Dans les chapitres précédents, nous avons examiné comment se manifeste la contradiction fondamentale du capitalisme et comment elle va toujours en s’aggravant. Nous avons vu comment croît l’exploitation capitaliste et comment, dans le procès de l’accumulation du capital, s’aggrave la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat ; comment, en résultat de la croissance de la composition organique du capital, baisse le taux moyen du profit et comment cette baisse force les capitalistes à développer encore plus les forces productives et à augmenter l’exploitation du prolétariat, c’est-à-dire à aggraver encore plus les contradictions entre la production sociale et l’appropriation capitaliste. Enfin, nous avons vu comment, dans les crises, la contradiction fondamentale du capitalisme s’exprime sous la forme du choc de deux forces hostiles.
Le capitalisme ne trouve pas et ne peut trouver d’issue à sa contradiction fondamentale et il se développe à l’intérieur de celle-ci. La contradiction ente la production sociale et l’appropriation capitaliste constitue la substance même du capitalisme. Rappelons-nous comment est apparu le capitalisme. Il a transformé la production individuelle en production sociale, mais il n’a pas aboli la forme privée de l’appropriation qui correspond à a production individuelle.
Moyens de production et production sont devenus essentiellement sociaux ; mais on les assujettit à une forme d’appropriation qui présuppose la production privée d’individus, dans laquelle donc chacun possède et porte au marché son propre produit. On assujettit le mode de production à cette forme d’appropriation bien qu’il en supprime la condition préalable.
Engels, Anti-Dühring, p. 310.
Cette contradiction, c’est-à-dire la subordination de la production sociale à l’appropriation individuelle « confère au nouveau mode de production son caractère capitaliste ». (Ibid.)
… l’appropriation par des particuliers du produit du travail social organisé par l’économie marchande, voilà ce qui constitue l’essence du capitalisme.
Lénine : Œuvres, t. 1, p. 237.
De tout cela il ressort que le développement même du capitalisme n’est rien d’autre que le développement de la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste. Cela signifie que la production devient de plus en plus sociale et, partant, de plus en plus incompatible avec l’appropriation capitaliste. Mais le capitalisme peut-il se développer à l’infini, c’est-à-dire, peut-il se mouvoir éternellement dans cette contradiction qui s’aggrave de plus en plus ? Non, il ne le peut pas. Lorsque la contradiction fondamentale du capitalisme aboutit au choc de deux forces hostiles (la crise de surproduction), le capitalisme la surmonte chaque fois par des moyens tels qu’ils conduisent à une aggravation encore plus grande de cette contradiction. Par conséquent, il doit arriver un moment où les forces productives sociales commenceront à se détruire et à se décomposer sous la pression de l’appropriation capitaliste. La domination de cette dernière doit être abolie pour que les forces productives sociales puissent continuer à se développer.
Rappelons ce que dit Marx de la contradiction entre les forces productives et les rapports de production :
À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale.
Contribution à la critique de l’économie politique, préface, Éditions sociales, Paris, 1977, p. 2-3.
Lorsque les rapports de production capitalistes ont développé les forces productives à tel point qu’ils en sont devenus des entraves se produit la révolution sociale du prolétariat. Le prolétariat est une classe qui souffre plus que toute autre de l’existence du capitalisme, la classe qui personnifie la production sociale. En même temps que se développe l’accumulation du capital, sa concentration et sa centralisation,
… s’accroît le poids de la misère, de l’oppression, de la servitude, de la dégénérescence, de l’exploitation, mais aussi la colère d’une classe ouvrière en constante augmentation, formée, unifiée, et organisée par le mécanisme même du procès de production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave au mode de production qui a mûri en même temps que lui et sous sa domination. La centralisation des moyens de production et la socialisation du travail atteignent un point où elles deviennent incompatibles avec leur enveloppe capitaliste. On la fait sauter. L’heure de la propriété privée capitaliste a sonné. On exproprie les expropriateurs.
Marx, Le Capital, Livre I, P.U.F., Paris, 2009, p. 856.
Marx a prouvé scientifiquement la nécessité et l’inévitabilité de la révolution prolétarienne, l’inévitabilité historique de la victoire des forces productives sociales sur les rapports de production capitaliste et il a tracé les grandes lignes de la voie qui conduit le prolétariat à la victoire. Mais à l’époque de Marx, la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste n’avait pas encore atteint son plus haut degré de développement.
C’est seulement à la fin du 19e siècle et au commencement du 20e que le capitalisme est entré dans le dernier stade de son développement. Les rapports de production capitaliste, de formes de développement des forces productives, se sont transformés en leur entrave et empêchent leur développement ultérieur. D’autre part, l’oppression du prolétariat a pris de telles dimensions et de telles formes que le renversement du capitalisme est devenu une tâche historique urgente.
Ce dernier stade du capitalisme, l’impérialisme, ne pouvait être étudié par Marx et Engels. L’analyse de l’essence de l’impérialisme comme un stade particulier, le dernier stade, le stade suprême du capitalisme, comme une prémisse de la révolution prolétarienne, appartient à Lénine qui, par sa théorie de l’impérialisme, a développé la doctrine de Marx et d’Engels et, sur cette base, a élaboré la théorie de la révolution prolétarienne.
Lénine a montré que l’impérialisme n’est pas un phénomène accidentel, que les lois fondamentales du développement du capitalisme conduisent inévitablement à la transformation du capitalisme en impérialisme :
L’impérialisme a surgi comme le développement et la continuation directe des propriétés essentielles du capitalisme en général.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 286.
La loi de la concentration a eu une importance décisive dans le procès de la transformation du capitalisme en impérialisme.
1. La concentration et le monopole
Le monopole naît de la concentration
Comme cela a déjà été montré dans les chapitres précédents, le développement du capitalisme se poursuit grâce à la rapide concentration de la production. Les données suivantes montrent le degré atteint par la concentration au début du 20e siècle. En Allemagne, les entreprises comptant plus de 50 ouvriers formaient, en 1907, 0,9 % de l’ensemble des entreprises et occupaient 37 % de tous les ouvriers de l’industrie. En 1925, ces entreprises formaient 1,2 % du total des entreprises et occupaient 48 % de tous les ouvriers industriels. Aux États-Unis, le nombre des entreprises dont la production annuelle dépasse 1 million de dollars était, en 1909, 1,1 % de l’ensemble des entreprises industrielles et elles occupaient 30,5 % de tous les ouvriers, leur production était de 43,8 % de toute la production industrielle. En 1929, ces entreprises formaient 5,6 % de toutes les entreprises industrielles, elles occupaient 58 % de l’ensemble des ouvriers de l’industrie et leur production se montait à 69,3 % de toute la production industrielle.
Lorsqu’un petit nombre d’entreprises concentrent chez elles, comme, par exemple, aux États-Unis, plus de la moitié de tous les ouvriers et les deux tiers de toute la production, cela signifie que nous avons affaire à des entreprises gigantesques qui occupent une situation monopoliste et dominent sur le marché. Leurs concurrents, les petits capitalistes, se montrent tout à fait impuissants dans la lutte avec de telles entreprises.
C’est pourquoi
… la concentration, arrivée à un certain degré de son développement, conduit d’elle-même, pour ainsi dire, droit au monopole. Car quelques dizaines d’entreprises géantes peuvent aisément s’entendre…
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 214.
Les propriétaires de ces grandes entreprises, non seulement peuvent, mais sont aussi parfois obligés de s’entendre entre eux dans le but de dominer sur le marché, car les grandes dimensions de leurs entreprises rendent la concurrence encore plus dangereuse.
… la difficulté de la concurrence et la tendance au monopole naissent précisément de la grandeur de ces entreprises.
Ibid., p. 215.
Ainsi la concurrence a abouti à la concentration, et la concentration à un certain degré de son développement conduit au monopole, mais cela signifie que le développement de la concurrence aboutit, au contraire, de la concurrence au monopole.
Le monopole naît de la concentration. Un certain, un haut degré de concentration représente la base du monopole. Mais il serait inexact de considérer le fait même de la concentration comme un monopole. Le monopole consiste dans le fait que, à un degré élevé de la concentration, il devient possible et nécessaire pour les grands capitalistes de s’entendre entre eux dans un but de domination monopoliste du marché ; dans le but de partager les marchés d’écoulement, d’établir des prix uniques, etc.
De telles unions monopolistes existaient déjà avant l’impérialisme, mais elles étaient alors l’exception. C’est la libre concurrence qui dominait, et non le monopole. C’est seulement après la crise de 1900-1903 que les monopoles sont devenus :
… une des bases de la vie économique tout entière. Le capitalisme s’est transformé en impérialisme.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 219.
Les formes de monopole
Les formes des unions monopolistes sont extrêmement variées. Les plus importantes sont : 1. Les cartels : des entreprises s’entendent pour partager le marché entre elles, établir des prix généraux, fixer les dimensions de la production de chaque entreprise, mais les entreprises elles-mêmes restent indépendantes aussi bien du point de vue de la production que de celui du commerce. 2. Les syndicats ou consortiums sont un degré plus élevé d’union monopoliste, les membres du syndicat n’achètent pas la matière première et ne vendent pas leur production eux-mêmes, mais ils créent à cet effet un appareil commercial commun. 3. Les trusts sont le degré supérieur d’union monopoliste : les entreprises perdent leur indépendance, non seulement du point de vue du commerce, mais aussi du point de vue de la production. Toutes les entreprises fusionnent en une seule entreprise, dirigée par un seul centre. Les anciens propriétaires de ces entreprises deviennent copropriétaires de cette grande entreprise unifiée. Le caractère individuel des entreprises s’efface.
Souvent ce sont non seulement des entreprises du même genre qui fusionnent, mais aussi des entreprises de différentes branches d’industrie. Il se crée de gigantesques entreprises combinées, qui se procurent elles-mêmes leurs matières premières, les transforment, utilisent les déchets de la production, etc. Tels sont, par exemple, les entreprises combinées de métallurgie, de houille, de produits chimiques, de construction mécanique. Cette sorte de trusts est plus stable que les trusts qui unifient seulement des entreprises du même genre, elle est moins influencée par les conditions variables du marché.
D’autre part, les trusts sont, sous la direction des grandes banques monopolistes, unifiés en konzerns qui englobent les entreprises les plus variées dans les différentes branches de l’industrie, du transport et du commerce.
Le monopole, né de la concentration, accélère encore plus cette dernière. Les monopoles font monter les prix sur le marché et s’assurent des profits fabuleux, ils monopolisent les découvertes et privent les autres capitalistes de la possibilité de réduire leurs frais de production.
Le monopole ainsi créé assure des bénéfices énormes et conduit à la formation d’unités techniques de production d’une ampleur formidable.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 220.
Dans le monopole, la socialisation de la production s’exprime déjà non seulement dans le fait que le travail est socialisé dans les limites d’une seule entreprise, que l’interdépendance des entreprises et des branches de production séparées augmente de plus en plus, mais aussi dans le fait que les capitalistes lient les grandes entreprises en un tout unique même au point de vue de l’organisation. Les monopoles font l’inventaire de toute la production sociale, des sources de matières premières, de la main-d’œuvre, des débouchés, etc.
La concurrence se transforme en monopole. Il en résulte un progrès immense de la socialisation de la production.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 222.
Mais cette socialisation est une socialisation capitaliste, elle n’abolit pas l’appropriation capitaliste, et, par conséquent, la contradiction fondamentale du capitalisme. Lorsque les forces productives qui ont déjà besoin d’une socialisation véritable et complète sont soumises à la socialisation capitaliste sous la forme des monopoles, elles se trouvent encore plus gênées dans leur développement.
Le monopole et la concurrence
Le monopole est le contraire de la concurrence, mais il ne l’abolit pas et coexiste avec elle. La concurrence prend alors de nouvelles formes et devient beaucoup plus aiguë.
D’ordinaire, le monopole dans une branche d’industrie quelconque n’embrasse pas toute cette branche. Le monopole à 100 % d’une production quelconque est une rare exception. La concurrence, la lutte, se produit en premier lieu entre les capitalistes qui n’entrent pas dans le monopole (les outsiders) et, en second lieu, entre ceux-ci et les monopoles. Dans cette lutte, les monopoles emploient tous les moyens possibles tels qu’une forte baisse temporaire des prix, dans le but de ruiner leurs concurrents, le boycottage dans le but de priver les outsiders de la matière première nécessaire ; les monopoles ne s’arrêtent pas devant des procédés de lutte tels que d’incendier et de faire sauter les entreprises de leurs concurrents.
La concurrence se produit aussi à l’intérieur des monopoles eux-mêmes. Dans le cas où les entreprises qui entrent dans les unions monopolistes restent indépendantes au point de vue de la production (cartels, syndicats), il se produit entre elles une lutte pour la quote-part dans l’écoulement général de la production. Lors de l’organisation d’un cartel ou d’un syndicat, la quote-part de chaque entreprise dans l’écoulement général est fixée suivant sa capacité de production. Chaque capitaliste qui fait partie d’un cartel cherche à élargir son entreprise, à l’améliorer au point de vue technique, afin de réclamer ensuite pour lui une plus grande quote-part dans l’écoulement. Comme l’accord entre les capitalistes est conclu sur la base du rapport de leurs forces, avec la modification de ce rapport des forces s’aggrave la lutte pour la quote-part. Souvent le cartel se décompose et il s’en crée un nouveau.
Il se produit également une lutte entre les monopoles de la même branche au cas où, dans la branche donnée, il existe non une seule, mais plusieurs unions monopolistes.
Il se produit également une lutte entre les monopoles de branches différentes de production, comme, par exemple, la concurrence entre le pétrole artificiel et le pétrole naturel, la soie artificielle et la soie naturelle, le caoutchouc, etc. La lutte se produit pour le remplacement de certaines marchandises par d’autres susceptibles de satisfaire le même besoin ; ainsi, par exemple, la concurrence entre les transports par chemin de fer, automobiles et aériens, la concurrence entre la houille et le pétrole, etc.
Enfin, il y a lutte entre les monopoles des différents pays. À l’époque du capitalisme prémonopoliste, la concurrence internationale se déroulait entre une foule de capitalistes isolés. Lorsque s’établit la domination des monopoles, la concurrence sur le marché mondial se produit maintenant entre un petit nombre de monopoles gigantesques. C’est pourquoi la concurrence a un caractère beaucoup plus aigu.
… les monopoles n’éliminent pas la libre concurrence dont ils sont issus ; ils existent au-dessus et à côté d’elle, engendrant ainsi des contradictions, des frictions, des conflits particulièrement aigus et violents.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 286-287.
Le caractère transitoire du capitalisme monopoliste
Le monopole capitaliste ne peut supprimer la concurrence précisément parce que c’est un monopole capitaliste, c’est-à-dire un monopole basé sur la propriété privée des moyens de production sociaux. C’est pourquoi le monopole existe à côté de la concurrence. Par conséquent, d’une part, l’existence des monopoles témoigne du fait que les forces productives sont entrées dans la phase de leur développement où leur socialisation complète devient une nécessité immédiate.
Le monopole est le passage du capitalisme à un régime supérieur.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 287.
Mais, d’autre part, comme les monopoles sont des monopoles capitalistes, comme ils ne suppriment pas la concurrence, mais existent à côté d’elle, comme ils renforcent la lutte entre les capitalistes, ils aggravent encore davantage la contradiction fondamentale du capitalisme, ils gênent encore plus le développement des forces productives sociales.
Le monopole est une transition à un ordre supérieur non pas parce que les organisations monopolistes elles-mêmes sont des éléments du socialisme. Les monopoles capitalistes ne sont pas et ne peuvent pas être de tels éléments, car ils appartiennent à des capitalistes et non aux producteurs directs. Les théoriciens social-démocrates s’efforçaient et s’efforcent de présenter les monopoles comme un commencement de production socialiste (la théorie du « capitalisme organisé » et de la « démocratie économique »), afin de tromper la classe ouvrière par des illusions sur une intégration paisible du capitalisme dans le socialisme.
Lénine a montré que le monopole est la transition à un ordre supérieur seulement dans un sens double. En premier lieu, le monopole
… conduit aux portes de la socialisation intégrale de la production.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 223.
Il témoigne de la possibilité pratique et de la nécessité urgente d’une socialisation pleine et entière de la production. L’existence des monopoles prouve que le socialisme frappe à la porte de la société. En second lieu, le monopole en tant que monopole capitaliste non seulement n’admet pas la socialisation intégrale de la production, mais renforce encore davantage la domination et l’oppression du capital, l’oppression et la domination d’une petite poignée de capitalistes monopolistes sur la société.
La production devient sociale, mais l’appropriation reste privée. Les moyens de production sociaux restent la propriété privée d’un petit nombre d’individus. Le cadre général de la libre concurrence nominalement reconnue subsiste, et le joug exercé par une poignée de monopolistes sur le reste de la population devient cent fois plus lourd, plus tangible, plus intolérable.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 223.
C’est pourquoi la transformation du capitalisme en capitalisme monopoliste montre non seulement la nécessité de la socialisation intégrale, mais aussi la nécessité urgente de réaliser cette socialisation, ce qui ne peut se faire que par la voie du renversement violent de la domination du capital, c’est-à-dire par la voie de la révolution prolétarienne.
C’est justement cette conjonction de deux « principes » contradictoires, la concurrence et le monopole, qui caractérise l’impérialisme ; c’est justement [elle] qui prépare la faillite de l’impérialisme, c’est-à-dire la révolution socialiste.
Lénine, « Textes pour la révision du programme du parti », 3 Considérations sur les remarques de la commission de la conférence de Russie tenue en avril, Œuvres, tome 24, p. 478.
2. Le nouveau rôle des banques. Le capital financier
Les monopoles bancaires
Parallèlement à la concentration et à la centralisation du capital dans l’industrie, il se produit également une concentration et une centralisation des banques. D’une part, la concurrence existe aussi dans le domaine du crédit et elle conduit à la concentration, et d’autre part la croissance de la concentration industrielle amène la croissance de la concentration des banques, qui, comme nous l’avons vu (voir le chapitre 7), jouent un rôle d’intermédiaire dans la répartition des capitaux temporairement disponibles entre les capitalistes de l’industrie et du commerce.
Les données suivantes montrent le degré atteint par la concentration de banques vers le commencement du 20e siècle, c’est-à-dire à l’époque où le capitalisme s’est définitivement transformé en impérialisme. En Allemagne, il y avait, en 1912, 172 banques au capital dépassant un million de marks. Sur ce nombre, 9 grandes banques de Berlin, c’est-à-dire 5,2 % du nombre total des banques (sans compter les petites au capital inférieur à un million de marks), concentraient 49 % de tous les dépôts. En 1929, le nombre des grandes banques de Berlin était déjà seulement de 5, et elles concentraient 67,5 % de tous les dépôts. En Angleterre, le nombre des banques est tombé de 104 en 1890 à 43 en 1913 et le total des ressources dont elles disposaient est passé, dans ce même laps de temps, de 464 millions de livres sterling à 963 millions. Cinq des plus grandes banques de Londres (que l’on appelle the big five) concentraient en 1900 27 % de tous les dépôts de banque du pays, en 1913, 39,7 % et en 1924, déjà 72,4 %. Dans tous les autres pays impérialistes, nous observons une pareille centralisation des banques.
De même que dans l’industrie, la concentration, au plus haut degré de son développement, mène directement au monopole, de même, dans le domaine des banques, à un certain degré de son développement, la concentration engendre le monopole bancaire.
Lorsque les capitaux disponibles cessent de rester dispersés dans un grand nombre de petites banques et se concentrent dans quelques grandes banques, ces dernières obtiennent ainsi un pouvoir énorme sur l’ensemble de l’économie. La croissance quantitative des opérations et des capitaux des banques conduit inévitablement à un changement radical dans le rôle de ces banques.
En concentrant les comptes courants de tous les capitalistes, une petite poignée de grandes banques reçoit la possibilité de connaître l’état de leurs affaires, de les contrôler, et, enfin, en aggravant ou en améliorant les conditions du crédit, de diriger dans un sens correspondant l’activité de l’industrie. Mais cela signifie que…
Au fur et à mesure que les banques se développent et se concentrent dans un petit nombre d’établissements, elles cessent d’être de modestes intermédiaires pour devenir de tout-puissants monopoles disposant de la presque totalité du capital-argent de l’ensemble des capitalistes et des petits patrons, ainsi que de la plupart des moyens de production et des sources de matières premières d’un pays donné, ou de toute une série de pays.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 228.
La transformation des banques de simples intermédiaires en de tout-puissants monopoles accélère extrêmement à son tour le procès de concentration et de formation des monopoles dans l’industrie elle-même. En premier lieu, les banques monopolistes accordent des crédits à des conditions plus avantageuses aux grandes entreprises, organisées en unions monopolistes. En second lieu, les banques elles-mêmes de plus en plus placent directement dans l’industrie les capitaux dont elles disposent.
Cette liaison grandissante entre l’industrie et les banques et l’investissement direct par les banques de leurs capitaux dans l’industrie sont extrêmement facilités grâce au fait qu’à l’époque de la transformation du capitalisme en capitalisme monopoliste, les sociétés par actions ont pris une très grande extension.
