Allocution aux jeunes filles démobilisées de l’Armée rouge et de la marine de guerre, prononcée au Comité Central de la Fédération des Jeunesses Communistes Léninistes de l’U.R.S.S., le 26 juillet 1945
Camarades,
Je tiens avant tout à vous féliciter à l’occasion de la fin victorieuse de la Grande Guerre populaire : l’ennemi est battu, notre juste cause a triomphé. Dans cette guerre sains exemple, les femmes n’ont pas seulement aidé l’armée en travaillant à l’arrière ; elles ont participé à la lutte directement, les armes à la main.
La jeunesse féminine qui a pris une part directe à la guerre, ce sont celles qui, choisies parmi des millions d’autres, ont été appelées sous les drapeaux en raison de leur niveau d’instruction et de culture, de leur bonne santé, de leur endurance physique, de leur inclination pour telle ou telle spécialité militaire. Bref, c’est selon moi la partie la meilleure de notre jeunesse féminine qui a été au front ; il est donc tout naturel qu’elle s’y soit comportée de façon plus qu’honorable.
La guerre est terminée ; à présent, on vous démobilise. Participer à la guerre n’était pas chose facile ; mais pour vous la démobilisation est aussi tout un problème. Un kolkhozien démobilisé, par exemple, a un but dans la vie : il rentre à son kolkhoz où l’attendent sa famille, sa femme, ses enfants. Mais il n’en est pas de même pour une jeune fille de 20 à 23 ans qui, au front, a accompli en somme le premier travail sérieux de sa vie. Elle s’est habituée à ce travail tout militaire malgré ses difficultés et ses dangers. Avant la guerre, la plupart des jeunes filles-soldats ne menaient pas une existence indépendante : elles étudiaient et à quelques exceptions près, elles venaient à peine de quitter l’aile d’une mère, d’une grand’mère ou d’un père ; au front, elles sont devenues indépendantes. Cette vie d’indépendance a duré trois ou quatre années ; elle prend fin à présent, et c’est pourquoi il est tout naturel que 90% d’entre vous se demandent avec émoi ce que sera leur nouvelle vie et ce qu’elle leur réserve. Mais dans cette vie nouvelle, vous aurez du moins un avantage.
Quel est cet avantage ? C’est que vous irez travailler pleines de vigueur, jouissant d’une excellente santé physique et morale. Et c’est énorme : quiconque est physiquement fort s’en trouvera mieux dans la vie. Tel est l’avantage immédiat dont vous êtes redevables à l’Armée rouge.
La plupart d’entre vous ignorent la nervosité ; vous n’êtes pas nerveuses, et les émotions d’une âpre vie du combattant n’ont fait que vous tremper. C’est encore là un avantage que vous a donné l’armée, et il a lui aussi son importance pour l’avenir.
Que vous demande-t-on à présent ? Et l’expérience du travail à l’armée vous servira-t-elle à quelque chose ? Mais sans aucun doute ! Vous éprouvez une satisfaction morale profonde d’avoir participé à l’œuvre immense accomplie par tout votre peuple. Vous avez défendu la Patrie en péril, accomplissant ainsi une action réellement grande. C’est là pour vous un appui moral qui, toujours et partout, vous rendra fortes.
On a dit ici que vous n’aviez rien fait d’héroïque. L’héroïsme qui, tel un éclair, illumine l’homme, n’échoit qu’à certains. Cet héroïsme dépend souvent d’un hasard. Telle ou telle action d’éclat, le concours de circonstances grâce auxquelles l’héroïsme se manifeste, sont souvent fortuits. Mais ceux qui ont accompli des actes d’héroïsme n’ont pu mettre à profit ces circonstances fortuites, que parce que physiquement, psychologiquement, moralement et politiquement ils y étaient préparés. Je suis convaincu que parmi notre jeunesse féminine, beaucoup seraient capables d’exploits héroïques si les circonstances s’y prêtaient. Mais ces héroïnes sont malgré tout des isolées.
On demandait à un capitaine de vaisseau anglais : qu’est-ce que l’héroïsme ? Il répondit : l’héroïsme, c’est faire son devoir ponctuellement en toute circonstance. Oui, faire ponctuellement son devoir en toute circonstance, c’est aussi de l’héroïsme. Et c’est pour commémorer cet héroïsme, l’héroïsme de centaines de milliers, de millions de jeunes filles et de jeunes gens, que le gouvernement a décerné au Komsomol l’Ordre de Lénine, la plus haute récompense qui soit dans notre pays. Chacune de vous, je crois, peut être fière d’être décorée en même temps que tout le Komsomol.
J’ai la conviction que 99% d’entre vous se feront rapidement à leur nouvelle situation et ne se débrouilleront pas plus mal dans la vie civile que bien des personnes d’expérience qui s’y sont parfaitement adaptées depuis longtemps.
Je suis sûr que vous trouverez rapidement un emploi. Le travail ne manque pas en U.R.S.S. : usines, fabriques, kolkhoz, institutions sont là, qui vous en proposeront ; partout, vous serez accueillies à bras ouverts. Bien mieux, on vous fera progresser rapidement dans tous les domaines du travail : social, politique et administratif. Rien n’est plus naturel. Une jeune fille qui, trois années durant, a travaillé dans des conditions qui la disciplinaient, est un collaborateur très précieux.
C’est pourquoi je pense que vous trouverez très vite un emploi. Bien entendu, le Comité central du Komsomol doit venir en aide à celles qui, pour telle ou telle raison fortuite, peuvent se trouver dans des conditions difficiles ; mais celles-là seront très peu nombreuses — quelques-unes seulement — et il faudra leur prêter assistance de toutes les manières.
Je suis persuadé que les organisations du Komsomol, dans la capitale et en province, feront tout pour que vous trouviez un emploi ; et certes, vous l’aurez bien mérité, car vous avez accompli une œuvre grande et noble.
Vous avez fait autre chose encore. L’égalité en droits de la femme existe dans notre pays depuis les premiers jours de la Révolution d’Octobre. Mais vous avez conquis l’égalité pour la femme dans un nouveau domaine : le droit lui a été reconnu de défendre la Patrie les armes à la main. Vous avez conquis l’égalité pour la femme dans une sphère où, jusqu’à présent, elle n’avait pas encore fait aussi directement ses preuves.
Mais comme les années m’ont donné quelque expérience, je voudrais ajouter : ne vous montrez pas fières dans votre travail futur. Ne faites pas sonner vos mérites ; que d’autres en parlent ; cela vaudra mieux.
Je suis plein d’optimisme pour vous et pour votre avenir. Je suis convaincu que vous jouerez un rôle considérable dans la paix également ; un rôle moins éclatant peut-être que dans l’armée, mais vous n’en apporterez pas moins votre pierre à notre œuvre d’édification pacifique.
Une guerre a beau se dérouler favorablement, unir les masses, exalter les sentiments les meilleurs de l’homme, tel le patriotisme, elle n’est pourtant qu’un épisode dans l’histoire d’une nation ; la paix est l’état normal d’un pays, celui dans lequel vous aurez désormais à travailler.
Je souhaite de tout cœur que dans cette vie pacifique vous apportiez aussi une parcelle des forces créatrices qui se sont amassées en vous. (Vifs applaudissements prolongés. Toute la salle debout acclame chaleureusement le camarade Kalinine.)
Komsomolskaïa Pravda, 31 juillet 1945.