Dans la période pré-révolutionnaire, dans la période de développement plus ou moins paisible, où les partis de la IIe Internationale étaient la force dominante dans le mouvement ouvrier, et où les formes parlementaires de lutte étaient considérées comme les principales, — dans ces circonstances, le Parti n’avait pas et ne pouvait pas avoir l’importance sérieuse et décisive qu’il a acquise par la suite au cours des batailles révolutionnaires ouvertes. Dans sa défense de la IIe Internationale contre les attaques dont elle est l’objet, Kautsky dit que les partis de la IIe Internationale sont un instrument de paix, et non de guerre ; que précisément pour cette raison, ils n’ont pas été à même d’entreprendre quoi que ce fût de sérieux pendant la guerre, dans la période des actions révolutionnaires du prolétariat. C’est tout à fait exact. Mais qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie que les partis de la IIe Internationale ne sont pas bons pour la lutte révolutionnaire du prolétariat ; qu’ils ne sont pas des partis de combat du prolétariat, menant les ouvriers à la conquête du pouvoir, mais un appareil électoral, approprié aux élections parlementaires et à la lutte parlementaire. Voilà ce qui explique justement le fait que, dans la période de domination des opportunistes de la IIe Internationale, l’organisation politique fondamentale du prolétariat n’était pas le parti, mais la fraction parlementaire. On sait qu’à cette époque, le parti était en fait un appendice de la fraction parlementaire et un élément destiné à la servir. Il est à peine besoin de démontrer que, dans ces conditions, avec un’ tel parti à la tête, il ne pouvait être même question de préparer le prolétariat à la révolution.
Mais la situation a radicalement changé avec l’avènement de la nouvelle période. La nouvelle période est celle des collisions ouvertes entre les classes, la période des actions révolutionnaires du prolétariat, la période de la révolution prolétarienne, et de la préparation directe des forces au renversement de l’impérialisme, à la prise du pouvoir par le prolétariat. Cette période pose devant le prolétariat des tâches nouvelles: réorganisation de l’ensemble du travail du Parti, selon un mode nouveau, révolutionnaire ; éducation des ouvriers dans l’esprit de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir ; préparation et rassemblement des réserves ; alliance avec les prolétaires des pays voisins ; établissement de liens solides avec le mouvement de libération des colonies et des pays dépendants, etc., etc. Croire que ces nouvelles tâches peuvent être accomplies avec les forces des vieux partis social-démocrates, éduqués dans les conditions paisibles du parlementarisme, c’est se vouer à un désespoir sans fond, à une défaite inévitable. Demeurer avec de telles tâches sur les bras, avec les vieux partis en tête, c’est demeurer en état de désarmement complet. Il est à peine besoin de démontrer que le prolétariat ne pouvait admettre une pareille situation.
De là, la nécessité d’un nouveau parti, d’un parti combatif, révolutionnaire, suffisamment courageux pour mener les prolétaires à la lutte pour le pouvoir, suffisamment expérimenté pour se retrouver dans les conditions complexes d’une situation révolutionnaire et suffisamment souple pour contourner les écueils de toute sorte sur le chemin conduisant au but.
Sans un tel parti, on ne saurait même songer à renverser l’impérialisme, à conquérir la dictature du prolétariat.
Ce nouveau parti, c’est le Parti du léninisme.
Quelles sont les particularités de ce nouveau parti?