Les sociétés par actions
Le capital d’une entreprise organisée sous forme de société par actions n’appartient pas à un capitaliste. Les fondateurs de la société par actions (parmi lesquels se trouvent aussi des banquiers) émettent un certain nombre d’actions. Si le capital de la société est d’un million de francs et si le prix de chaque action est de 100 francs, il sera émis 10 000 actions de 100 francs. Une partie de ces actions est achetée par les fondateurs de la société eux-mêmes et l’autre partie est vendue aux autres capitalistes. Chaque actionnaire devient copropriétaire de l’entreprise. Les affaires sont gérées par un conseil d’administration élu à l’assemblée générale des actionnaires dont chacun a autant de suffrages que d’actions. Chaque actionnaire a droit à une fraction déterminée du profit (dividende) suivant le nombre des actions qu’il possède.
Bien que chaque actionnaire ait le droit de vote à l’assemblée générale des actionnaires, en fait les affaires de la société se trouvent entre les mains des gros actionnaires qui possèdent de gros paquets d’actions. La pratique montre qu’il suffit d’avoir 40 % des actions pour jouer un rôle décisif aux élections du conseil d’administration et dans la solution de toutes les autres questions à l’assemblée générale des actionnaires. Ainsi, les gros actionnaires sont en fait les propriétaires de la société. Ils disposent non seulement de leur propre capital, investi dans l’entreprise, mais aussi du capital de tous les autres actionnaires. Les sociétés par actions sont, par conséquent, une forme de la centralisation du capital.
Comme chaque actionnaire peut à tout moment vendre ses actions, cette forme d’entreprise (la société par actions) rend le capital extrêmement mobile et, en même temps, le dépersonnalise. Les propriétaires d’actions n’ont aucun rapport avec la production. Dans une entreprise appartenant à une société par actions, la production est dirigée par des directeurs salariés et les actionnaires, y compris les fondateurs, sont seulement des propriétaires, recevant un revenu (les dividendes). Dans cette forme d’entreprise, la propriété du capital se sépare de la gestion de la production. L’existence et l’extension des sociétés par actions prouvent que la production sociale peut se passer des capitalistes.
La fusion du capital industriel et du capital bancaire. Le capital financier
Comme les sociétés par actions ont pris une très grande extension, comme les monopoles capitalistes sont aussi organisés sous forme de sociétés par actions, le rôle des banques dans la formation des monopoles et dans la concentration du capital devient beaucoup plus considérable. Les grandes banques achètent des actions des entreprises industrielles. En outre, lors de la fondation d’une société par actions, ces dernières sont émises par une banque ; celle-ci est donc un des fondateurs de la société.
Lorsque s’établit l’interdépendance des sociétés par actions, ce qu’on appelle le système de participation joue un rôle particulièrement considérable dans le renforcement des liaisons entre l’industrie et les banques. Supposons qu’une grande banque ait acheté pour 2 millions d’actions d’une société quelconque au capital de 5 millions de francs. Si cette société participe à son tour de la même façon à une autre société par actions au capital, mettons aussi de 5 millions de francs, il en ressort que la banque domine déjà non seulement la première société par actions, mais aussi la seconde et qu’elle dispose d’un capital de 10 millions de francs. Les grandes banques monopolistes se soumettent ainsi un grand nombre de sociétés par actions dans l’industrie et dans le transport, dans le commerce et même dans le domaine du crédit. Ainsi, par exemple, déjà avant la guerre, une des plus grandes banques d’Allemagne, la Deutsche Bank, participait d’une façon directe à 30 banques ; sur ces dernières, 14 participaient encore à 48 banques, dont 6 participaient à leur tour à 9 autres. De cette façon, la Deutsche Bank dominait en fait 87 banques et, par l’intermédiaire de celles-ci, un nombre considérable d’entreprises industrielles.
Mais lorsqu’une banque devient actionnaire d’entreprises industrielles et par l’intermédiaire du « système de participation » se soumet un grand nombre d’entreprises industrielles, commerciales et bancaires, elle n’est déjà plus une banque au sens ancien de ce mot, elle joue déjà le rôle de capitaliste industriel. D’un autre côté, les grands monopoles industriels deviennent aussi les participants des banques au moyen de l’achat de leurs actions. Il se crée ce qu’on appelle l’ « union personnelle » des banques et des monopoles dans l’industrie et le commerce. Non seulement les banques ont leurs représentants dans les conseils d’administration des sociétés industrielles, mais inversement, les grandes unions industrielles ont leurs représentants dans les conseils d’administration des banques. La ligne de démarcation entre le monopole industriel et le monopole bancaire s’efface. Une petite poignée de grands monopoleurs domine également l’industrie, le commerce et le crédit.
Lorsque, à un certain degré de son développement, la concentration de l’industrie et des banques engendre les monopoles, il se produit une fusion du grand capital industriel monopoliste avec le grand capital bancaire monopoliste, il se forme le capital financier.
Concentration de la production, avec, comme conséquence, les monopoles ; fusion ou interpénétration des banques et de l’industrie, voilà l’histoire de la formation du capital financier et le contenu de cette notion.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 245.
En tant qu’établissements du capital financier, les banques concentrent tous les fils de la direction et de la gestion de l’ensemble de l’économie capitaliste. Elles transforment…
… des milliers et milliers d’entreprises éparses en un seul organisme capitaliste national, puis mondial.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 231.
Si les monopoles industriels, qui unissent les grandes entreprises dans toute une branche d’industrie et souvent dans plusieurs branches, constituent la transition de la libre concurrence à la socialisation complète, si les prémices y sont mûres, pour l’organisation socialiste de la production, les banques, qui concentrent entre leurs mains le contrôle de l’ensemble de l’économie du pays, donnent…
… la forme d’une comptabilité générale et de la répartition des moyens de production sur l’échelle sociale ; mais elles ne donnent que cette forme.
K. Marx : le Capital, t. 12, p. 239. (Costes.).
L’oligarchie financière
Les monopoles industriels, tout en élevant la socialisation du travail au plus haut degré possible en régime capitaliste, ne cessent pas d’être des monopoles capitalistes et c’est pourquoi ils n’abolissent pas l’anarchie, mais la renforcent et freinent encore davantage le développement des forces productives. De même, les grandes banques monopolistes, tout en concentrant le contrôle de l’économie de tout le pays, ne cessent d’être des institutions capitalistes et c’est pourquoi elles ne peuvent servir de moyen pour organiser la production sociale suivant un plan. Les banques monopolistes utilisent leur puissance pour piller les masses populaires au profit d’une petite poignée de magnats du capital financier.
La « répartition générale des moyens de production », voilà ce qui résulte d’un point de vue tout formel du développement des banques modernes, dont les plus importantes, au nombre de 3 à 6 en France et de 6 à 8 en Allemagne, disposent de milliards et de milliards. Mais quant au contenu, cette répartition des moyens de production n’a rien de « général » ; elle est privée, c’est-à-dire conforme aux intérêts du grand capital — et au premier chef du plus grand, du capital monopoliste — qui opère dans des conditions telles que la masse de la population peut à peine subvenir à ses besoins et que tout le développement de l’agriculture retarde irrémédiablement sur celui de l’industrie, dont une branche, l’ « industrie lourde », prélève un tribut sur toutes les autres.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 235.
Le capital financier signifie ainsi la domination d’une petite poignée de capitalistes sur l’ensemble de la production sociale, la domination de l’oligarchie financière, qui emploie sa puissance pour renforcer l’exploitation de la classe ouvrière et de toutes les couches laborieuses de la population.
Le capital financier se subordonne en fait tout l’appareil de l’État bourgeois, quelle que soit la forme de cet État. La démocratie bourgeoise n’est qu’un paravent pour les manœuvres de l’oligarchie financière. En corrompant les députés et les grands fonctionnaires, en leur donnant des sinécures dans les banques et dans les autres organisations monopolistes, l’oligarchie financière s’empare entièrement de l’appareil d’État, qui est pour elle un moyen de domination non seulement politique, mais aussi économique.
Le monopole, quand il s’est formé et brasse des milliards, pénètre impérieusement dans tous les domaines de la vie sociale, indépendamment du régime politique…
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 256.
Les exemples suivants montrent quelles dimensions a prises la puissance économique de l’oligarchie financière. En 1932, le magnat financier allemand Flick, à l’aide d’un système compliqué de participations, bien que possédant un capital de 20 millions de marks seulement, contrôlait 82 sociétés au capital de 1 706 millions de marks. Aux États-Unis, le konzern de l’industrie électrique, dans lequel était investi moins d’un million de dollars, contrôlait un capital productif qui dépassait la somme de 370 millions de dollars. Un des moyens de renforcement de la puissance de l’oligarchie financière consiste aussi dans le fractionnement des actions, qui attire les petits actionnaires, lesquels ne jouent aucun rôle dans la direction de la société par actions.
Le capital financier qui mène le monopole capitaliste à son degré le plus élevé, à la domination sans contrôle d’une poignée de magnats financiers, aggrave encore davantage la contradiction fondamentale du capitalisme, et accentue le caractère transitoire du capitalisme monopoliste.
La domination des monopoles et du capital financier ne se limite pas aux pays dans lesquels la concentration de la production a atteint le plus haut degré de son développement : elle s’étend aussi à des pays plus arriérés.
L’impérialisme est un système de domination et d’oppression mondiales. Le capital financier soumet le monde entier et opprime les peuples des pays arriérés. L’un des moyens les plus importants de cette domination, c’est l’exportation du capital.
3. L’exportation du capital
L’exportation du capital d’un pays dans un autre se distingue de l’exportation des marchandises sur les points suivants. La marchandise exportée renferme déjà la plus-value produite dans le pays exportateur. Sur le marché extérieur, c’est-à-dire dans le pays importateur, la plus-value contenue dans la marchandise ne fait que se réaliser, se convertir en argent. La situation est tout autre lors de l’exportation du capital.
Le capital est exporté sous la forme de capital de prêt et sous celle de capital productif. L’exportation du capital de prêt se présente sous forme d’emprunt accordé par les capitalistes du pays exportateur au gouvernement ou aux capitalistes d’un autre pays. Pour cet emprunt, le pays débiteur paye des intérêts. Dans ce cas, la plus-value est créée non par les ouvriers du pays qui exporte le capital, mais par ceux du pays qui l’importe, et ce sont les capitalistes exportateurs du capital qui reçoivent cette plus-value. De même que, pour l’exportation du capital sous la forme de moyens de production, lorsque les capitalistes fondent des entreprises dans un autre pays, la plus-value est créée dans le pays qui importe le capital et est appropriée par les capitalistes du pays qui l’exporte.
L’exportation du capital sous ces deux formes avait lieu bien avant le capitalisme monopoliste, mais elle ne dominait pas dans les rapports entre pays, c’est l’exportation des marchandises qui dominait. Ce n’est qu’à l’époque du capitalisme monopoliste que l’exportation du capital dépasse l’exportation des marchandises et que les rapports économiques entre pays sont déterminés en premier lieu par l’exportation du capital. Cette prédominance de l’exportation du capital est conditionnée par la transformation du capitalisme en capitalisme monopoliste.
Les causes de l’exportation du capital
La domination des monopoles et du capital financier conduit au fait que dans les pays impérialistes, se forme un excédent de capital, qu’on exporte dans les pays arriérés. Ce capital en « excédent » se forme en résultat des conditions fondamentales suivantes, créées par la domination du capital financier.
- Le bas niveau de vie des masses. La paupérisation de la classe ouvrière et des masses laborieuses est en général caractéristique pour le capitalisme, mais à l’époque du capital financier la paupérisation s’accentue à l’extrême et le pouvoir d’achat des masses diminue en raison du fait que les monopoles maintiennent les prix à un niveau élevé. À l’intérieur du pays les marchandises sont vendues à des prix plus élevés que sur le marché extérieur (dumping). À la suite du rétrécissement du marché intérieur, une partie des capitaux devient superflue.
- L’inégalité de développement des différentes branches de production s’accentue, et, en particulier, s’accentue le retard du développement de l’agriculture. Si le capitalisme pouvait liquider le retard de l’agriculture sur l’industrie, une partie des capitaux en excédent cesserait de l’être.
- L’inégalité du développement des différents pays s’accentue. Dans les pays retardataires, la composition organique du capital est plus basse et c’est pourquoi le taux moyen du profit est plus élevé que dans les pays avancés. Dans les pays arriérés, la main-d’œuvre et les matières premières sont meilleur marché. Tout cela rend plus avantageux d’engager des capitaux dans un pays arriéré et crée un « excédent » de capital dans les pays du capital financier.
Tant que le capitalisme reste le capitalisme, l’excédent de capitaux est consacré non à élever le niveau de vie des masses dans un pays donné, car il en résulterait une diminution des bénéfices des capitalistes, mais à augmenter ces bénéfices par l’exportation du capital à l’étranger, dans les pays arriérés.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 260-261.
Les données suivantes montrent l’accroissement rapide de l’exportation du capital au commencement du 20e siècle. En Angleterre, le total des capitaux exportés à l’étranger est passé de 1902 à 1914, de 62 milliards à 75-100 milliards de francs, en France de 27-37 à 60 milliards de francs, en Allemagne de 12,5 à 44 milliards de francs. Avant la guerre, les États-Unis étaient un pays où l’importation du capital dépassait l’exportation. C’est seulement depuis la guerre que le rôle des États-Unis dans l’exportation mondiale des capitaux a radicalement changé. En 1910, tous les capitaux exportés par la France, l’Angleterre et l’Allemagne se répartissaient comme suit : 32 % étaient placés en Europe, 36,5 % en Amérique (du Nord et du Sud), et 31,5 % en Asie, Afrique et Australie. En d’autres termes, plus des deux tiers du capital exporté de ces pays étaient investis dans des pays extra-européens.
Le capital financier jette ainsi ses filets au sens littéral du mot, pourrait-on dire, sur tous les pays du monde.
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Œuvres, tome 22, p. 264.
Après la guerre mondiale de 1914-1918, des transformations considérables se sont produites dans l’exportation du capital, quant au rôle des différents pays impérialistes. Mais le total de cette exportation n’a pas diminué ; elle a même au contraire augmenté. Ainsi la somme de l’exportation annuelle des capitaux dans quatre pays impérialistes (Angleterre, France, Allemagne, États-Unis) était en 1913 de 1,2 milliard de dollars, et en 1928, l’exportation du capital de trois pays seulement (Angleterre, France et États-Unis) atteignait 1 854 millions de dollars. Avec la crise économique actuelle, l’exportation du capital s’est fortement réduite, dès la première année de crise (1929), elle est tombée à 1 153 millions de dollars pour ces trois pays.
L’importance de l’exportation du capital
L’exportation du capital relie les différents pays beaucoup plus solidement que l’exportation des marchandises : elle crée une économie capitaliste mondiale unique. Elle contribue aussi à augmenter l’exportation des marchandises. D’habitude, le pays qui consent un emprunt à un autre pays, à un pays arriéré, met comme condition à cet emprunt, l’achat de ses marchandises.
Mais ce renforcement des liens économiques entre les différents pays ne conduit pas à une organisation planifiée de l’économie mondiale. En effet, le capital est exporté par les pays où domine le capital financier dans les pays arriérés. L’exportation du capital signifie la subordination des pays arriérés aux pays « avancés », aux pays du capital financier, elle signifie l’exploitation des premiers par les seconds. L’exportation du capital crée un système de domination et d’oppression impérialiste mondiales.
Le capital est exporté non par un seul pays, mais par plusieurs. C’est pourquoi l’exportation du capital signifie le partage du monde entre les pays du capital financier. Mais ce n’est pas un partage organisé et pacifique.
L’exportation du capital ne se fait pas de telle façon que chaque pays impérialiste exporte du capital dans un seul pays arriéré, où il est impossible aux autres pays d’exporter leur capital. Chaque pays impérialiste cherche à exporter et exporte du capital dans les pays où d’autres pays impérialistes exportent le leur, afin de ne pas leur laisser le monopole dans ces pays, afin de les empêcher de soumettre ces derniers.
Ainsi l’exportation du capital, en créant une économie capitaliste mondiale unique, accentue en même temps la lutte entre les pays impérialistes et aggrave les contradictions dans le monde entier.
4. La lutte pour le partage du monde entre les unions capitalistes
Les monopoles internationaux
Outre le partage du monde par la voie de l’exportation du capital par les grands monopoles, le partage du monde s’effectue aussi par la voie directe. Dans les branches d’industrie, où la concentration est parvenue à un niveau particulièrement élevé, les unions monopolistes dépassent les limites d’un pays, elles embrassent toute une série de pays. Les grands monopoles de plusieurs pays s’entendent entre eux et organisent des cartels internationaux.
Ainsi, avant la guerre, l’industrie électrique dans le monde entier était monopolisée surtout par l’Allemagne et les États-Unis. En Allemagne, il y avait la Compagnie générale d’électricité (A.E.G.), avec des entreprises et des succursales dans une série de pays d’Europe et d’Amérique. Aux États-Unis, l’industrie électrique était monopolisée par la General Electric Company, dont le réseau d’entreprises et de succursales s’étendait à toute l’Amérique et commençait aussi à pénétrer en Europe. En 1907, ces deux trusts mondiaux ont conclu un accord relatif au partage des sphères d’influence dans le monde entier, l’un d’eux recevait le marché européen et une partie du marché asiatique, l’autre, le marché américain. Pendant la durée de cet accord, la concurrence devait cesser entre les deux trusts.
Des accords internationaux analogues entre les plus grands trusts des différents pays impérialistes existaient avant la guerre aussi dans une série d’autres branches. En 1910, on comptait en tout environ 100 cartels internationaux. Le monopole international est déjà un « supermonopole ».
Ce nouveau degré de concentration universelle du capital et de la production est incomparablement plus élevé que les précédents.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 76.
L’existence de monopoles internationaux prouve que les forces productives sont mûres pour le socialisme, pour la socialisation complète et pour l’organisation planifiée non seulement à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle mondiale.
L’importance des monopoles internationaux
Si les unions monopolistes des capitalistes à l’intérieur des différents pays n’abolissent pas la concurrence, n’organisent pas l’économie à l’intérieur du pays, mais au contraire renforcent et aggravent la lutte, les monopoles internationaux peuvent d’autant moins organiser la production à l’échelle mondiale. Les monopoles internationaux sont encore moins stables que les monopoles à l’intérieur de chaque pays. Lorsque les grands capitalistes forment des cartels, ils se basent sur le rapport des forces entre eux : les capitalistes qui possèdent un plus grand capital reçoivent une plus grande quote-part dans l’écoulement. Mais par suite de l’inégalité du développement, le rapport des forces change constamment et, avec le temps, il se crée un rapport des forces auquel ne correspond plus l’accord primitif, conclu sur la base d’un rapport des forces qui n’existe déjà plus maintenant. La lutte s’engage entre les membres de l’union monopoliste pour la révision des conditions de l’accord, lutte qui se termine ou par la désagrégation du cartel et par la formation d’un nouveau, ou par la conclusion d’un nouvel accord sur la base du nouveau rapport des forces.
Dans les rapports internationaux, cette lutte a un caractère beaucoup plus aigu. L’inégalité du développement des différents pays, comme nous le montrerons plus bas (voir le paragraphe 9), s’accentue encore plus à l’époque de l’impérialisme, comparativement à l’époque du capitalisme prémonopoliste. C’est pourquoi le rapport des forces des membres des cartels internationaux change rapidement. Dans la majorité des cas les unions monopolistes internationales ne peuvent pas prendre la forme de trusts, dans lesquels fusionnent entièrement les entreprises membres de l’union ; elles existent surtout sous la forme de cartels, qui sont en général des organismes moins stables que les trusts. Enfin dans la lutte pour la fixation des conditions de l’accord, les membres du cartel international, c’est-à-dire les unions monopolistes des différents pays impérialistes, ont entre leurs mains un moyen de pression dont ne disposent pas les capitalistes du même pays lorsqu’ils forment une union monopoliste à l’intérieur du pays. Ce moyen, c’est la force armée de l’État. En cas de changements dans le rapport des forces, la lutte pour le partage des marchés se fait à l’aide de la guerre. Ainsi, lors de la guerre impérialiste mondiale de 1914-1918, presque tous les cartels internationaux se sont disloqués et après la guerre il s’en est créé de nouveaux sur la base du nouveau rapport des forces issu de la guerre. Mais pendant les dix-sept années écoulées depuis la fin de la guerre, le rapport des forces a de nouveau changé et c’est pourquoi un nouveau partage du monde est à l’ordre du jour.
L’existence des cartels internationaux ne signifie pas la cessation de la lutte pour le partage du monde, ni une transition vers la collaboration pacifique des puissances impérialistes, mais seulement une forme de lutte déterminée.
La lutte demeure, son contenu ne change pas. C’est la lutte pour la plus grande part possible dans l’exploitation de la population de tout le globe terrestre par une petite poignée de magnats impérialistes « avancés ». Mais les formes de lutte se modifient.
La lutte se produit tantôt sous une forme « pacifique », sous la forme d’accords temporaires (formation de cartels), tantôt sous la forme d’une collision armée ouverte, sous la forme d’une guerre.
Les formes mêmes de la lutte peuvent changer et changent constamment suivant des causes diverses, relativement temporaires et particulières, alors que l’essence de la lutte, son contenu de classe ne saurait vraiment varier tant qu’il y aura des classes.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 88.
