cœurs humains sont confectionnés sur le même patron. Ce que nous leur disons est très simple : Il faut que les hommes renoncent à vivre ensemble, ou qu’ils recommencent l’histoire dans un autre sens, et qu’ils se guident sur l’exemple immense, sur la lueur d’incendie et d’aurore.
Le peuple russe, le premier peuple qui se soit occupé à sauver les peuples, l’U.R.S.S., l’unique expérience socialiste, apportent une preuve réelle, une preuve bâtie ; le socialisme est faisable ici-bas.
Les résultats du socialisme sont là, les voici. Que les saltimbanques et les renards de tribune n’essayent pas de nous faire croire qu’ils sont quelque part ailleurs. Là est le pays où sous la main de deux hommes supérieurs, ont été unis « le génie pratique américain, et l’élan révolutionnaire », le pays d’intelligence et de devoir — avec son besoin de vérité, son enthousiasme et son printemps. Il fait tache sur la mappemonde pas seulement parce qu’il est neuf, mais parce qu’il est propre.
La régie socialiste soviétique est la seule qui ait créé de la prospérité, et qui ait créé des vertus civiques — qui n’ont rien à voir avec le sinistre code d’honneur des bandits à la Mussolini ou à la Stavisky qui brillent côte à côte dans toutes les capitales. La Révolution d’Octobre a vraiment apporté une purification de la moralité et de l’esprit public, alors qu’aucune réforme religieuse ou politique ne l’avait fait jusqu’ici — ni le Christianisme, ni le Protestantisme, ni les Droits de l’Homme et du Citoyen.
Au bloc universel qui s’oriente vers l’avenir, les événements montrent de plus en plus que tous les intérêts des travailleurs — ouvriers, paysans, classes moyennes, intellectuels — sont pareils, que tous les travailleurs doivent se grouper autour de la classe ouvrière. Cela ne veut pas dire que la classe ouvrière soit d’essence supérieure et jouisse d’un privilège, cela veut dire : bon ordre, à cause de son organisation, de son éclairement social, de son acquis, de la personnification logique et historique qu’elle est de l’anticapitalisme, et des lourds moyens de lutte dont disposent ceux qui ont la production dans leurs mains. Le prolétariat ouvrier est, concrètement, l’armée active. Et dans une guerre, le rôle de l’armée active n’est pas de commander à l’armée de réserve, mais de collaborer avec elle, à la plus dure place.
Les événements montrent aussi — et on ne doit pas se lasser d’épeler tout haut ces certitudes : Qu’il faut pratiquement entrer dans l’internationalisme pour sortir du chaos, car désormais l’histoire, que nous le voulions ou non, nous parle internationalement. Qu’on ne peut rien faire, même entre les frontières, qu’en agissant par-dessus les frontières. Et enfin qu’il faut rejeter le réformisme, et la combinaison avec le conglomérat opulent qui s’agrippe au pouvoir. La formule du réformisme ne répond plus à rien. Il a vraiment déposé son bilan, après avoir fait du socialisme un milieu équivoque où la classe ouvrière a marqué le pas.
Il y a deux mondes : celui du socialisme, et celui du capitalisme. Entre les deux il n’y a que le mirage monstrueux d’un troisième monde démocratique en paroles, féodal en fait.
Qu’on s’unisse sur cette vérité.
Que la jeunesse ne se laisse pas prendre au pseudo-rajeunissement dont se farde le fascisme et à toutes ses phosphorescences de moisissure.
La plus belle, et la plus importante réponse aux exigences des temps, doit justement venir de la jeunesse. Elle n’est pas faite pour apporter sa force motrice à des traditions avilissantes, ni pour essayer désespérément de faire tourner le monde de gauche à droite. Elle est faite pour faire du neuf selon la nature et selon la science. Le jeune homme, c’est le père de l’homme.
Que les Anciens Combattants, les survivants, les témoins sanglants et estropiés de la grande guerre, ceux qui se sont frappés les uns les autres sans raison sur 3.000 kilomètres de front, et ont fait, de leurs générations, la plus effroyable des hécatombes — n’acceptent pas de monter la garde autour des gouvernements de recommencement, et d’être les gendarmes de la guerre future.
Et que la moitié féminine de l’humanité comprenne aussi qu’il n’y a d’ordre et de paix qu’au bout de ces quelques hautes évidences.