1. Le Parti, détachement d’avant-garde de la classe ouvrière. Il faut que le Parti soit avant tout, le détachement d’avant-garde de la classe ouvrière. Il faut que le Parti absorbe tous les meilleurs éléments de la classe ouvrière, leur expérience, leur esprit révolutionnaire, leur dévouement infini à la cause du prolétariat. Mais pour être vraiment un détachement d’avant-garde, il faut que le Parti soit armé de la théorie révolutionnaire, de la connaissance des lois du mouvement, de la connaissance des lois de la révolution. Sinon, il n’est pas en mesure de diriger la lutte du prolétariat, de l’entraîner à sa suite. Le Parti ne peut être un parti véritable, s’il se borne à enregistrer ce qu’éprouve et pense la masse de la classe ouvrière ; s’il se traîne à la remorque du mouvement spontané ; s’il ne sait pas surmonter la routine et l’indifférence politique du mouvement spontané ; s’il ne sait pas s’élever au-dessus des intérêts momentanés du prolétariat ; s’il ne sait pas élever les masses au niveau de la compréhension des intérêts de classe du prolétariat. Il faut que le Parti se trouve en tête de la classe ouvrière ; il faut qu’il voie plus loin que la classe ouvrière ; il doit conduire le prolétariat, et non pas se traîner à la remorque du mouvement spontané. Les partis de la IIe Internationale qui prêchent le «suivisme», sont des agents de la politique bourgeoise qui condamne le prolétariat au rôle d’instrument entre les mains de la bourgeoisie. Seul un parti se considérant comme un détachement d’avant-garde du prolétariat, et capable d’élever les masses au niveau de la compréhension des intérêts de classe du prolétariat, seul un tel parti est capable de détourner la classe ouvrière de la voie du trade-unionisme et de la transformer en une force politique indépendante.
Le Parti est le chef politique de la classe ouvrière.
J’ai parlé plus haut des difficultés de la lutte de la classe ouvrière, des conditions complexes de cette lutte, j’ai parlé de la stratégie et de la tactique, des réserves et des manœuvres, de l’offensive et de la retraite. Ces conditions sont aussi complexes sinon plus, que celles de la guerre. Qui peut se reconnaître dans ces conditions? Qui peut donner une orientation juste aux millions de prolétaires? Aucune armée en guerre ne peut se passer d’un état-major expérimenté, si elle ne veut pas se vouer à la défaite. N’est-il pas clair que le prolétariat ne peut, à plus forte raison, se passer d’un tel état- major, s’il ne veut pas se donner en pâture à ses ennemis jurés? Mais où trouver cet état-major? Seul le parti révolutionnaire du prolétariat peut être cet état-major. La classe ouvrière, sans un parti révolutionnaire, est une armée sans état-major.
Le Parti est l’état-major de combat du prolétariat.
Mais le Parti ne saurait être seulement un détachement d’avant-garde. Il doit être en même temps un détachement de la classe, une partie de la classe, partie intimement liée à cette dernière par toutes les racines de son être. La distinction entre le détachement d’avant-garde et la masse restante de la classe ouvrière, entre les membres du Parti et les sans-parti ne peut disparaître tant que les classes n’auront pas disparu, tant que le prolétariat continuera à se compléter par des éléments issus d’autres classes ; tant que la classe ouvrière dans son ensemble ne pourra s’élever au niveau de l’avant-garde. Mais le Parti ne serait plus le Parti, si cette distinction devait tourner en rupture, si le Parti se repliait sur lui-même et se détachait des masses sans-parti. Il ne peut diriger la classe, s’il n’est pas lié avec les masses. de sans-parti, s’il n’y a pas contact entre lui et les masses sans-parti ; si celles-ci n’acceptent pas sa direction, si le Parti ne jouit pas dans les masses d’un crédit moral et politique.
Récemment, deux cent mille nouveaux adhérents ouvriers ont été admis dans notre Parti. Fait remarquable: tous ces gens sont moins venus d’eux-mêmes au Parti, qu’ils n’y ont été envoyés par toute la masse des sans-parti, qui a participé activement à l’admission de nouveaux membres, lesquels n’étaient pas admis sans son approbation. Ce fait montre que la grande masse des ouvriers sans-parti considère notre Parti comme son parti à elle, comme un parti qui lui est proche et cher, au développement et à la consolidation duquel elle a un intérêt vital, à la direction duquel elle confie volontairement son sort. Il est à peine besoin de démontrer que sans ces liens moraux insaisissables, qui relient le Parti aux masses sans-parti, il n’aurait pu devenir la force décisive de sa classe.