5. Le partage territorial du monde entre les États impérialistes et la lutte pour ce partage
Par l’exportation du capital et la création de cartels internationaux, les magnats du capital financier procèdent à un partage économique du monde entre eux. Mais ce partage économique conduit inévitablement à la lutte pour le partage territorial et politique entre les États impérialistes correspondants, l’État étant entre les mains de l’oligarchie financière non seulement une arme d’oppression à l’intérieur du pays, mais aussi une arme de lutte pour l’exploitation des masses laborieuses des autres pays. La lutte pour le partage économique du monde engendre la lutte pour son partage territorial, pour la subordination politique des pays arriérés aux États impérialistes.
L’achèvement du partage du monde
Ce qui caractérise l’impérialisme, ce n’est pas simplement la lutte pour le partage territorial du monde, mais le fait qu’au début du 20e siècle, c’est-à-dire au commencement de l’époque de l’impérialisme, tout le globe terrestre était déjà partagé entre les États impérialistes. Les données suivantes le démontrent.
Tous les pays colonisateurs européens ainsi que les États-Unis d’Amérique possédaient en 1876 10,8 % de toute la superficie de l’Afrique et, en 1900, déjà 90,4 % ; en Polynésie (îles du Pacifique), en 1876, 56,8 %, et en 1900, 98,9 % ; en Asie, en 1876, 51,5, et, en 1900, 56,6 %. En Australie, 100 et 100 % ; en Amérique, 27,5 % et 27,2 %. Si l’on prend en considération qu’une partie considérable de l’Asie (Chine, Perse, Turquie) ainsi que tous les États de l’Amérique du Sud étaient à demi vassaux des grands pays capitalistes, ces chiffres attestent qu’au début du 20e siècle, le monde entier était déjà partagé entre les pays impérialistes.
En 1914, six « grandes puissances » (Angleterre, Russie, France, Allemagne, États-Unis et Japon), dont le territoire formait 12,3 % de la superficie du globe, possédaient des colonies qui formaient 48,5 % de la surface du globe. Il faut y ajouter 7,4 % de colonies appartenant à de petits États comme la Hollande, la Belgique, etc., et 10,8 % de semi-colonies. Soit en tout 66,7 %, c’est-à-dire que les deux tiers de notre planète étaient directement ou indirectement subordonnés aux États impérialistes. La population de ces pays vassaux formait 56,1 % de toute la population du globe.
Le capitalisme s’est transformé en un système universel d’oppression coloniale et d’étranglement financier de l’énorme majorité de la population du globe par une poignée de pays « avancés ».
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 15.
Les colonies avant et à l’époque de l’impérialisme
Les grands États capitalistes avaient des colonies bien avant l’époque de l’impérialisme. La conquête des colonies n’a pas commencé, mais s’est achevée à l’époque de l’impérialisme. Mais, à cette époque, l’importance des colonies et le contenu de la politique coloniale changent essentiellement.
À l’époque de l’impérialisme, l’exportation des capitaux prédomine sur celle des marchandises. Lorsqu’on exporte dans un pays arriéré surtout des marchandises, le pays exportateur a intérêt à avoir dans ce pays un débouché constant. Mais lorsque l’exportation du capital joue le rôle principal, le pays exportateur cherche déjà à créer une garantie pour les capitaux exportés ; or, la meilleure garantie pour cela c’est de se subordonner ce pays.
Ensuite, avec le développement du capitalisme, la lutte pour les matières premières devient de plus en plus aiguë (en partie parce que les réserves de matières premières sont en général limitées, en partie par suite du retard de l’agriculture). Dans la lutte entre les monopoles mondiaux, le groupe qui aura des sources de matières plus assurées sera plus stable. D’où la lutte pour les colonies en tant que sources de matières premières ; cette lutte se produit non seulement pour les sources déjà existantes, mais aussi pour les sources possibles de matières premières.
Les unions monopolistes des différents pays, dans leur lutte l’une contre l’autre, emploient comme moyen l’élévation des droits de douane pour les marchandises importées. C’est pourquoi chaque pays impérialiste tend à élargir son territoire, pour un marché d’écoulement protégé contre l’invasion des marchandises des autres pays. Par conséquent, à l’époque de l’impérialisme, les colonies sont également nécessaires pour assurer l’écoulement des marchandises.
Seule, la possession des colonies donne de complètes garanties de succès aux monopoles contre tous les hasards de la lutte avec leurs concurrents, même au cas où ces derniers s’aviseraient de se défendre par une loi établissant le monopole d’État. Plus le développement du capitalisme est élevé, plus le manque de matières premières se fait sentir, plus la concurrence est âpre, plus la chasse aux sources de matières premières dans l’univers est fiévreuse, plus la lutte pour la conquête des colonies est acharnée.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 91-92.
La lutte de classe qui s’aggrave de plus en plus dans les pays impérialistes joue un rôle particulier dans la politique coloniale de l’impérialisme. Les colonies sont nécessaires aux pays impérialistes pour y transférer une partie de la main-d’œuvre en excédent et créer là-bas une couche privilégiée au-dessus du prolétariat indigène ainsi que pour corrompre, avec les surprofits coloniaux, la couche supérieure de la classe ouvrière de la métropole.
La lutte pour un nouveau partage du monde
Nous voyons ainsi que le caractère de la sujétion coloniale et de la politique coloniale change essentiellement à l’époque de l’impérialisme. Avant l’impérialisme, il y avait seulement conquête de pays arriérés non encore soumis, qui servaient principalement de marchés d’écoulement des marchandises. Comme, dès le commencement de l’époque de l’impérialisme, toute la terre était déjà partagée entre tous les impérialistes de proie, la lutte ne pouvait ensuite s’engager que pour un nouveau partage du monde, c’est-à-dire pour le passage des territoires…
… D’un « possesseur » à un autre et non de l’état d’abandon où ils étaient à un maître.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 86.
Et cette lutte prend un caractère d’autant plus aigu que, comme nous venons de le voir, la possession de colonies est vraiment une question de vie ou de mort pour chaque pays impérialiste.
Le partage territorial du monde a eu lieu sur la base du rapport des forces qui s’est formé entre les pays impérialistes vers la fin du 19e siècle. Les pays impérialistes les plus jeunes comme l’Allemagne, les États-Unis et le Japon se trouvèrent « lésés ». Cependant, les divers pays capitalistes se développent de façon inégale. À l’époque de l’impérialisme cette inégalité s’accentue à l’extrême, avant tout à cause du fait que le monde entier est déjà partagé et que la lutte a pour objet un partage nouveau : les jeunes pays impérialistes qui possèdent une puissante industrie monopolisée, qui exportent des capitaux et ont besoin de colonies doivent, sous peine de leur ruine, en tant que pays impérialistes, tendre toutes leurs forces pour dépasser les pays impérialistes plus anciens, qui ont réussi à s’emparer d’importants territoires. L’inégalité du développement s’accentue aussi grâce au développement colossal de la technique à l’époque de l’impérialisme.
Mais dans les conditions où le monde entier est déjà partagé, quand il ne reste déjà plus de terres inoccupées, l’accentuation de l’inégalité signifie l’inévitabilité des guerres impérialistes mondiales pour un nouveau partage des terres déjà partagées. De nouvelles colonies peuvent être acquises non par la voie de la conquête de pays arriérés non encore conquis (car il n’en existe déjà plus), mais seulement en les arrachant par la voie de la guerre à d’autres pays impérialistes.
L’époque de l’impérialisme est donc une époque de guerres impérialistes mondiales. Lorsque se produisait encore la conquête de pays arriérés et qu’il restait encore beaucoup de terres inoccupées, cette conquête pouvait s’effectuer sans que les États conquérants se heurtent les uns aux autres. Mais le partage du monde étant déjà achevé et la lutte se poursuivant pour son nouveau partage, cette lutte met en cause les intérêts immédiats de tous les États impérialistes, et la guerre pour le nouveau partage du monde devient une guerre mondiale.
En conséquence, le caractère du militarisme et des armements des États impérialistes change également. Lorsque les guerres se déroulaient entre les pays capitalistes avancés et les pays arriérés et faibles, il n’était pas besoin d’armements aussi puissants qu’à l’époque de l’impérialisme où la lutte a lieu entre les grandes puissances impérialistes. D’où la croissance sans précédent des armements et des armées, de l’industrie de guerre et des charges fiscales.
6. L’impérialisme est un stade particulier, le stade suprême du capitalisme
Nous avons examiné les cinq aspects essentiels de l’impérialisme. Nous avons vu qu’ils sont tous le résultat inévitable du développement du capitalisme.
L’impérialisme a surgi comme le développement et la continuation directe des propriétés essentielles du capitalisme en général.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 97.
La concentration de la production conduit inévitablement à la formation de monopoles. La concentration des banques liée à celle de la production conduit inévitablement aux monopoles dans le domaine du crédit et à la fusion du capital bancaire avec le capital industriel, à la formation du capital financier. De même, la domination du capital financier conduit nécessairement au fait que l’exportation du capital joue un rôle prédominant dans les rapports économiques internationaux.
La domination des monopoles et du capital financier ainsi que l’exportation du capital engendrent inévitablement une lutte pour un nouveau partage du monde entre les unions monopolistes et une lutte entre les États impérialistes pour un nouveau partage territorial. Ainsi, l’impérialisme est un degré, un stade inévitable du développement du capitalisme.
L’impérialisme, stade particulier du capitalisme
Ce qu’il y a d’essentiel au point de vue économique, dans ce procès [dans le procès de la transformation du capitalisme en impérialisme] c’est la substitution des monopoles capitalistes à la libre concurrence capitaliste.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 97.
Si nous prenons chacun des aspects énumérés par nous, nous verrons qu’il représente une forme spéciale de monopole ou qu’il découle du monopole :
- Le monopole est engendré par la concentration de la production ;
- Le monopole est né de la concentration des banques, les monopoleurs du capital financier, l’oligarchie financière dominent ;
- L’exportation du capital découle directement de la domination monopoliste du capital financier ;
- Les cartels internationaux sont une forme de lutte entre les monopoles pour la domination monopoliste sur les marchés mondiaux ;
- La lutte pour un nouveau partage territorial du monde est une lutte pour la possession monopoliste des colonies en tant que sources de matières premières, sphères d’investissement du capital et marchés d’écoulement pour les marchandises.
S’il était nécessaire de définir aussi brièvement que possible l’impérialisme, il faudrait dire que l’impérialisme est le stade de monopole du capitalisme.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 98.
Au point de vue économique, le monopole est l’essentiel dans l’impérialisme. C’est précisément le monopole qui fait de l’impérialisme un stade particulier du capitalisme qui le distingue profondément de son stade précédent.
La domination des monopoles, le fait que le monopole pénètre tous les côtés de la vie sociale, donne à l’impérialisme un caractère tout à fait autre par rapport au stade précédent du capitalisme. La signification historique du monopole consiste dans son caractère transitoire et il en est de même pour l’impérialisme, en tant que stade particulier du capitalisme. À l’époque de l’impérialisme…
… les éléments de l’époque de transition du capitalisme à une structure économique et sociale supérieure se sont pleinement affirmés et révélés.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 97.
À l’époque de l’impérialisme, sont mûres toutes les prémices de l’organisation socialiste de la production. Par les cartels, les syndicats et les trusts, le capitalisme lui-même organise la production dans des branches entières ; le système bancaire est concentré à tel point qu’il peut déjà être transformé en un appareil de contrôle et d’enregistrement et, partant, d’organisation de la production à l’échelle nationale ; l’exportation du capital lie en un seul tout l’ensemble de l’économie mondiale et dans les cartels internationaux se manifeste la possibilité et la nécessité de l’organisation de la production à l’échelle mondiale.
Cependant, le capitalisme qui, au stade suprême, impérialiste, de son développement, a porté les forces productives au point où elles ont définitivement mûri pour leur complète socialisation, entrave et freine en même temps leur développement, empêche la socialisation véritable des forces productives de la société.
Les monopoles coexistent avec la concurrence. En organisant la production à une grande échelle dans des branches d’industrie entières et quelquefois aussi dans plusieurs branches, les grands monopoleurs utilisent cette organisation pour renforcer l’exploitation et pour lutter avec les autres monopoleurs pour une part plus grande de plus-value. Ils n’abolissent pas l’anarchie de la production, mais l’aggravent. De même que le capitalisme, en renforçant l’organisation sociale de la production dans chaque entreprise, renforce par cela même l’anarchie dans l’ensemble de la production sociale…
… le monopole créé dans certaines branches d’industrie augmente, aggrave le chaos inhérent à l’ensemble de la production capitaliste.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 36.
Les banques, devenues des institutions capitalistes de caractère universel et tenant dans leurs mains l’ensemble de l’économie, ne sont pas utilisées pour organiser la production à l’échelle nationale, elles sont une arme entre les mains de quelques magnats du capital financier, entre les mains de l’oligarchie financière, pour spolier et piller toute la population. Les cartels internationaux, qui témoignent de la possibilité d’organiser la production à l’échelle mondiale, accentuent en réalité l’anarchie de la production et sont une forme de la lutte entre les monopoleurs pour le partage du monde, lutte qui aboutit inévitablement à des catastrophes mondiales, à des guerres impérialistes mondiales.
Le parasitisme et la décomposition du capitalisme
Comme, à son stade suprême de développement, le capitalisme rend les forces productives mûres pour une socialisation complète et empêche en même temps cette socialisation, la décomposition du capitalisme est inévitable.
Les rapports de l’économie privée et de la propriété individuelle constituent un tégument qui ne correspond plus à ce qu’il recouvre, et destiné à pourrir infailliblement si l’on en diffère artificiellement l’élimination.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 139.
La décomposition du capitalisme au stade suprême de son développement est conditionnée par la nature même de l’impérialisme, en tant que capitalisme de monopoles. Tout d’abord, le monopole lui-même, pour autant qu’il est le contraire de la concurrence, pour autant qu’il assure des profits élevés au moyen de la hausse des prix, diminue les mobiles du perfectionnement de la technique de la production, c’est-à-dire crée une tendance à la stagnation. Les cas deviennent de plus en plus fréquents où les inventions nouvelles sont achetées par les organisations monopolistes, non pour les appliquer, mais pour qu’elles ne puissent être mises en pratique.
Le monopole, qui est le contraire de la concurrence, ne l’abolit pas, il coexiste avec elle. C’est pourquoi le progrès technique ne s’arrête pas. Mais en même temps les monopolistes l’entravent consciemment. Depuis quelques années, les savants bourgeois et les grands capitalistes affirment de plus en plus que tout le malheur de l’humanité consiste dans le développement de la technique, qui est trop avancée. Ainsi, en 1931, au congrès des syndicats réformistes allemands, un des principaux rapporteurs, le professeur Lederer, s’est ouvertement déclaré convaincu de la nécessité d’entraver le progrès technique. Et l’organe dirigeant de l’industrie lourde allemande, Die Deutsche Bergwerks Zeitung, déclarait déjà en 1930, ouvertement et sans aucune explication, que le capitalisme a heureusement la chance d’être encore capable d’entraver le progrès technique.
Depuis la crise économique mondiale actuelle, dans tous les pays capitalistes, en particulier aux États-Unis, ont apparu toute une série de projets qui préconisent des mesures telles que l’interdiction des inventions, le retour au travail manuel, etc.
La contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste est devenue, à l’époque de l’impérialisme, à tel point aiguë que le capitalisme s’est transformé en capitalisme pourrissant. Et malgré le fait qu’à l’époque de l’impérialisme les forces productives croissent tout de même en raison de l’aggravation de la lutte entre les capitalistes…
… la tendance à la stagnation et à la putréfaction propre au monopole continue à agir de son côté et, dans certaines branches d’industrie, dans certains pays, il lui arrive de prendre le dessus pour un certain temps.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 110.
L’exportation du capital et la possession de colonies sont des facteurs qui accentuent la décomposition du capitalisme et transforment l’impérialisme en capitalisme parasitaire. Plus se développent l’exportation du capital et l’exploitation des colonies et plus se développe dans les États impérialistes la couche des capitalistes et de la petite bourgeoisie qui tire son revenu des emprunts étrangers, la couche des gens qui, tout à fait détachés de la production, vivent de la « tonte des coupons »…
… des gens dont l’oisiveté est la profession.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 110.
Cette couche de rentiers s’est accrue encore avant la guerre à tel point que, par exemple, en Angleterre le revenu des rentiers dépassait de cinq fois celui du commerce extérieur (et il faut considérer que l’Angleterre était le pays dont le commerce était le plus développé).
Dans la période d’après-guerre se poursuit la croissance du parasitisme des pays capitalistes. La somme totale des dividendes et des intérêts payés aux États-Unis, malgré une baisse dans les années de la crise, a passé de 1,8 milliard de dollars en 1913 à 6,1 milliards de dollars en 1933. En Angleterre, les revenus des titres à intérêts sont passés de 95 684 000 livres sterling en 1913-14 à 343 743 000 livres sterling en 1931-32, ce qui fait 10 % du revenu national du pays. Mais les revenus de ceux qui touchent la rente sur les investissements à l’étranger croissent d’une façon encore plus intensive. Ainsi, aux États-Unis, le revenu national de 1932 est presque égal à celui de 1915, mais les revenus tirés des investissements à l’étranger, y compris le remboursement de dettes de guerre, ont augmenté de plus de trois fois.
L’exportation du capital, une des bases économiques essentielles de l’impérialisme, accroît encore l’isolement complet de la couche des rentiers envers la production, donne un cachet de parasitisme à l’ensemble du pays, vivant de l’exploitation du travail de quelques pays et colonies transocéaniques.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 110.
L’impérialisme c’est la domination du capital financier d’un petit groupe de pays sur le reste du monde, et c’est pourquoi, avec la croissance de la couche des rentiers, ces pays impérialistes deviennent des États rentiers qui dominent et exploitent tous les autres pays. Les États impérialistes se transforment en États rentiers parasitaires qui soutirent des surprofits fabuleux des colonies et des semi-colonies. À cette occasion surviennent des changements considérables dans les métropoles elles-mêmes, changements qui témoignent du parasitisme et de la décomposition toujours croissante du capitalisme. À côté de la situation sans cesse aggravée des masses prolétariennes, on constate le développement de l’industrie de luxe, la croissance du nombre des domestiques, des personnes occupées à servir la bourgeoisie dans les restaurants, hôtels de luxe, villes d’eaux, théâtres, etc. ; par contre, le nombre des ouvriers occupés dans les principales branches de l’industrie diminue. Ainsi, en Angleterre, le nombre des salariés occupés dans les branches qui produisent des objets de consommation pour la bourgeoisie s’est accru, de 1923 à 1930, de 28 %, tandis que le nombre des ouvriers des principales branches d’industrie a diminué de 30 %.
Le caractère parasitaire et la décomposition de l’impérialisme se manifestent avec le plus d’éclat dans la croissance du militarisme. En premier lieu, la croissance de l’industrie de guerre signifie que des forces productives énormes sont détournées de leur destination pour produire des moyens de destruction. À l’époque de l’impérialisme, aucune branche d’industrie ne peut rattraper l’industrie de guerre. Dans aucune branche d’industrie il ne se fait autant d’inventions et de perfectionnements que dans l’industrie de guerre. En second lieu, la guerre elle-même c’est la destruction directe des forces productives dans des proportions gigantesques, catastrophiques.
L’impérialisme, c’est le capitalisme dépérissant
Ainsi, à l’époque de l’impérialisme, la contradiction entre les forces productives sociales, déjà complètement mûres pour la socialisation, et les rapports de production capitalistes est parvenue à un tel degré d’acuité que, pour autant que le capitalisme continue d’exister et ne cède pas la place au socialisme, sa décomposition commence.
De tout ce qui a été dit plus haut sur la nature économique de l’impérialisme, il ressort qu’on doit le caractériser comme un capitalisme de transition, ou, plus exactement, un capitalisme agonisant.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 138.
Lorsque nous disons que l’impérialisme, c’est le capitalisme agonisant, cela ne signifie certainement pas que le capitalisme meure de lui-même. La décomposition du capitalisme signifie une aggravation extrême des contradictions de classe, en premier lieu de la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat. L’oppression du capital financier devient à tel point insupportable, la paupérisation du prolétariat grandit à tel point que la révolte de celui-ci contre le régime capitaliste devient tout à fait inévitable.
7. L’aggravation des contradictions de classe à l’époque de l’impérialisme
L’aggravation de la situation du prolétariat
L’accumulation du capital, sa concentration et sa centralisation s’accompagnent d’une aggravation absolue de la situation de la classe ouvrière. C’est la loi générale, absolue, du capitalisme. De cela seul il ressort déjà qu’à l’époque de l’impérialisme, quand la concentration atteint un si haut degré de développement qu’elle engendre le monopole, l’appauvrissement de la classe ouvrière doit s’accentuer à l’extrême. Cela s’exprime tout d’abord par la croissance de l’armée de réserve. Les données sur le chômage (voir le chapitre 6, paragraphe 4) attestent avec suffisamment de clarté cette force croissante de l’armée industrielle de réserve dans la période de l’impérialisme.
Avec la croissance de la concentration et de la composition organique du capital, croissent également l’intensité du travail, l’emploi du travail des femmes et des enfants, etc.
