Notre ami Weston fait sien le proverbe latin: repetitio est mater studiorum, c’est-à-dire: la répétition est la mère de l’étude; c’est pourquoi il reprend son dogme primitif, sous une autre forme, à savoir que le resserrement des moyens de circulation monétaire causé par l’élévation des salaires amènerait une diminution du capital, etc. Comme j’ai déjà démontré la fausseté de sa théorie périmée des moyens de circulation monétaire, je considère comme tout à fait inutile de m’arrêter aux conséquences fantaisistes, qui dans son imagination résultent des avatars imaginaires de la circulation monétaire. Je vais donc immédiatement ramener à sa forme théorique la plus simple son dogme qu’il reproduit sous des formes si variées, mais qui reste toujours le même.
Une seule remarque montre de toute évidence l’absence d’esprit critique avec laquelle il traite son sujet. Il se dresse contre l’augmentation des salaires ou contre les hauts salaires qui en résultent. Mais dans ce cas, je lui demande: Qu’est-ce que de hauts salaires et qu’est-ce que de bas salaires ? Pourquoi considère-t-on, par exemple, 5 shillings par semaine comme un bas salaire et 20 shillings par semaine comme un salaire élevé ? Si 5 est bas par rapport à 20, 20 est encore plus bas par rapport à 200. Si quelqu’un fait une conférence sur le thermomètre, il ne nous apprendra rien en se mettant à déclamer sur les degrés inférieurs et les degrés supérieurs. Il faudra qu’il m’explique tout d’abord comment on détermine le point de congélation et le point d’ébullition de l’eau, et qu’il démontre que ces points de comparaison sont fixés par des lois naturelles et non par le caprice des marchands ou des fabricants de thermomètres. Or, en ce qui concerne les salaires et les profits, le citoyen Weston non seulement a négligé de déduire des lois économiques ces points fixes, mais il n’a même pas ressenti la nécessité de les chercher. Il s’est contenté d’adopter les termes courants de haut et de bas, comme s’il signifiaient quelque chose de fixe, alors qu’il est tout à fait évident que l’on ne peut qualifier des salaires de hauts ou de bas que comparativement à un étalon d’après lequel on mesure leur grandeur.
Il sera incapable de me dire pourquoi on paie une certaine somme d’argent pour une certaine quantité de travail. S’il me répondait: “La chose est établie par la loi de l’offre et de la demande”, je lui demanderais par quelle loi l’offre et la demande sont réglées elles-mêmes. Et une telle réponse le mettrait aussitôt hors de combat. Les rapports entre l’offre et la demande de travail sont soumis à des modifications constantes et avec elles se modifient les prix du travail sur le marché. Si la demande dépasse l’offre, les salaires montent; Si l’offre l’emporte sur la demande, les salaires baissent, bien qu’il soit nécessaire, en pareille circonstance, d’éprouver l’état réel de la demande et de l’offre, par exemple, par une grève ou par toute autre méthode. Si vous considérez l’offre et la demande comme la loi qui règle les salaire, il serait aussi puéril qu’inutile de déclamer contre l’élévation des salaires, car d’après la loi suprême que vous invoquez, l’augmentation périodique des salaires est aussi nécessaire et aussi justifiée que leur baisse périodique. Mais si vous ne considérez pas l’offre et la demande comme la loi régulatrice des salaires, je reprends ma question: “Pourquoi paie-t-on une certaine somme d’argent pour une certaine quantité de travail ?”
Mais examinons la question d’un point de vue plus large. Vous seriez tout à fait dans l’erreur si vous admettiez que la valeur du travail ou de toute autre marchandise est, en dernière analyse, déterminée par l’offre et la demande. L’offre et la demande ne règlent pas autre chose que les fluctuations momentanées des prix du marché. Elles vous expliqueront pourquoi le prix du marché pour une marchandise s’élève au-dessus ou descend au-dessous de sa valeur, mais elles ne peuvent jamais expliquer cette valeur elle-même. Supposons que l’offre et la demande s’équilibrent ou, comme disent les économistes, se couvrent réciproquement. Eh bien! au moment même où ces forces antagonistes sont d’égale puissance, elles s’annihilent réciproquement et cessent d’agir dans un sens ou dans un autre. Au moment où l’offre et la demande s’équilibrent et par conséquent cessent d’agir, le prix du marché pour une marchandise coïncide avec sa valeur réelle, avec le prix fondamental autour duquel oscille son prix sur le marché. Lorsque nous recherchons la nature de cette valeur, nous n’avons pas à nous préoccuper des effets passagers de l’offre et de la demande sur les prix du marché. Cela est vrai pour les salaires comme pour le prix de toutes les autres marchandises.