Le Parti est partie indissoluble de la classe ouvrière.
Nous sommes, dit Lénine, le Parti de la classe et c’est pourquoi presque toute la classe (et en temps de guerre, à l’époque de la guerre civile, absolument toute la classe) doit agir sous la direction de notre Parti, doit se serrer le plus possible autour de lui. Mais ce serait du manilovisme* et du «suivisme» que de penser que sous le capitalisme, presque toute la classe ou la classe tout entière sera un jour en état de s’élever au point d’acquérir le degré de conscience et d’activité de son détachement d’avant-garde, de son Parti social- démocrate. Sous le capitalisme, même l’organisation syndicale (plus primitive, plus accessible à la conscience des couches non développées) n’est pas en mesure d’englober presque toute, ou toute la classe ouvrière, et nul social-démocrate de bon sens n’en a jamais douté. Mais ce ne serait que se leurrer soi-même, fermer les yeux sur l’immensité de nos tâches, restreindre ces tâches, que d’oublier la différence entre le détachement d’avant- garde et toutes les masses qui gravitent autour de lui ; que d’oublier l’obligation constante pour le détachement d’avant-garde de hausser des couches de plus en plus vastes à ce niveau avancé.
Un pas en avant, deux pas en arrière. t. VI, pp. 205-206.
2. Le Parti, détachement organisé de la classe ouvrière. Le Parti n’est pas seulement le détachement d’avant-garde de la classe ouvrière. S’il veut réellement diriger la lutte de celle-ci, il doit être aussi le détachement organisé de sa classe. Les tâches du Parti, dans les conditions du capitalisme, sont extrêmement étendues et variées. Le Parti doit diriger la lutte du prolétariat dans les conditions extrêmement difficiles du développement intérieur et extérieur ; il doit mener le prolétariat à l’offensive lorsque la situation impose cette offensive ; il doit soustraire le prolétariat aux coups d’un adversaire puissant, lorsque la situation impose la retraite ; il doit inculquer à la masse innombrable des ouvriers sans-parti et inorganisés l’esprit de discipline et de méthode dans la lutte, l’esprit d’organisation et la fermeté. Mais le Parti ne peut s’acquitter de ces tâches que s’il est lui-même la personnification de la discipline et de l’esprit d’organisation ; que s’il est lui-même un détachement organisé du prolétariat. Sans ces conditions, il ne saurait même être question d’une direction véritable des masses immenses du prolétariat par le Parti.
Le Parti est le détachement organisé de la classe ouvrière.
L’idée que le Parti est un tout organisé a été fixée dans la formule fameuse que Lénine a donnée du premier point des statuts de notre Parti, où celui-ci est considéré comme la somme de ses organisations et ses membres comme ceux d’une des organisations du Parti. Les menchéviks qui, déjà en 1903, se prononçaient contre cette formule, proposaient de la remplacer par un «système» d’auto-admission au Parti, «système» élargissant la «qualité» de membre du Parti, à tout «professeur» ou «collégien», à tout «sympathisant» ou «gréviste» soutenant d’une façon ou de l’autre le Parti, mais n’adhérant ni ne voulant adhérer à aucune de ses organisations. Il est à peine besoin de démontrer que ce «système» original, s’il s’était implanté dans notre Parti, aurait forcément abouti à le remplir à l’excès de professeurs et de collégiens, et à le faire dégénérer en une «formation» imprécise, amorphe, désorganisée, perdue dans un océan de «sympathisants», effaçant toute démarcation entre le Parti et la classe, renversant la tâche du Parti qui est d’élever les masses inorganisées au niveau du détachement d’avant-garde. Inutile de dire qu’avec un tel «système» opportuniste, notre Parti n’aurait pu accomplir son rôle de noyau organisateur de la classe ouvrière dans notre révolution.