Si avant le commencement du 20e siècle, c’est-à-dire avant l’époque de l’impérialisme, se produisait parfois une certaine hausse des salaires réels (ce qui ne signifiait pas, bien entendu, la cessation de l’appauvrissement absolu du prolétariat), avec la période de l’impérialisme commence une baisse générale des salaires réels (voir le chapitre 6, paragraphe 5).
À l’époque de l’impérialisme, à côté de la croissance de l’organisation de la classe ouvrière grandit l’organisation du capital. Les monopoles utilisent leur organisation avant tout contre la classe ouvrière. Les ouvriers sont en présence non plus de capitalistes isolés, mais d’organisations monopolistes de capitalistes qui créent des fonds spéciaux pour combattre les grèves, qui procèdent avec ensemble à la réduction des salaires, etc. Dans leur attaque contre le niveau de vie de la classe ouvrière, les unions monopolistes utilisent de plus en plus un moyen de lutte dont elles ne se servaient presque pas auparavant, à savoir les lock-out, c’est-à-dire le licenciement simultané des ouvriers de toute une branche d’industrie. Ainsi, par exemple, en Allemagne, le rapport du nombre des lock-out au nombre total des conflits entre le Travail et le Capital en 1900 était de 5,4 et en 1906 de 12,1 %. L’accentuation de la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie à l’époque de l’impérialisme apparaît avec un relief particulier dans le tableau suivant (Allemagne) :
Années | Total des ouvriers englobés par les grèves et les lock-out | Dont grévistes | En % | Dont ouvriers lock-outés | En % |
1899-1903 | 97 059 | 83 384 | 86,4 | 13 675 | 13,6 |
1904-1908 | 277 817 | 210 933 | 75,4 | 66 884 | 24,6 |
1909-1913 | 327 593 | 226 187 | 69 | 101 406 | 31 |
Nous constatons ici, en premier lieu, la croissance générale du nombre des ouvriers ayant participé à des conflits économiques avec la bourgeoisie et, en second lieu, la croissance du nombre des lock-out en tant que moyen de lutte du capital monopoliste contre le prolétariat.
La croissance de la force et de la puissance du capital, la croissance de son organisation rendent insuffisants les anciens procédés de lutte de la classe ouvrière contre la bourgeoisie : la classe ouvrière se trouve de plus en plus en face de la nécessité de renverser par la force la domination du Capital.
L’impérialisme, c’est la toute-puissance des trusts et des consortiums monopolisateurs, des banques et de l’oligarchie financière dans les pays industriels. Dans la lutte contre cette toute-puissance, les méthodes habituelles de la classe ouvrière — syndicats et coopératives, partis parlementaires et lutte parlementaire — se sont révélées absolument insuffisantes. Ou bien livre-toi à la merci du Capital, végète comme par le passé et descends toujours plus bas, ou bien prends une nouvelle arme ; c’est ainsi que l’impérialisme pose la question devant les masses innombrables du prolétariat. L’impérialisme amène la classe ouvrière à la révolution.
C’est Ségal qui souligne. J. Staline : Des principes du léninisme, p. 8-9. Bureau d’éditions, 1936.
À l’époque de l’impérialisme mûrissent non seulement les prémices économiques du socialisme, mais aussi la force révolutionnaire du prolétariat, qui est appelé à renverser la domination du Capital et, après avoir établi sa dictature, à construire la société communiste.
L’aristocratie ouvrière et l’opportunisme
Cependant, le capital financier trouve encore pour un certain temps des moyens de prolonger artificiellement l’existence du capitalisme pourrissant. Ces moyens, ce n’est pas seulement le renforcement de l’oppression sur la classe ouvrière, le renforcement de la répression (police, armée, etc.), mais aussi la corruption de la couche supérieure de la classe ouvrière, la création dans la classe ouvrière elle-même d’une couche destinée à scissionner de l’intérieur les forces de la classe ouvrière et à détourner les grandes masses ouvrières de l’action révolutionnaire.
Cette corruption s’effectue directement par la distribution de sinécures et de pots-de-vin aux chefs des syndicats, des partis politiques, aux rédacteurs de journaux, etc. Cette corruption s’opère aussi par l’augmentation des salaires de l’aristocratie ouvrière, c’est-à-dire de la couche des ouvriers hautement qualifiés, aux dépens des surprofits coloniaux.
La couche supérieure de la classe ouvrière corrompue par la bourgeoisie s’efforce de maintenir dans la classe ouvrière les illusions sur la possibilité d’une amélioration de sa situation en régime capitaliste, les illusions sur les méthodes parlementaires et sur la possibilité d’un passage pacifique au socialisme, elle sème dans la classe ouvrière le nationalisme et le chauvinisme et le fait servir à l’accomplissement des desseins de la bourgeoisie impérialiste. En un mot, elle est la propagatrice de l’opportunisme et de l’influence bourgeoise dans la classe ouvrière. Non seulement elle détourne par son idéologie la classe ouvrière de l’action révolutionnaire contre le capitalisme, mais, ayant entre ses mains l’appareil syndical, les caisses d’assurances, les coopératives ouvrières, etc., elle brise ainsi la lutte organisée de la classe ouvrière, les grèves, etc.
L’opportunisme scinde le mouvement ouvrier et affaiblit la force de l’ennemi principal de la bourgeoisie, le prolétariat révolutionnaire. Bien qu’à l’époque de l’impérialisme aient mûri toutes les conditions de la révolution prolétarienne, la bourgeoisie impérialiste, grâce à la scission du mouvement ouvrier, réussit artificiellement à différer sa ruine pour un certain temps.
La bourgeoisie crée et entretient ses agents dans la classe ouvrière à l’aide d’une partie de ses surprofits coloniaux. Cela signifie que la base économique de l’opportunisme, c’est le parasitisme et la décomposition du capitalisme. Mais précisément il découle aussi de cela que l’influence de l’opportunisme dans la classe ouvrière ne peut être que temporaire, que c’est seulement un moyen artificiel de la bourgeoisie de retarder la fin inévitable du capitalisme dépérissant. Et, en effet, chaque moyen de salut du capitalisme pourrissant ne peut être qu’un moyen artificiel.
L’enveloppe capitaliste a cessé de correspondre à son contenu et aux forces productives mûres pour le socialisme, et…
… sa putréfaction pourra durer assez longtemps (si, au pis aller, la guérison de l’abcès opportuniste traîne en longueur), mais elle sera néanmoins, fatalement, éliminée.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 139.
L’aggravation sans précédent des contradictions de classe, amenée par l’impérialisme, conduit inévitablement au fait que s’accentue…
… l’incompatibilité de l’opportunisme avec les intérêts généraux et vitaux du mouvement ouvrier.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 128.
L’oppression de l’oligarchie financière s’accentue à tel point que le rôle de l’opportunisme, en tant qu’agent de la bourgeoisie dans la classe ouvrière, devient de plus en plus clair aux grandes masses de la classe ouvrière.
D’autre part, le développement de l’impérialisme conduit inévitablement à l’épuisement des sources avec lesquelles la bourgeoisie entretient ses agents dans la classe ouvrière. En effet, avec le développement de l’impérialisme, s’aggravent non seulement les contradictions à l’intérieur des pays impérialistes, mais aussi les contradictions entre les métropoles et les colonies, ainsi qu’entre les pays impérialistes.
Le mouvement révolutionnaire dans les colonies
En exportant des capitaux dans les colonies et les pays vassaux, l’impérialisme y développe l’industrie ; il s’y crée un prolétariat, qui se trouve sous une double oppression, sous l’oppression de « sa » bourgeoisie et sous l’oppression du capital financier des pays impérialistes. Cette double oppression pèse également sur les millions de paysans des colonies et des pays vassaux. À l’oppression économique vient aussi s’ajouter l’oppression coloniale. Tout cela renforce dans les colonies et les pays vassaux le mouvement révolutionnaire contre l’impérialisme. La bourgeoisie des pays coloniaux et celle des pays impérialistes se trouvent du point de vue de classe dans le même camp : l’une comme l’autre exploite le prolétariat et la paysannerie des colonies. Mais, entre elles, il existe aussi des contradictions : la bourgeoisie coloniale est privée de l’indépendance politique et nationale et elle vise à monopoliser l’exploitation de « son » pays. Dans les débuts de la lutte contre l’impérialisme, le prolétariat utilise ces contradictions pour renforcer la lutte pour la libération nationale.
La lutte de libération dans les colonies, l’aggravation croissante des contradictions entre la bourgeoisie impérialiste et la population exploitée des pays coloniaux et vassaux, qui forme la majorité écrasante de la population de tout le globe, rétrécit de plus en plus les sources de surprofit du capital financier et par cela même diminue les sources de corruption de la couche supérieure de la classe ouvrière.
La croissance du mouvement révolutionnaire dans les colonies a une énorme importance pour la révolution prolétarienne.
Le renforcement du mouvement révolutionnaire dans toutes les colonies et dans tous les pays dépendants sans exception… importe au prolétariat en ce sens qu’il sape à la base les positions du capitalisme, en transformant les colonies et les pays dépendants, de réserves de l’impérialisme en réserves de la révolution prolétarienne.
J. Staline : Des principes du léninisme, p. 9.
L’aggravation des contradictions entre impérialistes
Enfin, un des facteurs les plus importants qui affaiblissent l’impérialisme, ce sont les contradictions entre les pays impérialistes, la lutte pour un nouveau partage du monde, qui conduit inéluctablement à des guerres mondiales. D’une part, la guerre signifie des calamités innombrables pour la classe ouvrière et pour tous les travailleurs, ce qui aggrave à l’extrême les contradictions de classe à l’intérieur des pays impérialistes. D’autre part, la lutte des impérialistes entre eux les affaiblit réciproquement et renforce par cela même les positions du prolétariat révolutionnaire.
Cette lutte entre les impérialistes…
… conduit à l’affaiblissement réciproque des impérialistes, à l’affaiblissement de la position du capitalisme en général, au rapprochement de l’heure de la révolution prolétarienne, à la nécessité pratique de cette révolution.
J. Staline : Des principes du léninisme, p. 9.
Ainsi l’affaiblissement réciproque des pays impérialistes facilite la formation…
… d’un front unique mondial de la révolution contre le front mondial de l’impérialisme.
J. Staline : Des principes du léninisme, p. 30.
L’impérialisme est la veille de la révolution prolétarienne
La combinaison de ces trois séries de contradictions :
1. les contradictions entre la bourgeoisie et le prolétariat ; 2. les contradictions entre les métropoles et les colonies, et 3. les contradictions entre les pays impérialistes, rend inévitable la victoire de l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat sur l’opportunisme et conduit la classe ouvrière à la révolution prolétarienne.
Cette intensification des contradictions est la force motrice la plus puissante de la période historique de transition ouverte par le triomphe définitif du capital financier mondial.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 135.
L’impérialisme est un stade de transition, la dernière, la suprême étape du capitalisme.
L’impérialisme est la veille de la révolution sociale du prolétariat.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 20.
Comme l’impérialisme porte les forces productives à leur complète maturité pour la socialisation, comme il est le capitalisme parasitaire, pourrissant, agonisant, il porte par cela même les contradictions de classe à leur plus haut degré d’acuité et prépare l’explosion révolutionnaire.
8. Les « théories » social-démocrates de l’impérialisme
Même les économistes bourgeois se rendent compte que l’impérialisme représente quelque chose de nouveau en comparaison de la période précédente du développement du capitalisme. Ces nouveaux phénomènes — la formation de monopoles gigantesques, le changement radical dans le rôle des banques, etc. — sont si clairs et si évidents qu’il est tout à fait impossible de se borner à les nier. Les savants bourgeois consacrent d’énormes travaux « scientifiques » à la description des cartels, des banques, aux problèmes de l’exportation du capital, etc. Mais dans le meilleur des cas, ils ne donnent qu’une description extérieure de tous ces phénomènes de l’étape impérialiste du développement du capitalisme. Ils ne peuvent expliquer d’une façon réellement scientifique la portée de tous ces phénomènes, le rôle historique de l’impérialisme. En premier lieu, l’économie politique bourgeoise a déjà depuis longtemps cessé d’être une science, bien avant l’impérialisme, dès la première moitié du 19e siècle. En second lieu, toute tentative d’aborder d’une façon réellement scientifique l’étude de l’impérialisme doit inévitablement aboutir à la constatation du fait que l’impérialisme est la dernière étape du capitalisme, ce qui équivaut à un arrêt de mort prononcé contre le capitalisme. Les théoriciens social-démocrates ne peuvent ouvertement intervenir devant les masses ouvrières en tant que défenseurs de l’impérialisme, ils doivent se dissimuler derrière une phraséologie marxiste ou, en tout cas, faire semblant d’exprimer l’impérialisme sur la base de la doctrine marxiste du capitalisme, alors qu’en réalité ils falsifient et déforment Marx.
La théorie de l’impérialisme de Kautsky
Arrêtons-nous d’abord sur la théorie de l’impérialisme formulée par Kautsky déjà à l’époque de la guerre mondiale. Kautsky affirmait que l’impérialisme est la politique préférée des pays industriels hautement développés en vue de la conquête des pays agraires.
Cette définition de Kautsky renferme deux points extrêmement importants qui visent à détourner l’attention et les forces du prolétariat de la lutte contre l’impérialisme.
En premier lieu, Kautsky considère l’impérialisme comme la politique du capital industriel. Par conséquent, il n’accorde aucune importance à ce qu’il y a de nouveau dans l’impérialisme, à la domination des monopoles et du capital financier. Par cela même, Kautsky nie la nécessité pour le prolétariat de se poser de nouvelles tâches dans la lutte contre l’impérialisme et d’appliquer de nouvelles méthodes de lutte.
En second lieu, pour Kautsky, l’impérialisme est la politique, et encore seulement la politique préférée, du capital industriel. Par conséquent, Kautsky nie par cela même que l’impérialisme soit un stade de développement du capitalisme, il présente la chose comme si la bourgeoisie pouvait appliquer aussi une autre politique, non impérialiste ; il affirme même que cette politique de conquête est désavantageuse pour la bourgeoisie elle-même. Kautsky détache la politique de l’économie et appelle seulement à la lutte contre la politique impérialiste. Mais une lutte contre la politique de la bourgeoisie, qui n’attaque pas la base de cette politique, la base économique, n’est pas une véritable lutte.
C’est pourquoi la théorie de Kautsky est une théorie du renoncement à la lutte contre l’impérialisme ; elle est un soutien pour l’impérialisme.
La théorie du « surimpérialisme »
La théorie du « surimpérialisme » de Kautsky est intimement liée à sa définition de l’impérialisme. Kautsky affirme que le développement économique conduit à un tel enchevêtrement des intérêts de la bourgeoisie des différents pays qu’il devient de plus en plus désavantageux pour la bourgeoisie d’user d’un moyen de lutte tel que la guerre. Le développement économique lui-même pousse prétendument la bourgeoisie à la solution pacifique des conflits et à des ententes, à la formation d’une économie capitaliste mondiale, unique et organisée. Le développement de l’impérialisme conduit au surimpérialisme.
Cette « théorie » prend pour point de départ l’hypothèse que le développement du capitalisme se poursuit d’une façon égale dans tous les pays et que, par conséquent, le rapport des forces entre la bourgeoisie des divers pays ne change pas. Mais, en réalité, comme nous l’avons déjà montré plus haut, non seulement le développement est inégal, mais cette inégalité s’accentue à l’époque de l’impérialisme. C’est pourquoi le rapport des forces entre les pays impérialistes change constamment et lorsque le monde entier est déjà partagé et la lutte engagée pour un nouveau partage, cela amène inévitablement des guerres. Car…
… y avait-il, sur les bases du capitalisme, un moyen autre que la guerre de remédier à la disproportion entre le développement des forces productives et l’accumulation des capitaux, d’une part, et le partage des colonies et des « sphères d’influence » par le capital financier, de l’autre ?
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 108.
La théorie du « surimpérialisme », élaborée par Kautsky au plus fort de la guerre impérialiste mondiale, avait pour but de semer dans la classe ouvrière l’illusion qu’après cette guerre devait venir une paix éternelle, que cette guerre était « la dernière ». Cette « théorie » devait, par conséquent, détourner l’attention de la classe ouvrière de la cause réelle des guerres impérialistes et de l’unique moyen d’en finir avec la guerre, de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Cette « théorie » appelait le prolétariat à soutenir « sa » bourgeoisie dans cette guerre.
La théorie du « surimpérialisme » n’est donc pas seulement fausse, elle est entièrement hostile aux intérêts de classe du prolétariat, elle sert…
… uniquement au plus réactionnaire des buts : à détourner l’attention de la profondeur des contradictions en présence.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 104.
La théorie du « capitalisme organisé »
Après la guerre, surtout dans la période de la stabilisation partielle du capitalisme, la social-démocratie a lancé la théorie du capitalisme organisé, qui est la continuation directe de la théorie du surimpérialisme. D’après cette théorie, les monopoles suppriment totalement la concurrence qu’ils remplacent par l’organisation planifiée de toute l’économie, dans les limites de tout un pays et ensuite à l’échelle mondiale.
Hilferding, qui a développé cette « théorie », estime que le capitalisme organisé signifie en réalité la substitution au principe capitaliste de la libre concurrence du principe socialiste de la production planifiée. Et, à sa suite, toute la social-démocratie déclara que l’humanité était déjà entrée dans la phase socialiste ; l’impérialisme serait non du capitalisme tardif, mais déjà du « socialisme précoce ».
La théorie du capitalisme organisé est aussi fausse que sa devancière, la théorie du surimpérialisme. L’inégalité, d’ailleurs toujours, croissante du développement existe non seulement entre les pays, mais aussi à l’intérieur d’un même pays entre les différentes branches de la production, entre les diverses unions monopolistes à l’intérieur d’une même branche, etc.
Comme le monopole reste un monopole capitaliste, c’est-à-dire basé sur la propriété privée capitaliste, il ne peut abolir la concurrence, mais coexiste avec elle. Il en ressort tout à fait clairement l’absurdité des affirmations de la social-démocratie selon lesquelles le capitalisme peut se transformer en un capitalisme organisé et abolir les crises.
Que les cartels évitent les crises, c’est là un conte fantaisiste des économistes bourgeois disposés à tout prix à rendre moins hideux le capitalisme. Au contraire, le monopole créé dans certaines branches d’industrie, augmente, aggrave le chaos inhérent à l’ensemble de la production capitaliste.
Lénine : l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, p. 36.
La légende social-démocrate du « capitalisme organisé » n’a rien de commun avec la réalité. La meilleure preuve en est la crise économique actuelle qui a éclaté en 1929 et a porté un coup mortel à la théorie du « capitalisme organisé ».
Si la théorie du « surimpérialisme » avait été élaborée dans le but d’amener la classe ouvrière à soutenir la bourgeoisie dans sa guerre de pillage pour un nouveau partage du monde, avec la théorie du « capitalisme organisé » la social-démocratie se donnait pour tâche d’amener la classe ouvrière à soutenir la bourgeoisie dans sa tentative de trouver une issue à la profonde crise générale dans laquelle le capitalisme est tombé lors du déclenchement de la guerre mondiale et surtout avec le début de la révolution prolétarienne.
La bourgeoisie a tenté de trouver cette issue par la voie de la rationalisation capitaliste, qui signifie une exploitation féroce, sans précédent, de la classe ouvrière.
La théorie de la « démocratie économique »
La social-démocratie, était le défenseur le plus acharné de la rationalisation capitaliste. Pour obliger les ouvriers à soutenir cette rationalisation, les théoriciens social-démocrates ont formulé la théorie du « capitalisme organisé », qui est, paraît-il, déjà du socialisme, et ils ont cherché à prouver aux ouvriers que ceux-ci faisaient des sacrifices, non au capitalisme, mais à eux-mêmes, que dans le capitalisme organisé domine la « démocratie économique », que la classe ouvrière participe déjà à la direction de l’économie, que les cartels et les trusts représentent des éléments du socialisme, que la toute-puissance du capital arrive à sa fin, etc.
Il est aisé de voir que toutes ces « théories » ont pour but de duper les masses. Il existe bien une organisation dans chaque usine capitaliste et néanmoins elle ne cesse pas d’être capitaliste. C’est pourquoi l’organisation capitaliste de la production, qui dépasse les limites d’une entreprise et embrasse (dans les limites d’un consortium ou d’un trust) un grand nombre d’entreprises, n’est pas non plus du socialisme. Voir du socialisme partout où il y a des éléments d’organisation, cela signifie supprimer tout à fait la différence entre le capitalisme et le socialisme.
Là où les moyens de production sociaux appartiennent aux capitalistes et non à la classe ouvrière, il n’y a pas de socialisme, quel que soit le nombre des éléments d’organisation.
Il n’y a rien de socialiste dans l’élargissement de l’organisation de la production au-delà du cadre d’une seule entreprise. Les entreprises ne deviennent socialistes que lorsqu’elles sont expropriées et deviennent la propriété collective de la classe ouvrière dans la personne de son État.
Dans la période du capitalisme monopoliste, il ne se forme pas d’éléments de socialisme ; nous observons seulement la complète maturité des prémices pour la transition au mode socialiste de production. En même temps, les contradictions de classes s’aggravent à l’extrême et une explosion révolutionnaire se prépare contre le capitalisme.