Du point de vue du camarade Martov, dit Lénine, les limites du Parti restent absolument indéterminées, car «chaque gréviste» peut se déclarer membre du Parti». Quelle est l’utilité de cette imprécision? La large diffusion d’une «appellation». Elle a ceci de nuisible qu’elle comporte l’idée désorganisatrice de la confusion de la classe avec le Parti. (Ibidem, p. 211.)
Mais le Parti n’est pas seulement la somme de ses organisations. Il est en même temps le système unique de ces organisations, leur union formelle en un tout comportant des organismes supérieurs et inférieurs de direction, la soumission de la minorité à la majorité, avec des décisions pratiques obligatoires pour tous les membres du Parti. Sans ces conditions, le Parti ne peut former un tout unique et organisé, capable d’assurer la direction méthodique et organisée de la lutte de la classe ouvrière.
Auparavant, dit Lénine, notre Parti n’était pas un tout formellement organisé, mais seulement une somme de groupes particuliers, ce qui fait qu’entre ces groupes il ne pouvait y avoir d’autres rapports que l’action idéologique. Maintenant nous sommes devenus un parti organisé ; et cela signifie la création d’une autorité, la transformation du prestige des idées en prestige de l’autorité, la subordination des instances inférieures aux instances supérieures du Parti.
Ibidem, p. 291.
Le principe de la soumission de la minorité à la majorité, le principe de la direction du travail du Parti par un organisme central provoque souvent des attaques de la part des éléments instables, — des accusations de «bureaucratisme», de «formalisme», etc. Il est à peine besoin de démontrer que sans l’application de ces principes, le travail méthodique du Parti, comme un tout, et la direction de la lutte de la classe ouvrière seraient impossibles. Le léninisme, en matière d’organisation, est l’application stricte de ces principes. Lénine qualifie la lutte contre ces principes, de «nihilisme russe» et d’«anarchisme de grand seigneur», digne d’être tourné en ridicule et rejeté.
Voici ce que Lénine dit au sujet de ces éléments instables dans son livre Un pas en avant :
Cet anarchisme de grand seigneur est particulièrement propre au nihiliste russe. L’organisation du Parti lui semble une monstrueuse «fabrique», la soumission de la partie au tout et de la minorité à la majorité lui apparaît comme un «asservissement»…, la division du travail sous la direction d’un centre lui fait pousser des clameurs tragi-comiques contre la transformation des hommes en «rouages et ressorts»… ; le seul rappel des statuts d’organisation du Parti provoque chez lui une grimace de mépris, et la remarque… dédaigneuse que l’on pourrait se passer entièrement de statuts…
Il est clair, je pense, que ces protestations contre le fameux bureaucratisme servent simplement à masquer le mécontentement de la composition des organismes centraux et ne sont qu’une feuille de vigne… Tu es un bureaucrate parce que tu as été nommé par le congrès non pas selon ma volonté, mais contre elle ; tu es un formaliste parce que tu t’appuies sur les décisions formelles du congrès et non sur mon consentement ; tu agis d’une façon grossièrement mécanique, parce que tu te réfères à la majorité «mécanique» du congrès du Parti, et ne tiens pas compte de mon désir d’être coopté ; tu es un autocrate parce que tu ne veux pas remettre le pouvoir aux mains du vieux groupe de braves compagnons.
T. VI, pp. 310 et 287.
3. Le Parti, forme suprême de l’organisation de classe du prolétariat. Le Parti est le détachement organisé de la classe ouvrière. Mais il n’est pas l’organisation unique de la classe ouvrière. Le prolétariat possède encore toute une série d’autres organisations, sans lesquelles il ne peut lutter avec succès contre le Capital: syndicats, coopératives, organisations d’usine, fractions parlementaires, unions de femmes sans-parti, presse, organisations culturelles et éducatives, unions des jeunesses, organisations révolutionnaires de combat (pendant les actions révolutionnaires déclarées), Soviets de députés comme forme d’organisation d’Etat (si le prolétariat est au pouvoir), etc.
L’énorme majorité de ces organisations sont des organisations sans-parti ; et seulement quelques-unes d’entre elles sont directement rattachées au Parti, ou en sont une ramification. Toutes ces organisations sont, dans certaines conditions, absolument nécessaires à la classe ouvrière, car sans elles il est impossible de raffermir les positions de classe du prolétariat dans les diverses sphères de la lutte, impossible d’aguerrir le prolétariat comme une force appelée à remplacer l’ordre bourgeois par l’ordre socialiste. Mais comment réaliser l’unité de direction, étant donné le grand nombre de ces organisations? Où est la garantie que leur multiplicité n’entraînera pas des incohérences dans la direction ? Ces organisations, dira-t-on, accomplissent leur travail chacune dans leur sphère spéciale et, par conséquent, ne peuvent se gêner les unes les autres. Cela est vrai, évidemment. Mais il est vrai aussi que toutes ces organisations doivent mener leur action dans un sens unique, puisqu’elles servent une seule classe, la classe des prolétaires. On se demande: qui détermine cette ligne, cette direction générale que toutes les organisations doivent suivre dans leur travail ? Quelle est l’organisation centrale qui, parce que pourvue de l’expérience nécessaire, est non seulement capable d’élaborer cette ligne générale, mais encore a la possibilité, parce que pourvue d’une autorité suffisante à cet effet, d’inciter toutes ces organisations à mettre cette ligne en pratique, afin d’obtenir l’unité de direction et d’exclure la possibilité des à-coups ?
Cette organisation, c’est le Parti du prolétariat.
Le Parti dispose, pour cela, de toutes les données nécessaires, premièrement, parce que le Parti est le point de ralliement des meilleurs éléments de la classe ouvrière, qui sont liés directement aux organisations sans-parti du prolétariat, et qui très fréquemment les dirigent ; deuxièmement, parce qu’étant le point de ralliement de l’élite de la classe ouvrière, le Parti est la meilleure école pour la formation de leaders de la classe ouvrière, capables de diriger toutes les formes d’organisation de leur classe ; troisièmement, parce qu’étant la meilleure école pour la formation de leaders de la classe ouvrière, le Parti est, par son expérience et son autorité, la seule organisation capable de centraliser la direction de la lutte du prolétariat, et de faire ainsi des organisations sansparti les plus diverses de la classe ouvrière, les organismes auxiliaires et les courroies de transmission reliant le Parti à la classe.
Le Parti est la forme suprême d’organisation de classe du prolétariat.
Cela ne veut point dire, assurément, que les organisations sans-parti, syndicats, coopératives, etc., doivent être formellement subordonnées à la direction du Parti. Il faut simplement que les membres du Parti, adhérant à ces organisations où ils jouissent d’une influence incontestable, emploient tous les moyens de persuasion pour que les organisations sans-parti se rapprochent, dans leur travail, du Parti du prolétariat, et en acceptent de plein gré la direction politique.
Voilà pourquoi Lénine dit que le Parti est «la forme suprême de l’union de classe des prolétaires», dont la direction, politique doit s’étendre à toutes les autres formes d’organisation du prolétariat. (La Maladie infantile, t. XXV, p. 194.)
Voilà pourquoi la théorie opportuniste de l’«indépendance» et de la «neutralité» des organisations sans-parti, théorie qui multiplie le nombre des parlementaires indépendants et des publicistes détachés du Parti, des syndicalistes bornés et des coopérateurs embourgeoisés, est absolument incompatible avec la théorie et la pratique du léninisme.