La période de transition du capitalisme au communisme ne commence que du jour où la dictature du prolétariat est instaurée.
Entre la société capitaliste et la société communiste, dit Marx, se place la période de la transformation révolutionnaire de la première en la seconde. À quoi correspond une période de transition politique où l’État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat.
K. Marx et F. Engels : Critiques des programmes de Gotha et d’Erfurt, p. 33. Bureau d’éditions, 1933.
La social-démocratie présente le capitalisme monopoliste comme le véritable commencement du socialisme, afin de détourner la classe ouvrière du renversement révolutionnaire du capitalisme, afin de sauver le capital agonisant.
La théorie du « capitalisme d’État »
Après que, devant la crise actuelle, les théories du « capitalisme organisé » et de la « démocratie économique » eurent entièrement fait faillite, la social-démocratie tenta de les faire reparaître sous la forme de la théorie du « capitalisme d’État ». Lorsque, en 1931, commença la série des faillites des grandes banques, des trusts et des konzerns, le capital monopoliste se mit à utiliser de façon intensive le trésor de l’État pour sauver les entreprises en faillite et pour prévenir de nouvelles banqueroutes. L’État accorde à ces entreprises d’énormes subventions sous la forme d’achat d’une partie de leurs actions, et il se procure les moyens de le faire par l’augmentation des impôts, par la réduction des secours aux chômeurs et aux invalides, par la compression des dépenses pour l’instruction publique, etc. Ce pillage des masses travailleuses au profit de l’oligarchie financière est présenté par les chefs social-démocrates comme une intervention de l’État (qui, selon la théorie social-démocrate, n’est pas un État de classe, mais un État « au-dessus des classes », l’État « de tout le peuple ») dans les affaires des capitalistes ; en achetant une partie des actions, l’État, paraît-il, devient un des associés des entreprises sauvées et obtient le contrôle de ces entreprises qui cessent d’être capitalistes et deviennent prétendument des organismes de capitalisme d’État ne se distinguant en rien des organismes socialistes.
Mais même si ces entreprises passaient entièrement entre les mains de l’État, même si elles devenaient vraiment des organismes de capitalisme d’État, elles ne seraient pas socialistes parce que, dans la société bourgeoise, l’État n’est que l’organe exécutif de la classe des capitalistes. En son temps, Engels a raillé impitoyablement les « socialistes » qui voyaient dans la construction des chemins de fer d’État le commencement du socialisme :
ce n’était nullement là des mesures socialistes, directes ou indirectes, conscientes ou inconscientes. Autrement ce seraient des institutions socialistes que la Société royale de commerce maritime, la Manufacture royale de porcelaine, et même, dans la troupe, le tailleur de compagnie […].
Engels : Anti-Dühring, p. 317.
Et la social-démocratie actuelle appelle non seulement capitalisme d’État, mais même socialisme le fait que l’État fait passer l’argent des poches des masses populaires exploitées dans les poches des capitalistes en faillite. Lorsqu’en 1931 fut publié le décret extraordinaire du gouvernement allemand sur les subventions aux banques, sur l’augmentation des impôts et sur la réduction des salaires et des dépenses sociales, un des chefs de la social- démocratie allemande, Hilferding, déclara tout net que ce décret était… un morceau de socialisme.
Les théories de Trotski et des opportunistes de droite sur l’impérialisme
Le trotskisme et l’opportunisme de droite ont, bien que sous des formes différentes, adopté dans son essence la théorie social-démocrate de l’impérialisme.
Déjà, au cours de la guerre de 1914-1918. Trotski lança le mot d’ordre des « États-Unis d’Europe », entièrement basé sur la théorie kautskiste du surimpérialisme. Trotski affirmait que le développement du capitalisme conduit à une union des États capitalistes de l’Europe en un trust impérialiste unique et que cette union serait un pas en avant. Trotski ne lançait pas le mot d’ordre de la révolution prolétarienne et de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, mais le mot d’ordre des « États-Unis d’Europe » dans le régime capitaliste.
Lénine dévoila immédiatement ce mot d’ordre et montra qu’il découle de la négation de l’inégalité grandissante du développement à l’époque de l’impérialisme et signifie la négation de la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays. Les « États-Unis » de l’Europe capitaliste, c’est-à-dire le surimpérialisme, sont impossibles en raison de l’accentuation de l’inégalité du développement. Mais en admettant même la possibilité d’une telle union de l’Europe capitaliste, elle amènerait, en réalité, un renforcement de l’impérialisme et de son oppression dans les métropoles et les colonies.
La théorie kautskiste du « surimpérialisme » adoptée par Trotski sous la forme du mot d’ordre des « États-Unis d’Europe » constitue, comme nous le montrerons dans le paragraphe suivant, la base de sa théorie de l’impossibilité, de construire le socialisme en U.R.S.S. Ce n’est pas par hasard que le trotskisme s’est transformé en avant-garde de la bourgeoisie contre-révolutionnaire et ce n’est pas par hasard que Trotski, conjointement avec Kautsky, lutte contre l’U.R.S.S.
L’opportunisme de droite a également adopté, mais sous une autre forme, la théorie social-démocrate de l’impérialisme. Ainsi, le camarade Boukharine affirmait que dans le capitalisme contemporain l’anarchie est de plus en plus évincée par l’organisation, que nous assistons à l’établissement du capitalisme d’État qui
… signifie l’affaiblissement de la concurrence à l’intérieur de chaque pays et une très forte aggravation de la concurrence entre les pays capitalistes.
Pravda, 26 mai 1929.
Mais la théorie de l’affaiblissement de la concurrence à l’intérieur de chaque pays n’est rien d’autre que la théorie du « capitalisme organisé ». Il est vrai que le camarade Boukharine estimait que la concurrence s’accentuait sur le marché mondial, mais cette affirmation contredit son autre affirmation concernant l’affaiblissement de la concurrence à l’intérieur de chaque pays. Car si le capitalisme organisé est possible dans les limites d’un seul pays, c’est-à-dire si le « capitalisme organisé » est possible en général, il doit l’être aussi à l’échelle mondiale.
Ce n’est pas par hasard que la déviation de droite a adopté la théorie social-démocrate du « capitalisme organisé ». Cette théorie a ses racines dans toute la conception théorique générale des droitiers (la compréhension de la valeur comme une « loi de l’équilibre » et par cela même la dissimulation des contradictions du capitalisme, la « loi de la dépense du travail », la réduction des rapports de production à la technique, etc.). Elle n’est qu’une partie composante de toute la plate-forme de la déviation de droite et on ne peut l’en séparer. C’est précisément de là que découle l’appréciation par les droitiers de la période de stabilisation partielle et précaire du capitalisme comme d’une stabilisation durable et solide, la capitulation de fait des droitiers devant l’idéologie et la politique de la social-démocratie au lieu d’une lutte implacable contre elle. Voilà pourquoi l’Internationale communiste menait et mène une lutte impitoyable contre les opportunistes de droite comme les agents de la social-démocratie dans les rangs des partis communistes. Exclus de l’Internationale communiste, les renégats droitiers (Brandler, Lovestone, et autres), de même que les trotskistes, ont entièrement dévoilé leur nature contre-révolutionnaire en intervenant ouvertement, conjointement avec les chefs social-démocrates, contre le communisme.
La théorie de Rosa Luxembourg
En conclusion, arrêtons-nous encore sur la théorie semi-menchévik de l’impérialisme de Rosa Luxembourg. Nous avons déjà plus haut pris connaissance de la théorie de l’accumulation de Rosa Luxembourg. Cette dernière est la base de sa théorie de l’impérialisme selon laquelle l’impérialisme est conditionné par l’impossibilité de l’accumulation dans un régime capitaliste pur, c’est-à-dire dans une société capitaliste qui comprend seulement des ouvriers et des capitalistes. L’impérialisme, c’est, selon son opinion, la politique de la soumission des « tierces personnes », c’est-à-dire des pays agraires arriérés, aux pays industriels capitalistes, hautement développés, politique qui découle de l’impossibilité de l’accumulation.
Il n’est pas difficile de voir que Rosa Luxembourg, pareillement à Kautsky, nie l’impérialisme en tant qu’étape particulière dans le développement du capitalisme. Elle déduit l’impérialisme non pas du fait que le capitalisme a subi des modifications internes essentielles (domination des monopoles, capital financier), mais de l’existence d’une prétendue impossibilité de l’accumulation en régime capitaliste pur. Mais si l’impérialisme découle de l’impossibilité de l’accumulation, c’est que le capitalisme a toujours été impérialiste, car l’accumulation, selon Rosa Luxembourg, n’est jamais possible en régime capitaliste pur. Par conséquent, l’impérialisme existe depuis qu’existe le capitalisme, il n’est pas une étape de son développement.
Selon Rosa Luxembourg, les crises découlent non de la contradiction intérieure fondamentale du capitalisme, mais de la contradiction extérieure entre le capitalisme et les « tierces personnes » non capitalistes. De même, l’impérialisme n’est pas non plus le produit du développement des contradictions intérieures du capitalisme, mais l’expression de cette contradiction extérieure. Mais il s’ensuit que le capitalisme devra périr non du développement de ses contradictions intérieures, mais de la disparition des « tierces personnes » qui rendent possible l’accumulation du capital. Il est vrai que Rosa Luxembourg faisait cette réserve que la révolution prolétarienne aura lieu bien avant la disparition de ces « tierces personnes ». Mais cette réserve contredit sa théorie dont il découle que le capitalisme peut exister tant qu’existeront les « tierces personnes », les petits producteurs.
Il ressort de la théorie de l’impérialisme de Rosa Luxembourg que le capitalisme s’effondrera automatiquement et que cet effondrement doit avoir lieu quand disparaîtra la possibilité de l’accumulation. À l’opposé de l’aile opportuniste de la social-démocratie d’avant-guerre, Rosa Luxembourg se prononçait pour la nécessité de la révolution prolétarienne. Mais elle se représentait cette révolution uniquement comme un acte spontané. Ainsi, de même que l’aile opportuniste (y compris Trotski), elle niait la nécessité du parti en tant qu’avant-garde révolutionnaire, en tant que chef dirigeant et organisateur du prolétariat en vue de la révolution, et se mit du côté des mencheviks contre les bolcheviks dans la question des statuts du parti.
De sa théorie de l’accumulation et de l’impérialisme, il découle que le capitalisme fera automatiquement naufrage, et cette dernière affirmation conduit Rosa Luxembourg à compter sur le mouvement spontané des masses. C’est précisément pour cela que Rosa Luxembourg considérait la grève générale, et non l’insurrection armée comme l’arme principale de la révolution.
Tout en menant à la tête de l’aile gauche de la social-démocratie allemande d’avant la guerre, la lutte contre l’opportunisme, Rosa Luxembourg dans les problèmes fondamentaux de la tactique de la révolution prolétarienne, hésitait toutefois entre le menchévisme et le bolchévisme et intervint souvent contre le bolchévisme. Les social-démocrates de gauche dans l’Allemagne d’avant-guerre…
… possèdent également un grand et sérieux bagage révolutionnaire… C’est justement pour cela que les bolcheviks les considéraient comme des social-démocrates de gauche, les soutenaient et les poussaient en avant. Mais cela ne supprime pas et ne peut pas supprimer le fait que les social-démocrates de gauche en Allemagne commirent en même temps toute une série d’erreurs politiques et théoriques des plus graves, qu’ils ne s’étaient pas encore libérés de leur bagage menchevik et, par conséquent, avaient besoin de la critique la plus sérieuse de la part des bolcheviks.
J. Staline : « Sur quelques questions de l’histoire du bolchévisme », Internationale communiste, 15 nov.-1er déc. 1931, p. 1612.
C’est pourquoi toute tentative de présenter la question comme si les bolcheviks sous-estimaient les erreurs des « gauches » n’est rien d’autre qu’une tentative de faire reparaître la calomnie trotskiste suivant laquelle les bolcheviks ne sont devenus de véritables marxistes révolutionnaires que lorsqu’en 1917 ils se sont prétendument « réarmés » par l’étude de la théorie et de la tactique menchéviks de Trotski.
Ainsi nous voyons que la seule théorie juste et scientifique est la théorie léniniste de l’impérialisme qui continue et développe la doctrine de Marx de la ruine du capitalisme. Le grand mérite de Lénine consiste non seulement dans la découverte du fait que l’impérialisme est la veille de la révolution prolétarienne, mais aussi dans le fait que, sur la base de l’analyse des lois de l’impérialisme, il a développé la doctrine de Marx et d’Engels de la révolution prolétarienne et de la dictature du prolétariat. Le grand mérite de Lénine consiste également dans le fait que, après avoir découvert la loi du développement inégal des différents pays â l’époque de l’impérialisme, il a aussi découvert qu’il en découle la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays.
9. La loi du développement inégal et la révolution prolétarienne
Marx et Engels ont vécu et lutté dans la période du capitalisme prémonopoliste, lorsque l’inégalité du développement était incomparablement plus faible et avait un caractère tout autre qu’à l’époque de l’impérialisme. C’est pourquoi ils estimaient que la révolution prolétarienne ne peut vaincre que si elle se produit simultanément dans les pays capitalistes des plus développés. Pour le capitalisme prémonopoliste ce point de vue de Marx et d’Engels était tout à fait juste. Mais à l’époque de l’impérialisme, les conditions de la victoire de la révolution prolétarienne ont radicalement changé : la révolution prolétarienne peut commencer et le socialisme peut triompher d’abord dans un seul pays qui n’est pas obligatoirement le pays capitaliste le plus développé.
La victoire du socialisme dans un seul pays
Cette possibilité découle de l’accentuation de l’inégalité du développement politique et économique des divers pays à l’époque de l’impérialisme. Cette inégalité accrue, du moment où le partage du monde est achevé et où il se produit une lutte pour un nouveau partage, devient une force décisive du développement et conduit inévitablement à des guerres impérialistes qui affaiblissent l’impérialisme. Les contradictions entre les États impérialistes s’aggravent à tel point que le prolétariat qui a établi sa dictature dans un seul pays a la possibilité d’utiliser ces contradictions pour renforcer son État et, avec l’appui du prolétariat des autres pays dans lesquels le capitalisme n’est pas encore renversé, pour construire le socialisme.
En utilisant adroitement les contradictions entre les États impérialistes, le prolétariat victorieux dans un seul pays peut retarder l’attaque concertée de tous les États impérialistes contre le pays de la dictature du prolétariat jusqu’au moment où le rapport des forces sera plus favorable à l’État socialiste.
La victoire du socialisme tout d’abord dans un seul pays aggrave les contradictions de classe à l’intérieur des pays impérialistes, elle montre aux grandes masses prolétariennes de ces pays la voie à suivre pour s’affranchir de l’insupportable esclavage capitaliste, elle accélère le déclin de l’influence de l’idéologie réformiste sur la classe ouvrière.
L’inégalité de développement économique et politique est une loi inéluctable du capitalisme. De là, il sied de déduire qu’une victoire du socialisme est possible, pour commencer, dans quelques États capitalistes seulement, ou même dans un seul. Le prolétariat vainqueur dans ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé, chez lui, la production socialiste, se lèverait contre le reste du monde capitaliste, attirant à lui les masses opprimées des autres nations, fomentant chez elles des insurrections contre les capitalistes, employant, au besoin, la force armée contre les classes exploiteuses et leurs États.
Lénine : « Sur le mot d’ordre des États-Unis d’Europe », Contre le courant, t. 1, p. 140. Bureau d’éditions, 1927.
L’impérialisme relie étroitement tous les pays du monde en une économie mondiale unique, l’impérialisme est un système de domination et d’oppression mondiales ; les contradictions créées par l’impérialisme sont des contradictions mondiales. Les contradictions intérieures de chaque pays sont donc une partie composante des contradictions mondiales de l’impérialisme et on ne peut les en séparer. C’est pourquoi…
… il faut maintenant considérer la révolution prolétarienne avant tout comme le résultat du développement des contradictions dans le système mondial de l’impérialisme, comme le résultat de la rupture de la chaîne du front impérialiste mondial dans tel ou tel pays.
J. Staline : Des principes du léninisme, p. 31.
Mais si la révolution prolétarienne est la rupture de la chaîne du front impérialiste mondial, il n’est nullement obligatoire que cette chaîne soit rompue dans le pays capitaliste le plus avancé.
Il peut se faire que le pays qui a commencé la révolution, le pays qui a rompu le front du Capital, soit moins développé sous le rapport capitaliste que les autres pays, plus avancés et restés, cependant, dans le cadre du capitalisme.
J. Staline : Des principes du léninisme, p. 32.
Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’un tel pays puisse être le pays le moins développé au point de vue capitaliste.
Pour que la révolution triomphe dans un pays donné, il est nécessaire qu’il y existe un prolétariat capable de s’organiser pour la victoire sur la bourgeoisie et d’entraîner avec lui les autres masses exploitées, il est nécessaire que dans ce pays, le capitalisme ait déjà atteint un niveau moyen de développement.
Il en fut précisément ainsi en 1917, en Russie : elle était un pays arriéré par rapport à des pays comme la France, l’Allemagne, l’Angleterre, etc. Mais le capitalisme y avait atteint un niveau tel qu’elle avait déjà une grande industrie concentrée, des monopoles et un capital financier, ainsi qu’un prolétariat révolutionnaire ayant à sa tête le Parti bolchevik. Sans être le pays le moins développé, la Russie s’est toutefois trouvée en 1917 le chaînon le plus faible du front impérialiste, car toutes les contradictions fondamentales de l’impérialisme mondial s’y enchevêtraient comme dans un nœud et s’y concentraient à cette époque.
Ce que Lénine a apporté de nouveau dans le marxisme sur la question de la révolution prolétarienne consiste, par conséquent, en ce que, à l’époque de l’impérialisme, la révolution prolétarienne peut commencer et le socialisme peut vaincre d’abord dans un seul pays capitaliste, et ensuite se propager dans les autres pays. Cette théorie de Lénine de la victoire du socialisme dans un seul pays découle directement de sa théorie de l’impérialisme, qui est la continuation directe et le développement du marxisme. Elle a encore été développée par le camarade Staline dans la lutte contre le trotskisme et le bloc zinoviéviste-trotskiste.
Celui qui nie l’accentuation de l’inégalité du développement à l’époque de l’impérialisme et la possibilité de construire le socialisme dans un seul pays, nie en fait la possibilité de la révolution prolétarienne. Si le prolétariat du pays qui s’est trouvé le maillon le plus faible de la chaîne impérialiste et dans lequel le renversement de la bourgeoisie est déjà possible doit ajourner la révolution jusqu’au moment où dans les autres pays se créera également une situation révolutionnaire, cela signifie que la révolution prolétarienne ne commencera jamais. Car l’inégalité du développement rend au plus haut point invraisemblable la création simultanée d’une situation révolutionnaire dans tous les pays capitalistes les plus importants. Les chefs social-démocrates trompent la classe ouvrière en disant qu’ils ne sont pas contre la révolution, mais qu’on ne peut pas la commencer parce que les ouvriers des autres pays ne la commencent pas. Une telle position de la question signifie un renoncement complet à la révolution.
Le trotskisme contre-révolutionnaire défend ce point de vue social-démocrate. Comme nous l’avons vu plus haut, Trotski se place en substance sur le terrain de la théorie du « surimpérialisme » de Kautsky, qui nie l’accentuation de l’inégalité du développement à l’époque de l’impérialisme. C’est pourquoi Trotski est intervenu et intervient contre la théorie léniniste de l’inégalité du développement à l’époque de l’impérialisme et de la possibilité de construire le socialisme dans un seul pays. Il affirme que l’inégalité de développement a toujours été propre au capitalisme et qu’à l’époque de l’impérialisme se produit non une accentuation, mais une atténuation de cette inégalité.
La loi du développement inégal à l’époque de l’impérialisme
En règle générale, le capitalisme ne peut se développer d’une façon uniforme, précisément parce qu’il est le capitalisme avec sa contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste et avec l’anarchie, les crises, etc., etc., qui découlent de cette contradiction fondamentale. Mais l’inégalité s’affaiblit-elle au fur et à mesure que se développe le capitalisme ? Non, elle ne le peut pas, car le développement du capitalisme, c’est le développement de sa contradiction fondamentale. L’atténuation de l’inégalité du développement signifierait l’affaiblissement de la contradiction fondamentale du capitalisme. De ce seul fait, il ressort déjà que l’impérialisme étant l’étape suprême du développement du capitalisme et la contradiction fondamentale du capitalisme atteignant à l’époque de l’impérialisme son plus haut degré d’acuité, l’inégalité de développement, non seulement ne s’atténue pas, mais, au contraire, s’accentue à l’extrême. Mais cela n’est pas tout. Comme l’impérialisme n’est pas simplement une aggravation de la contradiction fondamentale du capitalisme, mais une étape particulière du capitalisme, profondément distincte de son développement antérieur, il ne se produit pas simplement une accentuation de l’inégalité de développement, mais un changement du caractère même de cette inégalité.