4. Le Parti, instrument de la dictature du prolétariat. Le Parti est la forme suprême d’organisation du prolétariat. Il est le facteur essentiel de direction au sein de la classe des prolétaires et parmi les organisations de cette classe. Mais il ne s’ensuit nullement qu’on puisse considérer le Parti comme une fin en soi, comme une force se suffisant à elle-même. Le Parti n’est pas seulement la forme suprême de l’union de classe des prolétaires, — il est en même temps, entre les mains du prolétariat, un instrument pour la conquête de la dictature, lorsqu’elle n’est pas encore conquise ; pour la consolidation et l’extension de la dictature, lorsqu’elle est déjà conquise. Le Parti n’aurait pu élever si haut son importance, et il n’aurait pas prévalu sur toutes les autres formes d’organisation du prolétariat si celui-ci n’avait pas été placé devant la question du pouvoir, si les conditions créées par l’impérialisme, les guerres inévitables, l’existence de la crise n’eussent exigé la concentration de toutes les forces du prolétariat sur un seul point, le rassemblement de tous les fils du mouvement révolutionnaire en un seul endroit, afin de renverser la bourgeoisie et de conquérir la dictature du prolétariat. Le Parti est nécessaire au prolétariat avant tout comme état-major de combat, indispensable pour s’emparer victorieusement du pouvoir. Il est à peine besoin de démontrer que sans un parti capable de rassembler autour de lui les organisations de masse du prolétariat et de centraliser en cours de lutte la direction de l’ensemble du mouvement, le prolétariat n’aurait pu réaliser en Russie sa dictature révolutionnaire.
Mais le Parti n’est pas seulement nécessaire au prolétariat pour la conquête de la dictature; il est encore plus nécessaire pour maintenir la dictature, la consolider et l’étendre, afin d’assurer la victoire complète du socialisme.
Il est certain, dit Lénine, que presque tout le monde voit aujourd’hui que les bolchéviks ne se seraient pas maintenus au pouvoir, je ne dis pas deux années et demie, mais pas même deux mois et demi, sans la discipline la plus rigoureuse, sans la véritable discipline de fer dans notre Parti, sans l’appui total et indéfectible accordé à ce dernier par toute la masse de la classe ouvrière, c’est-à-dire par tout ce qu’elle possède de pensant, d’honnête, de dévoué jusqu’à l’abnégation, d’influent, d’apte à conduire derrière soi ou à entraîner les couches arriérées.
Ibidem, p. 173.
Mais, que signifie «maintenir» et «étendre» la dictature ? C’est inculquer aux millions de prolétaires l’esprit de discipline et d’organisation ; c’est créer dans les masses prolétariennes la cohésion et un rempart contre l’influence corrosive de l’élément petit-bourgeois et des habitudes petites-bourgeoises ; c’est renforcer le travail d’organisation des prolétaires en vue de rééduquer et de transformer les couches petites-bourgeoises ; c’est aider les masses prolétariennes à faire leur éducation pour devenir une force capable de supprimer les classes et de préparer les conditions nécessaires à l’organisation de la production socialiste. Or, tout cela est impossible à réaliser sans un parti, fort par sa cohésion et sa discipline.
La dictature du prolétariat, dit Lénine, est une lutte opiniâtre, sanglante et non sanglante, violente et pacifique, militaire et économique, pédagogique et administrative, contre les forces et les traditions de la vieille société. La force de l’habitude chez les millions et les dizaines de millions d’hommes est la force la plus terrible. Sans un parti de fer trempé dans la lutte, sans un parti jouissant de la confiance de tout ce qu’il y a d’honnête dans la classe en question, sans un parti sachant observer l’état d’esprit de la masse et influer sur lui, il est impossible de mener cette lutte avec succès.
Ibidem, p. 190.
Le prolétariat a besoin du Parti pour conquérir et maintenir sa dictature. Le Parti est l’instrument de la dictature du prolétariat.
Il s’ensuit donc que la disparition des classes et le dépérissement de la dictature du prolétariat doivent aussi entraîner le dépérissement du Parti.