Les facteurs qui déterminent ce caractère particulier de l’inégalité du développement dans la période de l’impérialisme, c’est, en premier lieu, l’achèvement du partage du monde et la lutte pour un nouveau partage, lutte qui pousse chaque pays impérialiste à accumuler des forces pour devancer ses rivaux ; en second lieu, le niveau extrêmement élevé des forces productives permet à un pays de devancer rapidement les autres. Cette course acharnée de vitesse entre les pays capitalistes découle donc de la nature même de l’impérialisme comme étape particulière du capitalisme. Elle ne pouvait pas avoir lieu quand n’existait pas encore la domination des monopoles et du capital financier, quand le monde n’était pas encore définitivement partagé.
À l’époque de l’impérialisme, la différence dans le degré de développement des divers pays capitalistes est beaucoup moindre qu’auparavant, c’est-à-dire que le nivellement est plus grand qu’avant l’impérialisme. Mais ce qui en découle, ce n’est pas une atténuation de l’inégalité du développement des divers pays, mais, tout au contraire, une accentuation de cette inégalité.
C’est parce que les pays arriérés accélèrent leur développement et se mettent au niveau des pays avancés, que la lutte s’accentue entre les pays pour prendre le devant, et qu’apparaît la possibilité pour certains pays de dépasser les autres et de les évincer des marches, créant ainsi des conditions favorables aux conflits armés, à l’affaiblissement du front mondial du capitalisme, à la rupture de ce front par les prolétaires des différents pays capitalistes… Ainsi le nivellement est une des conditions du renforcement de l’inégalité du développement en période impérialiste.
J. Staline : « Discours de clôture à la 7e session du Comité exécutif de l’Internationale communiste », Correspondance internationale, no 20, 1927, p. 268.
Avant l’époque de l’impérialisme, l’inégalité du développement s’exprimait dans le fait que certains pays capitalistes devançaient les autres par un développement lent et prolongé. Mais dans la période de l’impérialisme, les forces productives ont atteint un niveau extrêmement élevé, il s’est produit un nivellement des pays capitalistes avancés et la course de vitesse entre les différents pays en vue d’un nouveau partage du monde est la condition d’existence de chaque pays impérialiste. Dans ces conditions, le développement se produit par bonds, certains pays devancent rapidement certains autres, ce qui entraîne inévitablement des guerres impérialistes, l’affaiblissement réciproque des pays impérialistes. D’où la possibilité d’une rupture de la chaîne impérialiste à l’un de ses maillons, et de la victoire du socialisme dans un seul pays.
C’est en cela que consiste le caractère spécifique de la loi de l’inégalité du développement à l’époque de l’impérialisme, caractère profondément distinct de la loi du développement inégal du capitalisme en général. Dans la période de l’impérialisme,
… l’inégalité du développement capitaliste est devenue un facteur décisif de l’impérialisme.
J. Staline : « Rapport à la 15e conférence du P.C. de l’U.R.S.S. », Correspondance internationale, 1926, no 123, p. 1432.
Cette loi, découverte par Lénine et développée par Staline, du développement inégal dans la période de l’impérialisme, est décisive pour les destinées du capitalisme.
Les enseignements de Lénine sur l’impérialisme comme dernière étape du capitalisme, sur l’importance décisive de la loi du développement inégal, sur la rupture de la chaîne de l’impérialisme à son maillon le plus faible et sur la voie de la révolution prolétarienne mondiale, qui commence par la victoire du socialisme dans un seul pays, ont reçu de l’histoire une brillante confirmation ; ils ont été justifiés par toute la marche de la crise générale du capitalisme, qui a commencé avec la guerre impérialiste mondiale de 1914-1918, qui s’est elle-même terminée par la rupture du front impérialiste mondial dans la Russie tsariste.
10. La crise générale du capitalisme
La crise générale du capitalisme, c’est la crise du système capitaliste lui-même au stade impérialiste, le stade suprême de son développement.
La crise générale du capitalisme a commencé dans la période de la guerre impérialiste de 1914-1918.
Cette guerre ébranla le système du capitalisme mondial et inaugura le début de la période de crise générale.
Programme de l’Internationale communiste, p. 16. Bureau d’éditions, 1935.
La guerre signifiait une destruction, sans précédent dans l’histoire du capitalisme, des forces productives, l’extermination de millions d’hommes, une paupérisation inouïe des masses et des profits fabuleux pour l’oligarchie financière. La guerre a apporté avec elle une aggravation extrême des antagonismes de classe (avant tout dans les pays belligérants de l’Europe), qui plaça pratiquement le prolétariat devant la tâche immédiate du renversement révolutionnaire du capitalisme.
La guerre impérialiste de 1914-1918 a inauguré la crise générale du capitalisme, en premier lieu, par le fait qu’elle a engendré la grande révolution d’Octobre, qui est le début et la base de la révolution prolétarienne mondiale.
La lutte des deux systèmes
L’apparition du pays de la dictature du prolétariat a produit une scission dans l’économie mondiale.
Le capitalisme ne constitue déjà plus un système unique englobant toute l’économie mondiale.
J. Staline : Deux Bilans, p. 9. Bureau d’éditions, 1930.
La révolution prolétarienne de 1917 a mis fin à la domination mondiale de l’impérialisme : un sixième du globe a échappé au système capitaliste.
L’existence de l’Union soviétique montre clairement aux masses exploitées du monde entier tous les avantages du système économique soviétique sur le système capitaliste. Non seulement aujourd’hui, quand une crise économique d’une acuité sans exemple sévit dans le monde capitaliste tout entier, mais encore avant la crise, les rythmes du développement de la production en U.R.S.S. ont laissé loin en arrière ceux des pays capitalistes les plus importants. Ainsi, pendant la période 1924-1928, l’accroissement annuel moyen de la production a été : aux États-Unis de 3 %, en Allemagne de 6,3 %, en France de 3,3 %, en Angleterre de 1 % et en U.R.S.S. de 27,3 %.
En U.R.S.S., le chômage est liquidé, dans les pays capitalistes, il s’est énormément accru. Tandis qu’en U.R.S.S. le niveau matériel et culturel des masses s’élève rapidement, dans les pays capitalistes la paupérisation du prolétariat et la ruine des masses travailleuses grandissent d’une façon inouïe. L’U.R.S.S. se développe avec la plus grande rapidité alors que les pays capitalistes sont en proie à une crise de surproduction. Tout cela est un facteur très important de révolutionnarisation du prolétariat et des masses exploitées des pays impérialistes et des colonies.
Il y a à côté du système économique capitaliste, un système socialiste qui grandit, enregistre des succès, s’oppose au système capitaliste et, du seul fait de son existence, démontre la décomposition du capitalisme, dont il ébranle les bases.
J. Staline : Deux Bilans, p. 9. Bureau d’éditions, 1930.
De quelle façon l’existence même de l’Union soviétique ébranle-t-elle les bases de l’impérialisme ?
Rappelons-nous les trois séries de contradictions de l’impérialisme que nous avons analysées plus haut : 1. Les contradictions entre la bourgeoisie et le prolétariat dans les pays impérialistes, 2. Les contradictions entre les pays impérialistes et les colonies et 3. Les contradictions entre les pays impérialistes sur le terrain de la lutte pour un nouveau partage du monde. L’existence de l’Union soviétique complique et approfondit ces contradictions de l’impérialisme.
L’expérience de la révolution d’Octobre montre clairement au prolétariat du monde entier que la voie du bolchévisme est l’unique voie de libération du joug du Capital. L’Union soviétique a montré à la classe ouvrière mondiale non seulement que le socialisme est réalisable, mais aussi les voies et les moyens de sa réalisation. Les doutes et les hésitations à l’égard de la réalisation du socialisme par la voie de la dictature du prolétariat, doutes que la bourgeoisie et les chefs social-démocrates ont apportés dans les rangs de la classe ouvrière, disparaissent de plus en plus. La victoire du socialisme en U.R.S.S. et sa croissance gigantesque portent coup sur coup à l’influence social-démocrate sur les masses. La base de masse de la social-démocratie est ébranlée et les forces du communisme grandissent.
Une des questions les plus importantes de la révolution prolétarienne, c’est la question de l’attitude du prolétariat envers les masses laborieuses de la paysannerie. La reconstruction socialiste de la petite économie paysanne est une des tâches les plus difficiles de la révolution prolétarienne. En dépit de toutes les prophéties et de toutes les théories des ennemis du communisme, l’ordre kolkhozien a vaincu en U.R.S.S., définitivement et sans retour.
La victoire de l’U.R.S.S., qui a une importance historique mondiale, montre clairement aux ouvriers de tous les pays que la tâche de la socialisation de l’économie paysanne est une tâche tout à fait réalisable, que le socialisme peut vaincre dans toutes les branches de la production et que le chemin pour y parvenir passe à travers la révolution. L’expérience de la collectivisation en U.R.S.S. facilite au prolétariat des pays capitalistes la conquête de la paysannerie pauvre et de la paysannerie moyenne qui est en train de se ruiner, lui facilite par cela même la conquête du pouvoir.
Ainsi l’existence et les progrès de l’Union soviétique, base et rempart de la révolution prolétarienne mondiale, donnent plus d’assurance au mouvement révolutionnaire des masses dans les pays capitalistes, accélèrent le procès même de révolutionnarisation et aggravent les contradictions entre la bourgeoisie et le prolétariat. Mais tout cela signifie que le fait même de l’existence de l’U.R.S.S. ébranle les bases du capitalisme.
Passons maintenant aux contradictions entre les colonies et les pays impérialistes. L’U.R.S.S. a résolu la question nationale et a aboli toute oppression nationale sur son territoire, elle a affranchi les peuples coloniaux de l’ancien Empire russe et, par la voie de la construction socialiste, élève leur niveau matériel et culturel. Tout cela, en ébranlant les bases de l’impérialisme, renforce le mouvement révolutionnaire de libération dans les colonies et approfondit les contradictions entre les masses opprimées des colonies et leurs oppresseurs impérialistes.
Passons enfin à la troisième série des contradictions de l’impérialisme. Les contradictions entre les pays impérialistes sur la base de leur lutte pour un nouveau partage du monde s’accentuent également par suite de l’existence de l’U.R.S.S. Comme l’impérialisme a vu sa domination lui échapper sur un sixième du globe, où les masses laborieuses étaient auparavant un objet d’exploitation non seulement pour « leur » bourgeoisie, pour la bourgeoisie russe, mais aussi pour le capital financier mondial, la lutte s’est accentuée pour un nouveau partage des pays restés au pouvoir de l’impérialisme.
Nous voyons que l’existence de l’U.R.S.S. est un facteur d’aggravation de toutes les contradictions de l’impérialisme. La contradiction entre l’U.R.S.S. et l’impérialisme mondial
… n’est pas une contradiction au sein du capitalisme. C’est une contradiction entre le capitalisme dans son entier et le pays qui bâtit le socialisme. Cela n’empêche pas cette contradiction d’ébranler les assises mêmes du capitalisme. Mieux : elle met à nu toutes les contradictions profondes du capitalisme, elle les réunit en un faisceau et elle en fait une question de vie et de mort pour le régime capitaliste lui-même.
J. Staline : Deux Bilans, p. 14.
C’est pourquoi sont tout à fait inévitables des tentatives de la part de l’impérialisme mondial d’étouffer par la force des armes, le premier pays de la dictature du prolétariat, des tentatives d’intervention contre l’U.R.S.S. dans le but de détruire le rempart de la révolution mondiale et de trouver une issue à la crise.
La guerre impérialiste a également aggravé les contradictions internes du système impérialiste à un degré tel que la bourgeoisie ne peut pas et ne pourra pas trouver une issue à ces contradictions. Examinons tout d’abord l’aggravation que la guerre a provoquée dans les contradictions au sein des pays impérialistes.
L’accentuation de la décomposition et l’aggravation des contradictions de classe
Après la guerre, la croissance de la production s’est considérablement ralentie dans les pays capitalistes et les procès de décomposition du capitalisme se sont accentués à l’extrême. La décomposition signifie non pas une stagnation absolue dans le développement des forces productives de la société, comme l’affirment les trotskistes (théorie de la « stagnation »), mais une tendance à la stagnation qui s’exprime par un ralentissement de la croissance des forces productives.
Après la guerre eut lieu un développement extrêmement rapide de la technique, un développement tel que dans certains cas il confine à une révolution technique (dans le domaine de la chimie, de l’électrotechnique, des communications aériennes, de la radio, etc.). Mais le capitalisme n’est pas à même d’utiliser pleinement ces découvertes et ces inventions. Surtout en liaison avec la crise économique mondiale actuelle les savants, les économistes et les politiciens bourgeois accordent une grande attention à la question de la lutte directe contre le progrès technique.
Après la guerre, l’appareil de production des pays capitalistes s’est accru. Ainsi, par exemple, la puissance des moteurs mécaniques de l’industrie s’est accrue vers 1925 par rapport à 1913 de 55 % aux États-Unis, de 68 % en Allemagne, de 50 % en Angleterre. Néanmoins, la croissance de la production a baissé par rapport à celle d’avant-guerre. Ainsi, dans les 16 années d’avant-guerre, 1897-1913, la production mondiale de la fonte a augmenté de 140 % et pendant la période de 16 ans entre 1913 et 1929, de 23,8 % seulement. La production de la houille a augmenté respectivement de 108 et de 7,2 %.
Cette forte baisse de la croissance de la production, tandis que l’appareil de la production s’est élargi, a pour conséquence de restreindre d’une façon chronique le fonctionnement des entreprises qui, même dans les années d’essor, faisaient, dans les principaux pays capitalistes, plus de la moitié de l’appareil de production (travail à une seule équipe). Cette restriction dans le fonctionnement de l’industrie s’est surtout fortement accentuée en liaison avec la crise économique actuelle. Cette utilisation incomplète chronique de l’appareil de production a pour cause fondamentale la forte baisse du niveau de vie des masses et l’accentuation de la paupérisation de la classe ouvrière.
Les dépenses pour la guerre formaient la moitié de toute la richesse nationale des belligérants. Il va de soi que la bourgeoisie fait payer par tous les moyens les frais de cette guerre par les masses laborieuses, en premier lieu par la classe ouvrière. Mais cela n’est pas tout. Après la guerre, les dépenses militaires du temps de « paix » ont fortement augmenté par rapport à celles d’avant-guerre : nous assistons à la préparation fébrile d’une nouvelle guerre (voir plus bas quelques données sur la croissance des armements et des dépenses militaires depuis la guerre). La bourgeoisie oblige les masses laborieuses à payer non seulement les frais de la guerre passée, mais encore les dépenses pour la préparation de la nouvelle.
Ainsi, après la guerre, les dépenses improductives se sont fortement accrues par comparaison avec la période d’avant-guerre. Pour les couvrir, la bourgeoisie a recours à la réduction du niveau de vie de la classe ouvrière non seulement au moyen de la réduction des salaires, de la prolongation de la journée de travail, etc., mais aussi au moyen des impôts, qui, depuis la guerre, ont considérablement augmenté.
Le pouvoir d’achat des masses paysannes a également fortement baissé en résultat de la crise agraire d’après-guerre, qui dure déjà depuis plus de quatorze ans. Pendant la guerre, la surface emblavée des pays européens a diminué tandis que celle des pays d’outre-Atlantique s’est élargie. Mais depuis la fin de la guerre une partie de la surface emblavée mondiale s’est trouvée superflue, surtout par suite de la diminution de la consommation des masses. Ainsi, par exemple, la consommation annuelle moyenne du froment et du seigle par tête d’habitant était en Angleterre de 164,4 kilos en 1909-1913, et de 153,3 kilos en 1924-25 ; en Allemagne, les chiffres respectifs sont 254,7 et 149 kilos ; en France, 243,8 et 213,6 kilos ; aux États-Unis, 178,6 et 152,5 kilos. La consommation du coton s’est fortement réduite, en partie par suite de la réduction du pouvoir d’achat des masses et en partie par suite de l’évincement des tissus de coton par la soie artificielle. La consommation des autres matières premières agricoles a également diminué. À côté de cela, dans l’agriculture d’après-guerre se sont produites d’importantes transformations techniques (emploi du tracteur et des machines combinées) qui ont frappé avant tout la petite et la moyenne paysannerie. La ruine de la paysannerie dans tous les pays et surtout dans les colonies et semi-colonies a pris des dimensions inouïes. D’où la baisse du pouvoir d’achat des grandes masses rurales.
Ainsi, la guerre a accentué la contradiction entre la production sociale et l’appropriation capitaliste à tel point qu’il s’est créé un excédent continuel, chronique, de capital inactif, sous la forme de moyens de production inutilisés. C’est l’une des particularités essentielles du capitalisme d’après-guerre à la différence de celui d’avant- guerre : avant la crise générale du capitalisme, il ne se formait un important excédent de capital inactif qu’au moment des crises de surproduction, maintenant l’utilisation incomplète des entreprises a pris des dimensions considérables et est devenue un phénomène constant. C’est là un nouveau phénomène de décomposition du capitalisme, caractéristique pour la crise générale du capitalisme.
À cette utilisation incomplète chronique des entreprises correspond un autre caractère du chômage dans le capitalisme d’après-guerre en comparaison avec celui d’avant-guerre. Nous avons déjà plus haut (voir chapitre 6, § 4) cité des données sur le chômage qui montrent qu’après la guerre le pourcentage des chômeurs n’est pas une seule fois descendu au-dessous du niveau auquel il se trouvait dans les années de crise d’avant la guerre. Mais il ne s’agit pas seulement de l’énorme croissance quantitative du chômage dans la période d’après-guerre du capitalisme. Le caractère particulier du chômage d’après-guerre consiste dans le fait que les innombrables armées de chômeurs se sont transformées en armées permanentes de chômeurs. Avant la guerre, le chômage était aussi permanent, mais sa durée pour chaque ouvrier était beaucoup moindre. La composition de l’armée des chômeurs changeait constamment (forme flottante de la surpopulation relative, voir chapitre 6, § 4). Aujourd’hui, il existe d’innombrables armées de chômeurs qui sont définitivement rejetés hors de la production et qui appartiennent à la forme stagnante de la surpopulation relative. Dans le chômage d’après-guerre, la forme stagnante de la surpopulation relative joue un rôle prédominant. Mais, en même temps, cela signifie qu’une partie considérable des chômeurs a cessé de remplir le rôle d’armée industrielle de réserve. Avec l’existence de l’utilisation incomplète à une grande échelle de l’appareil de production, même dans les années de reprise économique, le capital n’a pas du tout besoin d’une aussi énorme réserve de main-d’œuvre en cas d’élargissement de la production.
Le capitalisme a rendu « superflus », a jeté par-dessus bord, a mis en marge de la vie une masse de plusieurs dizaines de millions d’ouvriers. Les ouvriers qui ne sont pas encore chômeurs sont contraints de travailler à de bas salaires, qui, par exemple en Allemagne, ne dépassent pas de beaucoup les misérables secours que touchent les chômeurs.
Un développement des forces productives qui diminuerait le nombre absolu des ouvriers, c’est-à-dire mettrait toute la nation à même d’opérer sa production totale en un temps moindre ; amènerait une révolution parce qu’il vouerait la majeure partie de la population au chômage.
K. Marx : le Capital, t. 10, p. 211-212. (Costes.).
Ainsi, la crise générale du capitalisme a posé devant la classe ouvrière du monde entier la question de la révolution prolétarienne comme une question de vie ou de mort.
La crise générale et les colonies
Pendant la guerre, lorsque les colonies des États impérialistes d’Europe étaient presque coupées de leurs métropoles, l’industrie locale s’y est très rapidement développée, principalement l’industrie textile et extractive. La bourgeoisie indigène a rapidement grandi, ainsi que le prolétariat indigène.
Sur la base de ce développement économique des colonies et sous l’influence de l’existence de l’U.R.S.S., le mouvement révolutionnaire de libération a pris après la guerre des dimensions et des formes qui n’existaient pas auparavant. Il n’y a presque pas une seule colonie au monde où il n’y ait pas eu après la guerre des insurrections ou des mouvements plus ou moins importants contre l’impérialisme.
D’autre part, précisément par suite de cette première guerre impérialiste, l’Orient est entré définitivement dans le mouvement révolutionnaire, et a été définitivement entraîné dans le tourbillon du mouvement révolutionnaire mondial.
Lénine, Karl Marx, Œuvres, tome 33, p. 514.
Le développement de l’industrie dans les colonies ne signifie pas que l’impérialisme s’oriente vers la transformation des colonies en pays développés et indépendants au point de vue industriel, ne signifie pas une « décolonisation ». La social-démocratie a formulé la théorie de la « décolonisation » dans le but de présenter la politique de la bourgeoisie impérialiste comme une politique progressive. En fait, la théorie de la « décolonisation » n’a rien de commun avec la réalité. Les métropoles tolèrent le développement dans les colonies de l’industrie légère et de l’industrie extractive et elles font tout leur possible pour entraver le développement de l’industrie mécanique, c’est-à-dire de la branche d’industrie dont le développement seul pourrait signifier une véritable industrialisation. En tolérant le développement de l’industrie dans les colonies, les impérialistes freinent en même temps ce développement. L’oppression de l’impérialisme s’en trouve non pas affaiblie, mais renforcée. Ce renforcement de l’oppression impérialiste dans les colonies après la guerre est précisément une des causes de l’énorme envergure et de la profondeur qu’y a atteint le mouvement révolutionnaire de libération.