5. Le Parti, unité de volonté incompatible avec l’existence de fractions. La conquête et le maintien de la dictature du prolétariat sont impossibles sans un parti fort par sa cohésion et sa discipline de fer. Mais la discipline de fer dans le Parti ne saurait se concevoir sans l’unité de volonté, sans l’unité d’action complète et absolue de tous les membres du Parti. Cela ne signifie évidemment pas que de ce fait la possibilité d’une lutte d’opinions au sein du Parti soit exclue. Au contraire, la discipline de fer n’exclut pas, mais présuppose la critique et la lutte d’opinions au sein du Parti. Cela ne signifie pas, à plus forte raison, que la discipline doive être «aveugle». Au contraire, la discipline de fer n’exclut pas, mais présuppose la soumission consciente et librement consentie, car seule une discipline consciente peut être réellement une discipline de fer. Mais une fois la lutte d’opinions terminée, la critique épuisée et la décision prise, l’unité de volonté et l’unité d’action de tous les membres du Parti sont la condition indispensable sans laquelle on ne saurait concevoir ni parti uni, ni discipline de fer dans le Parti.
En cette époque de guerre civile aiguë, dit Lénine, le Parti communiste ne pourra remplir son devoir que s’il est organisé de la façon la plus centralisée ; que s’il est régi par une discipline de fer touchant de près à la discipline militaire, et que si le centre du Parti est un organisme jouissant d’une haute autorité, investi de pouvoirs étendus et bénéficiant de la confiance générale des membres du Parti.
«Conditions d’admission des partis dans l’Internationale communiste», t. XXV, pp. 282-283.
Voilà ce qu’il en est de la discipline du Parti, dans les conditions de lutte précédant la conquête de la dictature.
Il faut en dire autant, mais dans une plus grande mesure encore, de la discipline dans le Parti, après la conquête de la dictature.
Celui qui affaiblit tant soit peu, dit Lénine, la discipline de fer dans le parti du prolétariat (surtout pendant sa dictature) aide en réalité la bourgeoisie contre le prolétariat.
La Maladie infantile, t. XXV, p.190.
Il s’ensuit donc que l’existence de fractions est incompatible avec l’unité du Parti et avec sa discipline de fer. Il est à peine besoin de démontrer que l’existence de fractions entraîne la formation de plusieurs centres ; or l’existence de plusieurs centres signifie l’absence d’un centre commun dans le Parti, la division de la volonté unique, le relâchement et la désagrégation de la discipline, le relâchement et la désagrégation de la dictature. Certes, les partis de la IIe Internationale qui combattent la dictature du prolétariat et ne veulent pas mener les prolétaires à la conquête du pouvoir, peuvent se permettre ce libéralisme qu’est la liberté des fractions, car ils n’ont aucunement besoin d’une discipline de fer. Mais les partis de l’Internationale communiste, organisant leur travail sur la base de cette tâche: conquête et consolidation de la dictature du prolétariat, — ne peuvent accepter ni «libéralisme», ni liberté de fractions.
Le Parti, c’est l’unité de volonté excluant tout fractionnisme et toute division du pouvoir dans le Parti.
C’est pourquoi Lénine montre le «danger du fractionnisme du point de vue de l’unité du Parti et de la réalisation de l’unité de volonté de l’avant-garde du prolétariat, condition essentielle du succès de la dictature du prolétariat», idée qui a été fixée dans une résolution spéciale adoptée au Xe congrès de notre Parti: «Sur l’unité du Parti».
C’est pourquoi Lénine réclame la «suppression complète de tout fractionnisme» et la «dissolution immédiate, de tous les groupes sans exception qui se sont constitués sur telle ou telle plate-forme», sous peine «d’exclusion certaine et immédiate du Parti».
6. Le Parti se fortifie en s’épurant des éléments opportunistes. Les éléments opportunistes du Parti, voilà la source du fractionnisme. Le prolétariat n’est pas une classe fermée. Sans cesse on voit affluer vers lui des éléments d’origine paysanne, petite-bourgeoise, des intellectuels prolétarisés par le développement du capitalisme. En même temps s’opère un processus de décomposition des couches supérieures du prolétariat, principalement parmi les dirigeants syndicaux et les parlementaires que la bourgeoisie entretient avec le surprofit tiré des colonies. «Cette couche d’ouvriers embourgeoisés, dit Lénine, ou d’«aristocratie ouvrière», entièrement petits bourgeois par leur genre de vie, par leurs salaires, par toute leur conception du monde, est le principal soutien de la IIe Internationale, et de nos jours le principal soutien social (non militaire) de la bourgeoisie. Car ce sont de véritables agents de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier, des commis ouvriers de la classe des capitalistes…, de véritables propagateurs du réformisme et du chauvinisme.» (L’Impérialisme, t. XIX, p. 77.)