Le renforcement de l’oppression impérialiste dans les colonies est conditionné par le fait qu’après la guerre, comme nous le montrerons plus bas, l’inégalité du développement des pays impérialistes s’est accentuée et que la lutte entre eux pour un nouveau partage du monde s’est aggravée. Chaque pays impérialiste s’accroche convulsivement à ses colonies et dans les semi-colonies comme par exemple la Chine, qui ne sont pas la propriété monopoliste d’un pays impérialiste quelconque, il se déroule une lutte incessante entre les impérialistes de proie pour consolider et élargir leurs positions.
Les colonies sont des pays agraires. Les effets destructeurs de la crise agraire d’après-guerre se sont exprimés par la ruine et l’appauvrissement des innombrables masses paysannes des colonies. Cela ne fait qu’y renforcer le mouvement révolutionnaire.
Enfin, l’existence de l’Union soviétique avec sa politique nationale accélère le mouvement révolutionnaire des colonies et lui donne une force particulière. Après la révolution d’Octobre, se sont ouvertes devant le mouvement révolutionnaire de libération dans les colonies, des perspectives qui n’existaient pas avant la guerre, à savoir l’union avec l’État prolétarien, l’incorporation dans le système des États socialistes et, sur cette base, une croissance rapide aussi bien au point de vue culturel qu’au point de vue matériel.
Avec l’existence de centres de socialisme, sous la forme des Républiques soviétiques et de leur puissance économique grandissante, les colonies qui se sont séparées de l’impérialisme se rapprochent économiquement et s’unissent peu à peu avec les foyers industriels du socialisme mondial, s’engagent dans la voie de l’édification socialiste, sautant la phase du développement ultérieur du capitalisme, comme système dominant, et obtiennent la possibilité d’un progrès économique et culturel rapide.
Programme de l’Internationale communiste, p. 54.
Le mouvement révolutionnaire des colonies s’est déjà élevé à un degré tel que sur une partie considérable du territoire de la Chine s’est constitué un pouvoir soviétique qui a brillamment résisté aux tentatives des impérialistes et de leurs agents chinois de l’étouffer par la force des armes. La Chine soviétique possède une Armée rouge régulière de 500 000 hommes.
La victoire de la révolution soviétique sur une partie considérable du territoire de la Chine a une énorme importance pour le développement ultérieur de la grande révolution chinoise et du mouvement révolutionnaire dans les colonies et constitue un danger mortel pour l’impérialisme japonais au cas où il attaquerait l’Union soviétique.
La victoire de la révolution soviétique en Chine, la guerre des partisans en Mandchourie, la croissance des forces révolutionnaires au Japon, de mouvement de libération des peuples coloniaux, créent un nouveau front sur les derrières des impérialistes. La révolution soviétique en Chine est devenue un important facteur de la révolution mondiale. (Le Fascisme, le danger de guerre et les tâches des partis communistes
thèses de la 13e assemblée plénière de l’Internationale communiste), p. 13. Bureau d’éditions, 1934.
La lutte pour un nouveau partage du monde
Examinons maintenant les changements que la guerre et la période d’après-guerre ont apportés dans les rapports entre les pays impérialistes.
La guerre impérialiste mondiale de 1914-1918 s’est terminée par la défaite des États de l’Europe centrale. Le nouveau partage du monde sur la base de cette issue de la guerre a été fixé par le traité de Versailles. L’Allemagne fut privée de ses colonies, on lui imposa le fardeau des réparations. Les colonies de l’Allemagne ont échu à la France, à l’Angleterre, à la Belgique et au Japon.
Mais en résultat de la guerre, les États-Unis, qui finançaient à cette époque la France et l’Angleterre, se sont extrêmement renforcés. La somme totale des dettes des adversaires de l’Allemagne et de l’Autriche, des « Alliés », envers les États-Unis se montait à 80 milliards de francs-or. Les réparations que l’Allemagne payait aux Alliés servaient presque entièrement au paiement des dettes envers les États-Unis. Et ceux-ci utilisent ces créances comme un moyen de pression économique et politique constante sur les États européens.
Depuis la guerre, les États-Unis ont obtenu la prépondérance dans toute l’économie capitaliste. Ils ont concentré la moitié de la production industrielle mondiale et près de la moitié des stocks d’or du monde.
La guerre a accentué l’inégalité du développement. Ainsi, en 1929, la production des principaux pays par rapport à celle d’avant-guerre était : aux États-Unis, 175,3 % ; en Angleterre, 98 % ; en Allemagne, 105,4 % ; en France, 139 %. La part de l’Angleterre dans la production mondiale de la fonte est tombée de 13,1 en 1913 à 8,6 % en 1927, et celle des États-Unis est passée de 39,8 à 42,8 %. La part de l’Angleterre dans la production mondiale de l’acier a baissé de 10,2 à 9,3 % et celle des États-Unis est passée de 41,6 à 44,7 %.
Le rôle des principaux pays impérialistes dans le commerce mondial a également changé. Pendant la période allant de 1913 à 1927, la part de l’Allemagne est descendue de 12,6 à 9,8 %, celle de la France de 9 à 6,6 %, celle de l’Angleterre de 16,1 à 14,1 % et celle des États-Unis s’est accrue de 10,1 à 14,2 %. Les États-Unis évincent l’Angleterre qui était avant la guerre le pays impérialiste le plus fort de ses positions économiques sur le marché mondial. C’est ce qui ressort du tableau suivant :
Part de l’Angleterre et des États-Unis dans les importations (en %)
De l’amérique du Sud | De la Chine | Du Japon | ||||
1911-1913 | 1927 | 1913 | 1927 | 1913 | 1927 | |
Angleterre : | 28,3 | 19,7 | 36,9 | 28 | 16,8 | 7,2 |
États-Unis : | 14,4 | 30,8 | 6 | 16,2 | 16,8 | 28,6 |
Dans le domaine de l’exportation des capitaux, les États-Unis ont également devancé l’Angleterre et la France qui occupaient, avant la guerre, la première place dans le monde. Ainsi l’exportation de capitaux d’Angleterre est tombée de 880 millions de dollars en 1913 à 740 en 1928, l’exportation de capitaux de France pour la même période a baissé de 225 millions de dollars à 180 millions, tandis que celle des États-Unis est passée de 50 millions à 934 millions de dollars. Depuis la guerre, les États-Unis ont commencé à exporter des capitaux en Europe, principalement en Allemagne. L’exportation de capitaux des États-Unis vers les colonies croît très rapidement : de 1913 à 1928, les capitaux américains investis dans les colonies se sont accrus de 194 %, les investissements de capitaux anglais de 18 % et les investissements français de 10 %. Les États-Unis évincent l’Angleterre de ses propres possessions ; en 1913, les investissements de capitaux anglais au Canada s’élevaient à 1 860 millions de dollars, ceux des États-Unis à 417 millions. Après la guerre, le tableau a beaucoup changé : les capitaux anglais au Canada faisaient en 1931 2 500 millions et ceux des États-Unis 4 200 millions de dollars.
À ce rapide changement dans le rapport des forces entre ces deux pays impérialistes les plus importants, ne correspond nullement le partage territorial résultant de la guerre de 1914. À la suite de cette guerre, les possessions coloniales des États-Unis n’ont pas augmenté. Par leur territoire, les colonies des États-Unis ne forment que 1,9 % de l’ensemble des colonies, et celles de l’Angleterre 43,8 % ; par leur population, les colonies américaines forment 3,3 % de l’ensemble de la population coloniale et les colonies anglaises 65,5 %.
Depuis la guerre la contradiction entre l’Angleterre et les États-Unis est devenue une des principales contradictions entre les pays impérialistes.
Notons encore, parmi les principales contradictions entre les impérialistes, celles entre les États-Unis et le Japon, l’Angleterre et le Japon, la France et l’Angleterre, la France et l’Allemagne, l’Italie et la France, l’Italie et l’Allemagne, sans compter toute une série d’autres contradictions moins importantes.
La guerre usurpatrice de l’impérialisme japonais en Chine et sa tendance à commettre de nouvelles usurpations sur les rives du Pacifique menacent les intérêts « vitaux » des autres pays impérialistes, surtout ceux des États-Unis et de l’Angleterre. Les contradictions entre ces trois impérialistes de proie ont# atteint ici une acuité inouïe.
Depuis la Première Guerre mondiale, le rapport des forces entre l’Allemagne vaincue et ses vainqueurs a également changé. L’Allemagne a rapidement rétabli son industrie et, par sa technique et son importance industrielle, a pris la première place après les États-Unis. La tension des contradictions en Europe s’est surtout accentuée après l’arrivée au pouvoir des fascistes en Allemagne.
Le fascisme allemand est le principal instigateur d’une nouvelle guerre impérialiste. Il est le détachement de choc de la contre-révolution mondiale.
Contre la guerre et le fascisme : l’Unité (Résolutions du 7e congrès de l’Internationale communiste), p. 9. Bureau d’éditions, 1935.
La guerre de pillage de l’impérialisme japonais en Chine et la guerre du fascisme italien contre l’Abyssinie sont en fait le commencement d’un nouveau partage du monde.
La préparation militaire et technique de la nouvelle guerre impérialiste mondiale se poursuit fébrilement.
L’effectif des armées des cinq pays impérialistes principaux (France, Angleterre, Italie, États-Unis, Japon) est passé de 1 846 000 hommes en 1913-1914 à 2 532 000 en 1933. Et en y ajoutant l’effectif des armées de l’Allemagne, de la Pologne, de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie et d’une série d’autres États plus petits, nous obtiendrons le chiffre de 4 060 000 hommes. Les dépenses militaires des cinq principaux États impérialistes sont passées de 1 182 millions de dollars en 1914 à 3 500 millions de dollars en 1931. En y ajoutant la somme consacrée par ces États au remboursement des dettes de guerre, nous obtiendrons l’énorme chiffre de 8 380 millions de dollars de dépenses de guerre en 1931.
La technique militaire a fait de grands pas en avant. L’industrie de guerre est la seule branche qui ne connaisse pas de crise de surproduction, son « marché d’écoulement » s’élargit constamment.
Le danger de l’explosion d’une nouvelle guerre impérialiste menace l’humanité de jour en jour.
Contre la guerre et le fascisme : l’Unité, p. 26.
L’unique pays qui mène une politique de paix conséquente est l’U.R.S.S., qui est devenue un facteur de premier plan de la politique mondiale. La victoire du socialisme en U.R.S.S., la croissance de sa puissance économique, politique et militaire, l’union des grandes masses laborieuses de tous les peuples de l’Union soviétique autour du Parti bolchevik dirigé par Staline, — tout cela a extrêmement augmenté l’importance internationale de l’Union soviétique. L’U.R.S.S. poursuit une politique internationale de collaboration avec tous les États qui, dans le moment donné, ont intérêt au maintien de la paix. Le pays de la dictature du prolétariat est l’unique rempart de la paix.
La préparation d’une nouvelle guerre impérialiste mondiale est liée de la façon la plus étroite à la préparation d’une nouvelle intervention contre l’U.R.S.S. en vue de détruire la base de la révolution prolétarienne mondiale et de transformer l’immense territoire du pays des Soviets avec ses innombrables richesses naturelles et ses dizaines de millions d’habitants en objet de l’exploitation la plus effrénée de la part du capital financier international.
Bien qu’à l’heure actuelle, l’aggravation des contradictions impérialistes rende plus difficile la formation d’un bloc antisoviétique, les gouvernements fascistes et les partis de guerre dans les pays capitalistes n’en cherchent pas moins à résoudre ces contradictions aux dépens de la patrie de tous les travailleurs, aux dépens de l’Union soviétique.
Contre la guerre et le fascisme : l’Unité, p. 26.
L’ensemble de toutes les contradictions fondamentales du monde actuel que nous avons examinées (la lutte de deux systèmes, la croissance de la décomposition du capitalisme et l’aggravation des contradictions de classe, le développement du mouvement révolutionnaire dans les colonies, l’aggravation des contradictions entre les impérialistes) signifie que le capitalisme subit une crise générale de son système à laquelle il n’est pas d’autre issue que la victoire de la dictature du prolétariat dans le monde entier.
11. Le fascisme
L’entrée du capitalisme dans sa dernière et suprême étape — dans l’étape de l’impérialisme — signifie, en général, un renforcement de la réaction politique.
La superstructure politique qui coiffe la nouvelle économie, le capitalisme monopoliste (l’impérialisme est le capitalisme des monopoles), c’est le tournant à partir de la démocratie vers la réaction politique. À la libre concurrence correspond la démocratie. Au monopole correspond la réaction politique.
Lénine, « Une caricature du marxisme », Œuvres, tome 23, p. 44.
La crise générale du capitalisme signifie un renforcement aigu de la réaction politique. Lorsque se produit la décomposition du capitalisme et que la classe ouvrière se libère de plus en plus des illusions démocratiques et parlementaires, il devient de moins en moins possible de retenir la classe ouvrière dans la soumission en la trompant par ces illusions. Les méthodes de répression contre la classe ouvrière directement et ouvertement renforcées s’avancent au premier plan. Le capitalisme avait toujours appliqué ces méthodes, surtout après sa transformation en capitalisme impérialiste, mais ce ne sont pas elles qui prédominaient dans le système des moyens à l’aide desquels la bourgeoisie réalisait sa dictature. C’étaient les formes démocratiques parlementaires de la dictature de la bourgeoisie qui prédominaient. Avec la venue de la crise générale du capitalisme, ce tournant de la démocratie à la réaction politique qui avait commencé déjà dans la période d’avant-guerre de l’impérialisme, s’achève et trouve son expression dans la croissance du fascisme.
Dans les conditions de la crise générale du capitalisme, à partir de la démocratie bourgeoise, qui représente la forme masquée de la dictature de la bourgeoisie, se développe le fascisme, qui est la dictature terroriste ouverte des éléments les plus chauvins et les plus impérialistes du capital financier. Par la voie de l’établissement de la dictature fasciste, le capital financier tente de trouver une issue à la crise aux dépens de la classe ouvrière et des travailleurs. La bourgeoisie a besoin du fascisme pour préparer et pour mener la guerre impérialiste et l’intervention contre l’U.R.S.S. et pour écraser la révolution qui s’avance dans ses propres pays. Le fascisme est un indice de la faiblesse de la bourgeoisie, un symptôme du fait que les bases mêmes du régime capitaliste sont ébranlées.
Il faut regarder la victoire du fascisme en Allemagne, non seulement comme un signe de faiblesse de la classe ouvrière et le résultat des trahisons perpétrées contre celle-ci par la social-démocratie qui a frayé la route au fascisme. Il faut la considérer également comme un signe de faiblesse de la bourgeoisie, comme un signe montrant que cette dernière n’est plus en état d’exercer son pouvoir au moyen des anciennes méthodes de parlementarisme et de démocratie bourgeoise, ce qui l’oblige à recourir, dans sa politique intérieure, aux méthodes de domination par la terreur, comme un signe prouvant qu’elle n’a plus, la force de trouver une issue à la situation actuelle sur la base d’une politique extérieure de paix, ce qui l’oblige à recourir à la politique de guerre.
J. Staline : Deux Mondes, 2e édit., p. 12-13. Bureau d’éditions, 1934.
Du fait que le fascisme est le fruit de la crise générale du capitalisme et un symptôme de la faiblesse de la bourgeoisie, il ne s’ensuit pas du tout, certes, que la dictature fasciste soit une étape inévitable qui précède la révolution, que l’instauration de la dictature fasciste soit une prémisse de la révolution prolétarienne, que plus vite la dictature fasciste sera instaurée — plus vite le fascisme se démasquera devant les masses et plus il sera facile de faire la révolution.
Ces théories de gauche représentent, en réalité, la passivité opportuniste devant l’offensive de la bourgeoisie, la capitulation social-démocrate, masquée par des phrases radicales.
L’histoire condamne le capitalisme à la ruine. L’impérialisme, c’est le capitalisme mourant, pourrissant. Mais la bourgeoisie, comme une bête blessée, rassemble toutes ses forces pour écraser son ennemi. Le fascisme est l’offensive déchaînée de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Le capitalisme ne meurt pas de lui-même. Cette « mort » arrive par la voie de son renversement révolutionnaire. Combien de temps ce processus durera-t-il, et combien de victimes coûtera-t-il à la classe ouvrière, — cette question n’est pas du tout indifférente, comme n’est pas indifférente non plus la question de la forme sous laquelle la bourgeoisie réalise sa dictature, — la forme de la démocratie bourgeoise qui donne à la classe ouvrière plus de possibilités pour organiser sa lutte contre le capitalisme, ou la forme de la dictature terroriste fasciste.
Seule, la lutte révolutionnaire tranche la question de savoir si la bourgeoisie réussira ou non à établir sa dictature fasciste dans l’un ou l’autre pays. De même, seule la lutte révolutionnaire tranche la question de savoir si la bourgeoisie réussira ou non à prolonger sa domination, qui signifie actuellement les plus grandes souffrances pour la classe ouvrière. Le prolétariat pourra vaincre la bourgeoisie non dans l’attente opportuniste d’un krach « spontané », automatique, du capitalisme, mais seulement en ripostant à l’offensive fasciste de la bourgeoisie par une contre-offensive révolutionnaire décisive du front unique.
Le 7e congrès de l’Internationale communiste a montré la nécessité d’une lutte décisive aussi bien contre la sous-estimation du danger du fascisme, que contre la surestimation des forces du fascisme :
En soulignant l’accroissement de la menace fasciste dans tous les pays capitalistes, le 7e congrès de l’Internationale communiste met en garde contre toute sous-estimation du danger fasciste. Le congrès repousse également les conceptions fatalistes sur l’inéluctabilité de la victoire du fascisme ; ces conceptions foncièrement erronées ne peuvent qu’engendrer la passivité et affaiblir la lutte de masse contre le fascisme. La classe ouvrière peut empêcher la victoire du fascisme si elle parvient à réaliser l’unité de sa lutte et si, développant à temps ses actions de combat, elle ne permet pas au fascisme de s’affermir, si elle sait, sous une direction révolutionnaire juste, grouper autour d’elle les grandes masses des travailleurs des villes et des campagnes.
Résolutions. Contre la guerre et le fascisme : l’Unité, p. 9. Bureau d’éditions, 1935.
Les trois périodes de la crise générale du capitalisme
Le renforcement de l’inégalité du développement dans la période de la crise générale du capitalisme donne un caractère inégal à la révolution prolétarienne mondiale. La chute du capitalisme n’est pas un processus continu de victoires du prolétariat et de défaites de la bourgeoisie. Dans les conditions de la croissance générale de la crise du capitalisme, il y a place non seulement pour des victoires, mais aussi pour des défaites partielles momentanées du prolétariat, qui, cependant, ne changent pas la direction générale du mouvement. Cela est confirmé par toute la marche du développement de la crise générale du capitalisme, dans laquelle il faut distinguer trois périodes.
La première période de la crise générale se caractérise par un accroissement rapide du processus de décomposition du capitalisme qui commença pendant la guerre, et par une croissance rapide sur cette base, de la crise révolutionnaire dans le monde entier sous l’influence de la révolution prolétarienne en Russie. Dans les années qui suivirent immédiatement la guerre, une vague de révolutions, d’insurrections et de batailles économiques et politiques de masse déferla sur l’Europe. Une série d’insurrections et un puissant développement du mouvement révolutionnaire se produisirent dans les colonies.
Dans cette période de très grand essor révolutionnaire, la social-démocratie contre-révolutionnaire, qui s’est mise à la tête du mouvement, afin de le décapiter, a rendu à la bourgeoisie un service inestimable. Il n’existait pas encore dans les pays capitalistes de partis communistes de masse et expérimentés. C’est la cause principale de la victoire momentanée de la bourgeoisie sur le mouvement révolutionnaire. Mais la bourgeoisie ne réussit pas à briser le premier pays de la dictature du prolétariat.
Les premières tentatives de bouleversement révolutionnaire, qui avaient grandi sur la base d’une crise aiguë du capitalisme (1918-1921) se terminèrent par la victoire et le renforcement de la dictature du prolétariat en U.R.S.S. et par la défaite du prolétariat dans toute une série d’autres pays… Sur la base de ces défaites, qui créèrent la possibilité d’une exploitation renforcée des masses du prolétariat et des peuples coloniaux, sur la base d’une forte baisse de leur niveau de vie, la bourgeoisie arriva à une stabilisation partielle des rapports capitalistes.
Programme de l’I.C. suivi des statuts de l’I.C., p. 17-18. Bureau d’éditions, 1936.