Tous ces groupes petits-bourgeois pénètrent d’une façon ou de l’autre dans le Parti ; ils y apportent l’esprit d’hésitation et d’opportunisme, l’esprit de démoralisation et d’incertitude. Ce sont eux principalement qui représentent la source du fractionnisme et de la désagrégation, la source de désorganisation du Parti qu’ils sapent du dedans. Faire la guerre à l’impérialisme en ayant de tels «alliés» à l’arrière, c’est s’exposer à essuyer le feu de deux côtés, du côté du front et de l’arrière. Aussi la lutte sans merci contre de tels éléments et leur expulsion du Parti sont-elles la condition préalable du succès de la lutte contre l’impérialisme.
La théorie selon laquelle on «peut venir à bout» des éléments opportunistes par une lutte idéologique au sein du parti, selon laquelle on doit «surmonter» ces éléments dans le cadre d’un parti unique, est une théorie pourrie et dangereuse, qui menace de vouer le parti à la paralysie et à un malaise chronique ; elle menace de donner le parti en pâture à l’opportunisme ; elle menace de laisser le prolétariat sans parti révolutionnaire ; elle menace de priver le prolétariat de son arme principale dans la lutte contre l’impérialisme. Notre Parti n’aurait pas pu s’engager sur la grande route, il n’aurait pas pu prendre le pouvoir et organiser la dictature du prolétariat, il n’aurait pas pu sortir vainqueur de la guerre civile, s’il avait eu dans ses rangs des Martov et des Dan, des Potressov et des Axelrod. Si notre Parti a réussi à constituer son unité intérieure et la cohésion sans précédent qui règne dans ses rangs, c’est avant tout parce qu’il a su se purifier à temps de la souillure de l’opportunisme, parce qu’il a su chasser du Parti les liquidateurs et les menchéviks. La voie du développement et du renforcement des partis prolétariens passe par leur épuration des opportunistes et des réformistes, des social- impérialistes et des social-chauvins, des social-patriotes et des social-pacifistes.
Le Parti se fortifie en s’épurant des éléments opportunistes.
Si l’on compte dans ses rangs des réformistes, des menchéviks, dit Lénine, on ne saurait faire triompher la révolution prolétarienne, on ne saurait la sauvegarder. C’est un principe évident. L’expérience de la Russie et de la Hongrie l’a confirmé nettement… En Russie, maintes fois se sont présentées des situations difficiles dans lesquelles le régime soviétique eût certainement été renversé, si les menchéviks, les réformistes, les démocrates petits-bourgeois étaient demeurés dans notre Parti… en Italie où, de l’avis général, on s’achemine vers des batailles décisives du prolétariat contre la bourgeoisie, pour la conquête du pouvoir d’Etat. En un pareil moment, il n’est pas seulement d’une nécessité absolue d’exclure du Parti les menchéviks, les réformistes, les turatistes, il peut même être utile d’exclure d’excellents communistes, susceptibles d’hésiter et hésitant dans le sens de l’«unité» avec les réformistes, de les écarter de tous les postes importants… A la veille de la révolution et dans les moments de la lutte la plus acharnée pour sa victoire, les moindres hésitations au sein du Parti peuvent tout perdre, faire échouer la révolution, arracher le pouvoir des mains du prolétariat, ce pouvoir n’étant pas encore solide, les attaques qu’il subit étant encore trop fortes. Si, dans un tel moment, les chefs hésitants se retirent, cela n’affaiblit pas, mais renforce et le Parti, et le mouvement ouvrier, et la révolution.
«Les discours hypocrites sur la liberté», t. XXV, pp. 462, 463, 464.