Vint la seconde période de la crise générale du capitalisme. Au cours de cette période se produit une stabilisation relative provisoire des rapports capitalistes aussi bien intérieurs qu’extérieurs. À l’intérieur des pays capitalistes cela s’exprime par le fait que l’économie ruinée pendant la guerre se reconstitue aux dépens d’un renforcement de l’exploitation de la classe ouvrière (la « rationalisation »), par le fait que, par comparaison avec la période précédente, la domination politique de la bourgeoisie se fortifie dans une certaine mesure. Dans les relations entre les États impérialistes, la stabilisation partielle s’exprimait dans le fait que les liens économiques entre les pays capitalistes, rompus par la guerre, se rétablirent peu à peu et que les impérialistes réussirent à s’entendre au sujet du pillage en commun de l’Allemagne (plan Dawes) et des colonies. Cependant, cette stabilisation ne signifiait pas un retour aux rapports d’avant-guerre, elle n’était pas et ne pouvait pas être solide et durable comme l’affirmaient la social-démocratie et les opportunistes de droite. C’était une stabilisation chancelante, pourrie, — elle se produisait dans les conditions et sur la base de la crise générale du système capitaliste. En même temps que la stabilisation partielle du capitalisme se produisaient la croissance rapide et le renforcement continu de l’U.R.S.S. — de la base de la révolution prolétarienne mondiale. Dans les pays capitalistes, la situation de la classe ouvrière empirait et les contradictions de classe s’aggravaient. Dans cette période se produisent l’accumulation des forces et la consolidation intérieure des partis communistes sous la direction de l’Internationale communiste. La lutte des classes ne s’apaisait pas, elle prenait la forme de mouvements puissants tels que la grève générale et la grève des mineurs en Angleterre en 1926, et que la lutte armée des ouvriers de Vienne en juillet 1927. En même temps, la révolution chinoise se développait, une insurrection populaire se produisait en Indonésie, un mouvement révolutionnaire grandissait aux Indes.
Les contradictions intérieures de la stabilisation conduisaient non à un affaiblissement, mais à un renforcement de la crise générale du capitalisme.
La stabilisation partielle cause l’accroissement de la crise du capitalisme et la crise grandissante désagrège la stabilisation : telle est la dialectique du développement du capitalisme dans la phase historique actuelle.
J. Staline : Rapport au 15e congrès du P.C. de l’U.R.S.S., p. 6. Bureau d’édition, 1928.
La croissance des contradictions intérieures du capitalisme dans la période de la stabilisation conduit à la troisième période, qui commença en 1927-1928, quand la production capitaliste dépassa le niveau d’avant-guerre et que, en liaison avec cela, s’aggrava de façon aiguë la contradiction entre les possibilités accrues de la production et les étroites limites du marché. Le dépassement du niveau d’avant-guerre amena tout le monde capitaliste devant une crise économique profonde et aiguë. En même temps, l’U.R.S.S. passait à la reconstruction socialiste et au déploiement de l’offensive socialiste sur tous les fronts.
La troisième période est la période d’un nouvel essor révolutionnaire, la période de l’ébranlement de la stabilisation partielle, une période de forte aggravation de toutes les contradictions du capitalisme. Sous ce rapport, la crise économique mondiale contemporaine a une signification particulière.
La crise économique contemporaine
Le capitalisme d’après-guerre a subi une crise de surproduction en 1920-21. Mais cette crise n’a pas atteint tous les pays. Au contraire, la crise contemporaine, qui commença en 1929 et se développa d’une façon irrégulière, a atteint tous les pays capitalistes et coloniaux et toutes les branches de la production (sauf l’industrie de guerre !).
La crise actuelle est la première crise économique mondiale depuis la guerre.
J. Staline : Deux Bilans, p. 4. Bureau d’éditions, 1930.
La crise économique contemporaine par sa profondeur et par ses effets destructeurs dépasse de loin toutes les crises qui ont eu place dans l’histoire du capitalisme. Cela ressort du tableau suivant qui donne le pourcentage de la réduction de la production de la fonte dans les pays capitalistes et le pourcentage de la réduction du commerce mondial dans les crises précédentes et dans la crise contemporaine :
Pourcentage de la réduction | ||
Années de crise | Production mondiale de la fonte | Commerce mondial |
1873-1874 | 8 | 5 |
1883-1885 | 10 | 4 |
1890-1892 | 6,5 | 0,5 |
1900-1901 | 0,25 | 1 |
1907-1908 | 23 | 7 |
1920-1921 | 44 | — |
1929-1934 | 66 | 65 |
En même temps, la crise provoqua, comme on l’a déjà montré dans les chapitres précédents, une croissance du chômage et une baisse de salaire inouïes, dans l’histoire des crises antérieures. Selon les calculs des économistes bourgeois, les pertes générales, par suite de la crise, dépassent les pertes causées par la guerre impérialiste mondiale de 1914-1918.
Ces dimensions et la profondeur de la crise dévoilent son caractère, en particulier comme crise de surproduction, se développant sur la base de la crise générale du système capitaliste. Il est aussi caractéristique que, à la différence des crises d’avant-guerre, la crise contemporaine ne fut pas précédée d’un essor quelque peu considérable. Ainsi, par exemple, en Allemagne la production industrielle, par rapport à 1928, était, en 1927, de 100 % ; en 1928, de 100 % et en 1929, de 102 %. Aux États-Unis, la production de l’industrie automobile, de 1919 à 1923, a augmenté de 16,9 %, et de 1924 à 1929, seulement de 4,7 %. En Angleterre, il n’y avait pas, en général, d’essor de la production avant la crise.
Dans la période qui précéda la crise dans tous les pays, il existait déjà, comme nous le savons, un ralentissement dans les entreprises et un chômage constant de masse.
La crise contemporaine se distingue de toutes les crises précédentes par sa durée. Auparavant, pendant le cours d’une ou deux années, la chute de la production et des prix atteignait ordinairement son point le plus bas, tandis que la crise contemporaine dure déjà depuis plus de cinq ans, et représente la plus longue de toutes les crises qu’ait connues l’histoire du capitalisme.
Les causes de cette gravité et de cette durée sans précédent de la crise économique contemporaine consistent, comme l’a montré le camarade Staline, dans ce qui suit.
En premier lieu, la crise industrielle contemporaine a atteint tous les pays capitalistes sans exception. Si certains pays dans lesquels il y a la crise avaient pu vendre une partie de leurs marchandises dans les premiers pays, ils auraient pu manœuvrer aux dépens de ces pays. Mais comme tous les pays capitalistes sont atteints par la crise économique contemporaine, les manœuvres des uns aux dépens des autres sont rendues difficiles.
En second lieu, l’enchevêtrement de la crise industrielle avec la crise agraire, qui a atteint tous les pays agraires et semi-agraires. En résultat de la crise industrielle, les demandes de l’industrie en matières premières agricoles ont diminué. Le chômage et la réduction du salaire chez les ouvriers industriels diminuent la demande en produits alimentaires agricoles. D’autre part, la crise dans l’économie rurale aboutit au fait que celle-ci présente moins de demandes en produits industriels, — en moyens de production et en objets de consommation industriels. Ainsi, l’enchevêtrement de la crise industrielle avec la crise agraire a donné à la crise économique contemporaine un caractère particulièrement grave et durable par comparaison avec les crises précédentes.
En troisième lieu, la crise agraire a atteint non seulement tous les pays, mais aussi toutes les branches de la production de l’économie rurale — non seulement l’agriculture, mais aussi l’élevage des bestiaux. Dans le monde capitaliste, l’économie rurale a subi une forte chute. L’emploi des machines et des engrais artificiels dans l’agriculture s’est fortement réduit. Comme la production des moyens de production pour l’économie rurale représente une partie considérable de la production industrielle, la dégradation de l’économie rurale a fait traîner encore plus en longueur la crise industrielle.
En quatrième lieu, la tendance des organisations monopolistes à maintenir les prix élevés sur les marchandises. D’ordinaire, la chute des prix, qui est l’expression de la crise, aide en même temps à la surmonter ; en résultat de la chute des prix, les stocks de marchandises s’écoulent et la surproduction s’atténue. La crise traîne d’autant plus en longueur que les prix tombent moins vite. C’est cela qui se passe avec la crise contemporaine. Ainsi, par exemple, en Allemagne, pendant la crise, les prix des marchandises produites par les monopoles sont tombés seulement de 20 % et les prix des marchandises produites par les entreprises qui n’entrent pas dans les cartels monopolistes sont tombés de 50 %. Comme la masse écrasante des marchandises industrielles est produite par les monopoles, l’arrêt de la chute des prix de monopole fait traîner la crise en longueur d’une façon particulièrement forte.
En cinquième lieu, la crise économique contemporaine se produit dans les conditions de la crise générale du système capitaliste. Cela représente le facteur principal, qui donne à la crise économique une acuité et une force de destruction sans précédent dans les crises antérieures.
La crise industrielle s’est déchaînée dans les conditions de la crise générale du capitalisme, au moment où celui-ci n’a déjà plus et ne peut plus avoir, ni dans les principaux pays ni dans les colonies et pays vassaux, la force et la solidité qu’il avait avant la guerre et avant la révolution d’Octobre ; où l’industrie des pays capitalistes a reçu en héritage de la guerre impérialiste un ralentissement chronique des entreprises et une armée de millions de chômeurs, dont elle n’est plus en mesure de s’affranchir.
J. Staline : Deux Mondes, p. 5-6.
La crise économique mondiale contemporaine s’accompagne d’importants krachs de banques et du dérèglement de la circulation de l’argent dans une série de pays capitalistes. Les paiements des dettes de guerre sont, en fait, arrêtés, les déficits des budgets d’État grandissent et il se produit une chute des cours des devises de pays aussi puissants au point de vue financier que l’Angleterre et les États-Unis, qui sont entrés dans la voie de l’inflation. (Sur l’inflation, voir le chapitre 3.)
Au cours des crises antérieures, après une chute rapide des prix et une réduction de la production venait une dépression (voir le chapitre : les crises), suivie d’un essor, et la crise s’épuisait au bout d’une ou deux années. Dans la crise contemporaine, au contraire, le point le plus bas de la chute fut atteint seulement à la fin de la quatrième année de la crise, en 1932. Ainsi, aux États-Unis, la production industrielle par rapport à 1929 était de : en 1932, 53,8 %, et en 1933, 64,9 % ; en Angleterre, 83,8 % et 86,1 % ; en Allemagne, 59,8 % et 66,8 % ; en France, 69,1 % et 77,4 %. Dans les pays capitalistes les plus importants, dans le courant de 1933, se produisit une augmentation de la production. La bourgeoisie réussit à atteindre ce résultat aux dépens de l’exploitation renforcée des ouvriers, aux dépens de la paysannerie de ses propres pays et des colonies. Mais cette croissance de la production ne signifie pas que la crise est terminée et que commence un essor. Il ne peut y avoir aucun essor véritable dans les pays capitalistes, pour la raison que cette crise économique se produit dans les conditions de la crise générale du capitalisme qui s’approfondit de plus en plus. D’ordinaire, l’essor vient après la crise par suite du renouvellement du capital fixe. Mais, à l’heure actuelle, dans les pays capitalistes, il y a dans les entreprises un ralentissement tellement colossal qu’on ne peut pas même parler d’un renouvellement tant soit peu sérieux du capital fixe.
Il est évident que nous sommes en présence d’une transition allant du point le plus bas du déclin de l’industrie, du point de la crise industrielle la plus profonde, à la dépression, mais à une dépression sortant de l’ordinaire, peu habituelle, à une dépression d’un genre spécial, qui ne conduit pas a un essor nouveau et a l’épanouissement de l’industrie, mais ne la fait pas non plus rétrograder vers le point maximum de son déclin.
J. Staline : Deux Mondes, p. 10.
Là-bas, dans les pays capitalistes, la crise économique continue à déferler.
J. Staline : Ibid., p. 4.
Cette caractéristique du développement de la crise économique contemporaine, donnée par le camarade Staline dans son rapport au 17e congrès du Parti au début de 1934, a été aussi pleinement confirmée par la marche ultérieure de la crise. En 1934, la croissance de la production continua dans les pays capitalistes. Mais cette croissance est insignifiante : en 1933, la production industrielle mondiale des pays capitalistes faisait 71 % par rapport à 1929, et, en 1934, 76 %. Dans l’Union soviétique, au contraire, 202 % et 239 %. Le fait qu’en 1934, malgré la croissance de la production industrielle, le chômage n’ait pas diminué et que la somme totale des salaires payés n’ait pas augmenté par comparaison avec 1933, ce fait est extrêmement caractéristique. Tout cela signifie qu’en 1934 il ne s’est pas produit de changements essentiels dans le développement de la crise, que la dépression d’un genre particulier continue, sans créer de base pour un nouvel essor économique.
La crise économique contemporaine, se produisant dans les conditions de la crise générale du capitalisme, approfondit et aggrave cette dernière.
Cette aggravation de la crise générale du capitalisme s’exprime dans le fait que, déjà en 1932, la fin est venue de la stabilisation relative du capitalisme, et que la crise générale du capitalisme est arrivée à une nouvelle étape de son développement, à un nouveau cycle de révolutions et de guerres.
Le second cycle de révolutions
La victoire du socialisme en U.R.S.S. a une signification décisive dans le développement de la révolution prolétarienne mondiale. Le premier État prolétarien dans le monde par le fait même de son existence a déjà, dès le moment de son apparition, ébranlé les bases du capitalisme. La construction du socialisme en U.R.S.S. a révolutionné la classe ouvrière, les masses laborieuses et les peuples opprimés du monde entier. Mais la victoire définitive et sans retour du socialisme en U.R.S.S. a créé une situation tout à fait nouvelle. Maintenant les masses de plus en plus considérables dans le monde entier voient déjà les résultats colossaux de cette lutte héroïque que la classe ouvrière, alliée à la masse fondamentale de la paysannerie, a menée sous la direction du Parti de Lénine et de Staline.
L’Union soviétique est maintenant un État socialiste puissant, qui croît de plus en plus et se renforce sous tous les rapports, le facteur le plus important de la politique mondiale. Les peuples opprimés et exploités du monde entier peuvent maintenant comparer les résultats des deux voies. D’un côté, la voie du bolchévisme, la voie de la révolution prolétarienne, qui a abouti à l’émancipation complète des travailleurs, à l’épanouissement de la véritable démocratie prolétarienne socialiste, à la suppression des classes et de l’exploitation, à la croissance rapide du niveau matériel et culturel de la vie des masses, au développement d’une vie heureuse et joyeuse, — au socialisme. Et, d’un autre côté, la voie de la social-démocratie, la voie du réformisme, sous l’influence duquel se trouvaient d’énormes masses de la classe ouvrière dans les pays capitalistes et qui a abouti à une paupérisation inouïe des masses, au déchaînement de terreur féroce de la dictature fasciste et à la liquidation des derniers restes de la démocratie bourgeoise dans certains pays et à la décroissance du danger fasciste dans les autres. La comparaison entre ces deux bilans historiques porte un coup très violent aux illusions réformistes et social-démocrates des masses, provoque un profond bouleversement dans leur conscience, redonne aux masses confiance en leurs forces pour la lutte contre le fascisme et le capitalisme. Dans le monde entier, des masses de plus en plus considérables se rassemblent autour de l’U.R.S.S. — de la puissante patrie socialiste de tous les travailleurs.
La prévision géniale du camarade Staline s’est brillamment vérifiée. La victoire du socialisme dans l’Union soviétique, disait-il déjà en 1926…
… ne peut pas se limiter à notre pays, mais elle doit provoquer un puissant mouvement vers le socialisme dans tous les pays capitalistes, et si elle ne coïncide pas à temps avec la victoire de la révolution prolétarienne dans les autres pays, elle doit en tout cas déclencher un puissant mouvement des prolétaires des autres pays vers la victoire de la révolution mondiale.
J. Staline : « Encore la déviation social-démocrate ». (En russe.).
Déjà maintenant, un puissant mouvement des masses ouvrières des pays capitalistes vers la victoire de la révolution mondiale se développe effectivement. Ce mouvement est provoqué par la victoire du socialisme en U.R.S.S., obtenue sous la direction du camarade Staline, qui, dans la lutte implacable contre tous les ennemis du communisme, a défendu et développé la doctrine léniniste sur la victoire du socialisme dans un seul pays et qui, sous le drapeau de cette doctrine, a mené la classe ouvrière à la victoire.
La victoire du socialisme en U.R.S.S. représente le plus grand triomphe de la théorie du marxisme-léniniste, développée par le camarade Staline, et a une importance historique mondiale. Elle ouvre non seulement une nouvelle période dans le développement du pays du socialisme, mais aussi une nouvelle étape dans le développement de la révolution prolétarienne mondiale, commencée par le prolétariat russe en octobre 1917 :
Avec le triomphe du socialisme en U.R.S.S., la révolution prolétarienne mondiale a conquis des positions imprenables dans la lutte de plus en plus aiguë pour la solution du problème « qui l’emportera » sur l’arène internationale… La victoire du socialisme, transformant l’U.R.S.S. en une force qui met en mouvement les grandes masses de la population, les classes, les nations, les peuples et les États, marque un nouveau et grand changement dans le rapport des forces de classe, à l’échelle mondiale, en faveur du socialisme, au détriment du capitalisme. Elle marque le début d’une nouvelle étape dans le développement de la révolution prolétarienne mondiale.
Contre la guerre et le fascisme : l’Unité, p. 38, 39, 40.
L’influence révolutionnaire de la victoire du socialisme en U.R.S.S. est d’autant plus grande que, malgré toutes ses tentatives, la bourgeoisie n’a pas trouvé une issue à la crise économique mondiale et continue à chercher cette issue dans la voie du renforcement de l’exploitation, dans la voie du fascisme, d’une nouvelle guerre impérialiste mondiale et d’une attaque contre l’U.R.S.S.
Tout cela mène à un plus grand développement de la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat. Au cours de ces dernières années, dans les pays capitalistes, a eu lieu une série de très grandes grèves de masse, que l’Europe capitaliste n’avait pas vues depuis la première vague des révolutions de 1918-1923. Des événements tels que la puissante grève générale politique contre le danger fasciste en France en février 1934, telle que l’héroïque lutte armée des ouvriers contre les fascistes en Autriche en février 1934 et en Espagne en octobre 1934, confirment brillamment les paroles du camarade Staline, que « l’idée de l’assaut mûrit dans la conscience des masses », et témoignent de la profondeur du processus de révolutionnarisation des masses qui se produit actuellement.
Ce processus trouve son expression dans la profonde crise subie par la 2e Internationale. La victoire du fascisme dans une série de pays s’est trouvée possible surtout grâce à la politique social-démocrate de scission dans la classe ouvrière et de collaboration avec la bourgeoisie, grâce au fait que la social-démocratie empêchait de toute façon la formation d’un front unique de la classe ouvrière contre le fascisme grandissant. Par toute sa politique, la social-démocratie a frayé la voie et facilité la victoire du fascisme dans ces pays. Ce fait pénètre dans la conscience des masses de plus en plus considérables. Les masses d’ouvriers social-démocrates ont de moins en moins d’illusions au sujet de la politique de la social-démocratie, de plus en plus elles sont attirées par le front unique et se tournent vers le communisme. D’un autre côté, le passage de la bourgeoisie au fascisme a privé la social-démocratie de son ancienne situation dans l’État bourgeois. Tout cela rend difficile, et dans une série de pays rend impossible, à la social-démocratie, de conserver son ancien rôle de soutien de la bourgeoisie. La social-démocratie se divise de plus en plus en deux camps : le camp des éléments réactionnaires qui s’efforcent de continuer l’ancienne politique de collaboration de classe avec la bourgeoisie et le camp des éléments qui se révolutionnent.
Toutes ces conditions et, en premier lieu, l’énorme influence révolutionnaire de la victoire du socialisme en U.R.S.S., créent des circonstances extrêmement favorables pour la formation du front unique de la classe ouvrière, pour la création, sous l’hégémonie du prolétariat, d’un front populaire de lutte contre le fascisme et la guerre, pour la préparation aux futures batailles pour la dictature du prolétariat, aux grandes batailles du second cycle de révolutions prolétariennes.
Le nouveau cycle de révolutions, par ses dimensions et sa profondeur, laissera loin derrière lui le premier cycle de révolutions. Les batailles révolutionnaires de 1918-1923 se produisirent alors qu’il n’y avait pas encore de partis communistes de masse et expérimentés, alors que dans les masses l’influence de la social-démocratie était encore extrêmement forte, alors que le premier État prolétarien dans le monde n’était pas encore aussi fort qu’à présent, alors qu’on menait encore la lutte seulement pour décider la question « qui l’emportera » à l’intérieur du pays des Soviets.
Les batailles révolutionnaires décisives de l’avenir se produiront alors que la puissance économique, politique et militaire du pays du socialisme victorieux s’est fortement accrue, alors que l’influence sur les masses de la social-démocratie, qui a fait banqueroute, tombe rapidement, alors qu’à la tête des masses se trouvent des partis communistes organisés et enrichis par l’expérience bolchevik, des partis qui, dès à présent, sous la direction de l’Internationale communiste, dans la lutte quotidienne menée contre l’offensive du Capital, contre le fascisme, contre la guerre et l’intervention, préparent, organisent, rassemblent et entraînent les masses de la classe ouvrière aux batailles décisives pour le pouvoir, pour la dictature du prolétariat.
Le prolétariat révolutionnaire du monde entier, sous la direction de l’Internationale communiste, avec à sa tête le grand et génial chef de la révolution prolétarienne mondiale, le camarade Staline, se prépare à sortir vainqueur du nouveau cycle de révolutions et de guerres.
Achevé d’imprimer sur les presses de l’Imprimerie centrale, cinq rue Érard, Paris XIIe, pour les Éditions sociales internationales, vingt-quatre, rue Racine, Paris VIe, le cinq juin mil neuf cent trente six